The Unthinkable : rencontre avec Albin Pettersson, Olle Tholen et Christoffer Nordenrot

En 2018, une partie de la rédaction de Close-Up s’est pris une petite claque au PIFFF en découvrant The Unthinkable (disponible en Blu-Ray et DVD chez Wild Side Video à partir du 3 avril), un film suédois ambitieux mettant en scène une attaque terroriste à large échelle contre la Suède. Réalisé pour moins de 2 millions d’euros et aussi spectaculaire qu’un blockbuster hollywoodien, The Unthinkable est l’œuvre de Crazy Pictures, un collectif composé de cinq amis réalisant tout ensemble avec un sens de la débrouille incroyable. La sélection du film au festival de Gérardmer en février dernier (où il a remporté le prix du jury jeune de la région Grand Est, le prix de la critique et le prix du jury ex-aequo) nous a donné une furieuse envie de converser avec l’équipe du film. Par chance, Olle Tholen et Albin Pettersson, deux membres de Crazy Pictures et Christoffer Nordenrot, acteur et co-scénariste du film, étaient sur place et nous avons pu les rencontrer.

En 2018, on a eu Mission : Impossible – Fallout et The Unthinkable, clairement les deux films les plus spectaculaires de l’année, comment on fait un premier long-métrage aussi fou et ambitieux ?

Albin Pettersson : Disons qu’on est vraiment bons pour tricher ! (rires) On travaille tous ensemble et on est très proches, on bosse sur toutes les étapes du film ! Pour The Unthinkable, on avait d’un budget de 1,8 million d’euros. Il s’agit d’optimiser le budget alors chacun travaille sur plusieurs étapes de la production suivant ses capacités. On fait beaucoup de choses nous-mêmes, la réalisation, la photographie, les décors, les effets spéciaux sur le tournage, les effets numériques, la prise de son, le montage… Le compositeur avec lequel on travaille a son studio dans nos sous-sols, on reste très proches. Et il y a Christoffer aussi !

Christoffer Nordenrot : Oui, je ne suis pas un membre de Crazy Pictures mais je les connais depuis 12 ans. J’ai beaucoup écrit pour eux, j’ai co-écrit The Unthinkable aussi. Pour revenir à la façon dont ils font les films, ils font au mieux avec ce qu’ils ont pour obtenir le résultat le plus créatif et le plus réussi possible. Et ces gars-là sont réellement créatifs !

A.P : Puisqu’on est cinq à partager toutes les responsabilités, on peut faire les choses rapidement et de façon intelligente. On pense les choses en amont, on est conscients de leur difficulté mais avec de l’anticipation et de la préparation, ce n’est pas si difficile que ça de faire quelque chose de bien.

Olle Tholen : En ce qui concerne les effets spéciaux, on prend le meilleur des effets numériques et des effets pratiques et on les combine de façon à ce que ce soit le plus réaliste possible.

A.P : Il faut dire qu’on a une équipe passionnée. Tout le monde est jeune, tout le monde a envie d’un nouveau cinéma suédois. C’est peut-être notre premier film mais je pense qu’avec l’envie qu’on avait tous, on l’a réussi.

C.N : Ce film, c’est notre bébé. Il faut remercier le public aussi car on a réuni une partie du budget avec du crowdfunding. Au début, quand on allait voir les productions du haut de nos 24 ans en leur disant ‘’on veut faire un film spectaculaire montrant la Suède sous attaque terroriste’’, personne ne nous a pris au sérieux. On nous a dit que ça allait coûter trop cher. On a donc fait un trailer pour lancer le crowdfunding et grâce aux courts-métrages qu’on avait faits, on avait déjà une solide base de gens qui nous suivaient. Ils ont tous été supers, on a réalisé la campagne Kickstarter la plus réussie pour un film en Suède !

A.P : Et grâce à l’argent réuni par ce crowdfunding, on a pu trouver des financements plus classiques auprès des productions.

Oui mais quand même, 1,8 million d’euros ! Vous faites crasher des hélicoptères, vous avez un carambolage de voiture, une église en feu, un bunker, il faut gérer tout ça ! Est-ce que les acteurs ont été payés au moins ? (rires)

C.N : Oui, on a quand même été payés mais le minimum syndical. Le reste c’était de l’intéressement sur recettes en espérant que le film fonctionne !

