Témoin à charge : Wilder joue le jeu

Rimini Editions continue de nous gâter en étoffant un peu plus sa collection Billy Wilder au fil du temps. C’est ainsi qu’après une petite évolution dans les années 60 avec La Garçonnière, Irma la douce, Embrasse-moi, idiot et La Grande Combine, nous voilà de retour dans les années 50 et en 1957 plus précisément pour Témoin à charge, disponible en Blu-ray et DVD depuis le 5 février dernier.

C’est un film en forme d’exercice et de défi pour Billy Wilder. Il vient alors de tourner Ariane avec Audrey Hepburn qui n’a pas eu le succès escompté. Il décide alors de se frotter à un défi, adapter pour l’écran la pièce d’Agatha Christie qui connaît un vif succès à Broadway. Une pièce elle-même adaptée d’une nouvelle de la créatrice d’Hercule Poirot publiée en 1925. Christie et Wilder, ce sont deux univers qui se rencontrent et qui s’entrechoquent mais dont la fusion fait des merveilles. En effet, on peut facilement comprendre ce qui a pu attirer le cinéaste dans cette intrigue. Il y a un côté criminel certes et Wilder n’est pas étranger au genre mais la porte d’entrée du film se fait par l’entremise de Sir Wilfrid Robarts, un personnage truculent à la verve purement wilderienne.

Incarné par Charles Laughton dans ce qui est l’un de ses meilleurs rôles (Wilder dira de lui que c’est le meilleur acteur avec lequel il ait jamais travaillé), Sir Wilfrid est un avocat réputé se remettant tout juste d’une crise cardiaque. Alors que son infirmière lui recommande du repos et qu’il est contraint de fumer ses cigares en douce, voilà qu’on lui apporte un cas : celui de Leonard Vole, un homme marié accusé d’avoir tué une veuve dans le but de toucher l’héritage qu’elle lui destinait. Tous les éléments sont contre Vole mais Sir Wilfrid accepte de le défendre, ignorant que Christine, la femme de Vole risque de faire un témoignage accablant lors du procès…

Loin du whodunit caractérisant habituellement le travail de Christie, Témoin à charge est une savoureuse joute verbale menée par Sir Wilfrid pour acquitter son client. Ici, il est moins important de savoir qui est le coupable que de voir ce que fait Sir Wilfrid pour sauver Vole de la potence. Il s’agit là de savoir qui sera le plus malin, entre Sir Wilfrid et Christine et ce jusqu’à la révélation finale, forcément agrémentée d’un petit twist. Entre temps, Wilder aura prouvé son éternelle malice et son intelligence d’écriture et de mise en scène. Adaptation théâtrale oblige, le film est souvent remisé en intérieur (les 40 premières minutes du film se déroulent essentiellement dans le bureau de Sir Wilfrid puis enchaîne très vite avec les scènes de procès) et Wilder fait montre d’une acuité particulière dans l’agencement de ses plans et de ses raccords.

Tout dans le film se met donc au service de la parole, une parole primordiale, une verve à même de dissimuler la vérité ou de révéler un mensonge. À ce jeu-là, Wilder a toujours été fort et livre avec ses co-scénaristes (il fait ici une entorse à son complice I.A.L. Diamond) un scénario fort, écrit intelligemment. Comptons aussi sur le casting pour étoffer encore plus l’éclat de Témoin à charge. Clairement, Laughton domine l’ensemble par sa présence imposante, sa malice éternelle et son charisme puissant. Il compose en Sir Wilfrid un personnage comme on les aime, bon vivant, roublard, malin, se consacrant corps et âme à un cas dès qu’il en tient un. Face à lui, Marlene Dietrich n’est pas en reste dans un rôle qu’elle embrasse fièrement, avec un investissement total, elle qui pensait décrocher au moins une nomination à l’Oscar pour sa performance. Nommée ou non, Dietrich est superbe et en dehors de Von Sternberg, Wilder, qui l’avait déjà fait tourner pour La scandaleuse de Berlin, est peut-être le cinéaste qui l’a le mieux mise en scène. Même Tyrone Power, d’habitude assez fadasse, est ici excellent en Leonard Vole dont on doute à la fois de la culpabilité et de l’innocence.

Ce formidable trio vient pimenter un film à redécouvrir dans la filmographie de Wilder, sorte de récréation brillante en forme de joutes verbales, la seule adaptation cinématographique d’une de ses œuvres qu’Agatha Christie adoubera au moment de sa sortie.

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