Synonymes : Bascule de cinéma.

Yoav est le synonyme de Nadav Lapid qui s’en sert pour conter sa propre histoire. Celle d’un jeune reporter sportif en Israël, à la vie tranquille, qui sur un sentiment quitte tout pour rejoindre la France. Pourquoi la France ? Admiration de Napoléon, amour de Zinédine Zidane. Pourquoi Paris  ? Parce que Nadav Lapid vient tout juste de découvrir deux films de Jean-Luc Godard.
À ce moment précis, le cinéma est loin pour lui. Il arrive à Paris, se débrouille et vit dans une certaine précarité. Il est déterminé, ne parle plus un seul mot d’Hébreu, se destine au français via un petit dictionnaire. Yoav est Nadav et vice-versa. Le cinéma arrive ensuite par le biais d’un ami français qui l’initie à la culture, sorte de doux décalage pour lui. De son propre aveu, cet ami était la représentation du français parfait.
Nadav Lapid tente la Fémis, mais est recalé à la dernière étape. Rien ne l’empêche de faire du cinéma via des courts, moyens et longs selon ses inspirations. Pas besoin d’école pour celui qui finalement rentre en Israël. La France est devenue compliquée, oppressante pour un jeune homme enthousiaste et naïf. Il est reconnu en Israël par la publication d’un recueil de nouvelles, il est donc temps de rentrer.

Il est bon de savoir tout cela dans l’approche de Synonymes. Ce n’était pas notre cas, arrivant à nu pour la projection. Le film est cette découverte de la Berlinale dans ce dernier tiers toujours brillant du Festival. On y trouve chaque année les pépites d’un grand moment de cinéma. Synonymes est l’exemple de l’édition 2018, où il remporte l’Ours d’Or du Meilleur Film. Synonymes de Nadav Lapid est une dualité dont on ressort brisé. Le film est une succession d’antonymes, brouillons et maîtrisé, furieux et calmes, littéraires parfois vulgaires, soutenus et grossiers, etc.

Synonymes est l’histoire d’un homme perdu s’étant soutiré du service militaire israélien. Il est un déserteur de sa patrie, de sa famille. La famille israélienne, patrie qui la compose, comme une société miniature complexe pour toute personne faisant face à une fragilité. Yoav est fragile ayant ce besoin d’une nouvelle identité, de faire peau neuve. D’où cette séquence fantastique dans le premier appartement où il s’est réfugié. Lieu vide, comme neutre, bulle aseptisée pour un homme qui se réveille, se douche et dont les affaires disparaissent dans une invisible situation. Il est recueilli par un français parfait, Émile (Quentin Dolmaire vu dans Trois Souvenirs de ma Jeunesse d’Arnaud Desplechin), et sa compagne, Caroline (charmante Louise Chevillotte aspirant l’écran à chaque apparition). S’ensuit le réveil dans des draps blancs épurés d’un homme qui reprend confiance, dont Émile file une nouvelle identité. Séquence brusque et absurde à l’image d’un film brute et brusque.

Synonymes bouscule les repères cinéma de cinéphile/cinéphage pouvant être révulsé par cette volonté autodidacte et frondeuse de prendre une caméra et aspirer des acteurs pour se conter soi-même. Il y a une liberté de ton, d’amour, d’échange, de discourir sur notre société et notre monde dans Synonymes. Il est un film volage précis, verbeux et intelligent, un essai insolent qui prend à la gorge le cinéma pour se livrer, se libérer. Nadav Lapid en livre alors un long-métrage fort et suffocant. On peine à raccorder les wagons, mais Tom Mercier nous tient par un charisme renversant, un talent inné et une beauté dure. Paré de son manteau jaune moutarde, il nous guide dans ses dérivations parisiennes et françaises cherchant sa vie, sa liberté et son identité.
En sortant de la projection, nous sommes bousculés chavirant au gré des émotions qui s’entrechoquent en nous. Puis Synonymes se livre en accordant des mots simples et ludiques pour mieux comprendre une œuvre indélébile.

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