A.P : On a économisé sur tout ce qu’on pouvait. Déjà on fait tout à cinq avec chacun de grosses responsabilités. Donc au lieu d’être une équipe de cinquante, on est beaucoup moins nombreux. On se partage évidemment plusieurs casquettes. Non seulement c’est moins cher mais c’est aussi plus facile.

C.N : Il faut bien insister sur le fait que toutes les personnes ayant participé au film y croyaient à fond. C’était le film de nos rêves, on a tous travaillé dessus pendant longtemps.

A.P : Et on a tellement triché ! On avait une vieille caméra, des vieux objectifs soviétiques achetés sur EBay qu’on a bidouillé. On a eu dix objectifs différents pour le prix d’un seul neuf ! Ça nous a permis de donner un look spécifique au film. La scène de l’église à la fin, c’est une maquette. Le bunker dans lequel on a tourné, c’est une usine nucléaire construite dans les années 60 qui n’a jamais servie, qui est à 40 minutes de chez nous. Il y avait des tunnels immenses et des appareils électroniques qu’on a pu trafiquer pour servir d’accessoires sur le film. Il y avait tellement de place dans ce bunker qu’on a pu y faire ce qu’on voulait, y compris une explosion !

O.T : La séquence du pont avec les carambolages c’est pareil. On a acheté des voitures de la casse qu’on a repeintes en noir, on a bidouillé des commandes de jouets télécommandés pour les mettre dans les voitures, on a tourné sur une ancienne piste d’aéroport, on a fait en sorte qu’il pleuve et que la scène soit sombre pour masquer des détails trop gênants et le tour est joué ! Ce n’est pas si compliqué que ça en fait mais c’est vrai que sur le papier, c’est impressionnant ! (rires)

A.P : C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a tellement de pluie, de brouillard et de scènes nocturnes dans le film, c’est pour masquer plein de choses qui ne nous arrangeaient pas !

Vous êtes cinq au sein du collectif à tout gérer, comment ça s’organise concrètement sur le plateau pour que vous ne vous marchiez pas sur les pieds ?

A.P : On travaille tous ensemble dès le début, on échange les idées mais évidemment sur le tournage, on met en place une sorte de hiérarchie, il y a quelqu’un qui prend le poste de réalisateur, un qui s’occupe de la photo, un du son, on ne change pas les rôles en cours de tournage.

O.T : Mais tout commence au sein du collectif donc on sait sur quoi on se dirige au moment du tournage. On échange sur tous les aspects du film pendant longtemps ce qui fait que tout le monde est au courant de tout. Les rôles sont définis mais on connaît tous les aspects et toutes les idées de l’ensemble du film.

Comment ça se passe quand vous n’êtes pas d’accord ?

A.P : On débat beaucoup ! Dès qu’on a un désaccord, on en parle et c’est au final la meilleure idée qui l’emporte, c’est aussi simple que ça !

O.T : Cela fait dix ans que l’on travaille ainsi, c’est la seule façon de travailler que l’on connaît.

Vous avez donc l’intention de continuer ainsi ? Aucun d’entre vous n’a des envies de se lancer dans une carrière solo ?

O.T : Non, on veut continuer à faire des films spectaculaires et ambitieux et c’est ensemble que nous voulons le faire. Nous avons déjà commencé à travailler sur le prochain d’ailleurs.

A.P : C’est ensemble que nous aimons faire les choses. Nous n’aimons pas vraiment la hiérarchie, nous mettons tous la même somme d’efforts dans nos films, ce serait injuste de créditer un seul d’entre nous à tel ou tel poste.

Vous pouvez nous en dire un peu plus sur votre prochain projet ?

A.P : Pas encore, il n’est qu’au stade du développement actuellement.

La fin du film montre un plan de Vladimir Poutine, pratiquement désigné comme responsable de l’attaque par un jeu de montage, c’était une volonté dès le départ ?

A.P : Non au début, on ne voulait pas faire ça, on voulait un ennemi qui reste mystérieux de bout en bout. Mais on ne voulait pas frustrer le public alors on a décidé d’ajouter cette fin.

O.T : D’ailleurs, on ne dit pas que c’est Poutine le responsable de l’attaque dans le film, on dit simplement que l’économie de la Russie se stabilise à la suite de cette attaque ! Libre à vous d’interpréter ce que vous voulez ! (rires)

C.N : On avait plusieurs versions de fins différentes et à la base on ne voulait pas faire de film politique mais c’est un peu inévitable quand on parle de la Suède victime d’une attaque globale ! Il fallait donner quelque chose au spectateur pour conclure, ça nous semblait logique.

