Us : Terreur allégorique !

Que l’on aime ou pas Get out, ou tout simplement que l’on en reconnaisse les qualités sans avoir hurlé à la révolution (pour le cinéma de genre moderne, mais également politique), il est difficile de nier le réel impact qu’il a pu avoir sur son public, ainsi que sa pertinence dans son discours féroce et grinçant, et son scénario malin et pervers. Mais Jordan Peele l’a répété, ce second long-métrage tant attendu ne prétend à aucun moment être sur la même lancée politique, ou en tout cas, pas de la même manière. Là où son premier long fonçait tête baissée en assumant son côté dans l’air du temps, et où la couleur de peau de ses protagonistes était au centre même des enjeux, ce n’est plus le cas ici, où la question raciale n’est pas du tout évoquée ! Il s’agit d’une famille noire, mais ce n’est pas la question, la même histoire pourrait être racontée avec des personnages blancs ou mexicains, sa finalité n’en serait pas changée. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’il s’est débarrassé d’une partie de ce qui avait fait le succès de son précédent film, que celui-ci sera totalement expurgé de tout discours, seulement ce dernier sera exposé de manière beaucoup plus retorse que prévu, ce qui pourra peut-être en décontenancer certains, qui s’attendraient à rentrer dans la salle dans leur zone de confort, sans prise de risque. Mais le but n’était pas non plus de partir dans un grand délire hermétique pour le grand public, simplement d’assumer frontalement l’appartenance au genre horrifique, et ce dès sa superbe scène d’ouverture, située dans une fête foraine où une fillette, s’éloignant de son père dans un moment d’inattention de la part de ce dernier, va se retrouver dans un palais des glaces où elle va vivre une expérience terrifiante la laissant un temps muette, incapable d’expliquer ce qui s’est déroulé durant ces quelques minutes où elle s’était perdue …

Passée cette introduction élégante nous faisant immédiatement comprendre que l’on va être bien durant la projection, où la mise en scène multiplie déjà les plans classieux dotés d’une photographie de toute beauté, une ellipse nous propulse de nos jours, aux côtés d’une famille dont nous comprenons rapidement que la mère (interprétée par la stupéfiante Lupita Nyong’o) est la gamine du début, à la faveur d’un flash back intervenant rapidement (le film en aura plusieurs) ! En vacances dans une maison en bord de mer, ils retrouveront à la plage un couple d’amis (interprétés par l’excellente Elisabeth Moss et Tim Heidecker), l’occasion de scènes assez drôles aux dialogues acérés, et là où l’on penserait de prime abord que le scénario se focaliserait essentiellement sur le couple principal, ceux-ci auront à un moment donné un rôle important dans l’histoire. Passée cette mise en place indispensable pour cerner chaque protagoniste, mise en place d’ailleurs exemplaire, dans la caractérisation millimétrée et pourtant exempte de tout élément superflu, juste à base de répliques bien sorties par des acteurs parfaitement dirigés, l’action va se mettre très rapidement en place avec l’assaut de la maison par une mystérieuse famille (enfin mystérieuse pour qui arriverait dans la salle en n’ayant pas vu le moindre trailer), et à partir de là, les spectateurs sensibles ne doivent surtout pas espérer la moindre pause, car le cinéaste, visiblement ravi de pouvoir ainsi jouer avec les nerfs de son public, prendra un malin plaisir à accumuler les morceaux de bravoure dans une sorte de grand huit cinématographique aussi intense que ludique !

Et c’est peut-être là que le spectateur fana d’horreur pure, appâté par des trailers éprouvants laissant espérer un véritable shocker sans pitié avec ses personnages, pourra éventuellement être quelque peu frustré par le traitement de la violence pour lequel a opté le cinéaste ! Non que le film soit soft ou expurgé de tout effet sanglant, loin de là, mais on sent tout de même à chaque instant qu’il s’agit d’un film de studio destiné à un large public, et même s’il est classé R-Rated aux Etats-Unis, les diverses agressions et mutilations qui nous sont généreusement offertes sont la plupart du temps filmées soit hors champ, soit à distance. Par instants, cela fonctionne dans la suggestion, le reste du temps, on aimerait en voir un peu plus. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un véritable film d’horreur, enquillant les scènes de terreur pure, ce qui n’empêche pas un humour très cinglant de percer régulièrement, accentuant encore la perversité générale.

Une perversité que l’on aurait tort de croire purement gratuite, loin de là, car sans rentrer dans les détails de l’intrigue, qui semble de toute manière nécessiter au moins un second visionnage pour éventuellement en capter toutes les subtilités cachées, il s’agit bien d’un film de son temps, et certains dialogues explicitent de façon claire et drolatique ce que l’on pouvait déjà comprendre clairement plus tôt. Lorsqu’un personnage déclare « nous sommes américains », cela fait sens. Lorsque plus tard, nos « héros » veulent fuir du chaos ambiant vers Mexico, cela fait encore plus sens, mais nous arrêterons là pour laisser un peu de liberté aux futurs spectateurs du film.

Une autre chose paraissant claire devant l’ensemble du métrage, c’est l’influence de la Quatrième dimension, et il ne semble donc pas étonnant du tout que le prochain projet de Jordan Peele en soit justement une nouvelle version, qu’il produit et présentera comme Rod Serling en son temps. On a véritablement l’impression d’être projeté dans une autre dimension en visionnant le film, selon un principe de crescendo culminant lors de son ultime partie. On pourra également chipoter sur les surprises promises tout au long de la promotion, déclarations qui nous laissaient attendre un véritable revirement scénaristique en son milieu, alors que le film suit pourtant une ligne bien nette tout du long, sans s’en éloigner. Pour l’efficacité, c’est positif, mais pour qui aime être véritablement bousculé et espérait un véritable trip vertigineux, cela s’avère un poil décevant. Pire, un ultime twist semble viser la sidération du public, alors que dans notre cas, il s’est avéré grillé dès la scène d’ouverture, ce qui n’empêche pas le plaisir général, et l’envie de le revoir quasiment aussitôt, tant l’impression de voir malgré tout un véritable film d’horreur, dans le sens cauchemardesque du terme, s’avère finalement assez grisante dans le contexte de production grisonnant actuel ! Entre La Nonne ou Annabelle « 18 », cela fait du bien. Donc on passe sur ses quelques défauts, qui en font une œuvre aussi brillante sous bien des aspects, que maladroite par d’autres, car Jordan Peele ne se repose pas sur ses lauriers et s’impose objectivement comme un vrai espoir du cinéma contemporain ! On attend donc ses prochains travaux avec une grande curiosité tout ce qu’il y a de plus saine …

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