Dumbo : Rythme et Sentiments

Dumbo est l’un des plus illustres exemples de ces films dont on connaît déjà l’histoire avant de l’avoir vu. Impossible de ne pas savoir que l’éléphanteau finira par voler grâce à ses grandes oreilles, au même titre qu’il est difficile d’entamer Star Wars de nos jours sans savoir que Vador est le père de Luke et Leia. Jusque sur les différentes jaquettes et affiches du film, Dumbo vole, c’est admis, nous le savons et pourtant le plaisir n’est pas ou peu gâché lorsque l’on s’attaque à cette petite merveille.

Dumbo intervient un an après ces deux échecs commerciaux que sont Pinocchio et Fantasia en 1940. Cette réactualisation du Vilain Petit Canard (que Disney avait déjà adapté dans l’une de ses Silly Symphonies en 1939) qui devait être un court métrage, souffrira de coupes budgétaires lorsqu’est prise la décision de l’adapter en un film plus consistant. Preuve en est, il dépasse à peine l’heure, ce qui en fait l’un des plus courts long-métrages de Disney. Mais il n’hérite pas que des contraintes matérielles de ses aînés et on aperçoit l’influence de Fantasia dès la scène inaugurale.

Dumbo est avant tout une affaire de rythme et de musicalité, on lorgne du côté de la comédie musicale sans y entrer totalement. On compte tout de même sept chansons en une heure, même pour un Disney, c’est déjà une performance en soi, mais cela ne s’arrête pas là. Il y a un véritable jeu d’alternance entre le chant et la prose, entre la vie du cirque et celle du petit pachyderme. Toujours dans l’optique de garder une dualité équilibrée, le mutique Dumbo joue sur le plan du burlesque, alors que son compagnon d’infortune Timothée, une souris qui ne supporte pas l’injustice, est suffisamment bavard pour deux.

Dumbo tire aussi sa force de ses personnages aux caractères biens trempés, peu nombreux mais marquants. Dumbo et Timothée sont les habituels marginaux qui devront redoubler de débrouillardise pour affronter l’adversité lorsque l’éléphanteau perdra la protection de Mme Jumbo, cette Mère Courage coupable d’avoir défendu son petit face aux brimades des humains. Ces derniers sont traités et représentés pour la majorité sans visage, que ce soit la masse du public, les silhouettes des travailleurs qui montent le chapiteau, ou encore celles des clowns, tantôt maquillés, tantôt cachés par le voile d’une tente (et qui à cet instant, révèlent leur véritable personnalité, ivres de succès). Seuls les enfants qui iront chercher des noises à Dumbo et le Monsieur Loyal qui l’exploite sont clairement identifiables. Cette représentation de l’adversité met l’emphase sur notre attachant petit duo, avec la bouille à croquer de Dumbo et les gesticulations de Timothée, ou encore la relation entre Dumbo et sa mère, sublimée par la berceuse (Mon Tout Petit) de cette dernière.

Dumbo sait mettre en valeur l’essentiel dans un récit classique, ce qui ne l’empêche pas de se payer le luxe de quelques extravagances comme la séquence de La Marche des Eléphants. Feu d’artifice graphique où les animateurs s’en donnent à cœur joie, où les formes s’enchevêtrent et les couleurs pètent pour un résultat psychédélique surprenant. Un exercice de style qui plaira aux amateurs du travail sur la forme — s’il n’étaient pas encore rassasiés par cette animation à la main sans faille — qui rappelle encore une fois Fantasia ou rétrospectivement, les rêves récurrents de Winnie l’Ourson sur les éfélants que l’on retrouve au long des films le mettant en scène. Précurseur habile de certaines productions Disney, autant qu’il est dépositaire d’un héritage burlesque des premières heures, Dumbo se pose comme un classique évident des écuries de Walt.

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