Le film a un bel équilibre entre les scènes spectaculaires et les scènes plus intimes sur les personnages, comment cet équilibre s’est fait ? C’était déjà dans le scénario ou il y a eu beaucoup de travail au montage ?

O.T : Tout était dans le scénario depuis le début.

A.P : On a évidemment changé quelques éléments au montage mais dans l’ensemble, tout était effectivement dans le scénario.

O.T : On a réussi à trouver cet équilibre en commençant justement par quelque chose d’un peu intime en l’ouvrant après en milieu de film vers quelque chose de plus spectaculaire.

C.N : C’est clairement un film de personnages. Tout est parti du personnage d’Alex, de son point de vue, de ce qu’on voulait exprimer à travers lui, à savoir qu’il faut dire les choses avant qu’il ne soit trop tard.

Quel est l’idée principale qui a donné naissance au film ?

A.P : Il y a eu deux en fait. La première idée clé que l’on a eu, c’est cette relation entre Alex et son père. Ensuite évidemment, c’était le thème de la Suède attaquée par des terroristes. Chez nous, nous avons des tests d’alarme tous les mois. Et un jour qu’on était ensemble pendant un de ces tests, on s’est demandé ce qu’on ferait si ce n’était pas un test. On s’est rendus compte qu’on ne saurait pas quoi faire. A partir de là, on a eu envie de broder une histoire là-dessus. En Suède, on a un espèce de sentiment de sécurité, contrairement à d’autres pays dans le monde. Et on s’est dit que ce serait intéressant de voir ce que ça donnerait si on était attaqués.

Vous aviez des références en tête à l’écriture et au tournage ? Le bunker par exemple me fait beaucoup penser à celui de Lost

A.P : Ah oui clairement, on adore Lost ! En Suède, on est très exposé au cinéma hollywoodien et aux séries américaines donc c’est le cinéma qu’on aime, forcément ! On aime beaucoup le travail de Denis Villeneuve et Roger Deakins aussi. On s’inspire beaucoup du travail de Deakins.

O.T : On est vraiment bercés par les références. On aime beaucoup Christopher Nolan, Shyamalan, Nicolas Wing Refn…

A.P : C’est un peu tous ces mélanges qui ont donné naissance à The Unthinkable. A part Morse qui est un film suédois que l’on aime beaucoup, on aime essentiellement les productions américaines. On se retrouve donc avec cette influence américaine mais réalisée à la façon suédoise. On ne voulait pas se perdre dans un amas d’explosions, on voulait vraiment coller au personnage !

Vous citez de nombreuses références mais The Unthinkable n’est jamais noyé par ça, il a un ton assez unique. Comment le film a été reçu en Suède ?

A.P : Plutôt bien. On a eu plus de 100 000 spectateurs qui sont allés le voir, ce qui est assez énorme en Suède. On a eu beaucoup de retours de la part du public ! Et il y a une semaine, nous avons eu une récompense que l’on pourrait comparer aux Césars chez vous et qui est celle des nouveaux réalisateurs de l’année, on est vraiment ravis de cet honneur !

Vous pensez que ce succès vous ouvrira plus de portes pour vos prochaines réalisations ?

A.P : Oui j’y crois. Avant, du haut de nos 24 ans, personne ne nous prenait au sérieux. Avec The Unthinkable, on a montré aux gens que ce qu’ils pensaient être impossible est totalement possible et on pense que ça va ouvrir la voie.

Vous pensez que cela va encourager d’autres jeunes réalisateurs suédois à se lancer dans l’aventure ?

A.P : On l’espère. Il y a vraiment peu de films de genre en Suède, on ne sait pas vraiment pourquoi. Ça fait peur aux producteurs qui préfèrent se concentrer sur des drames réalistes et des comédies typiques de notre pays dont on connaît les ressorts comiques par cœur.

C.N : Mais The Unthinkable sera peut-être l’étincelle qui va donner naissance à quelque chose de nouveau. On le souhaite vivement ! On sent qu’il y a derrière nous toute une génération qui a de vraies envies de cinéma et qui veut relancer le cinéma suédois !

Propos recueillis par Alexandre Coudray et Mathieu Le Berre à Gérardmer le 3 février 2019. Un grand merci à Benjamin Gaessler.

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