Triple Frontière : Pour quelques kilos de dollars…

Révélé en 2011 avec Margin Call, J.C. Chandor a depuis confirmé tout le bien que l’on pensait de lui avec des films ambitieux, à priori classiques mais dynamitant toujours le genre dans lequel il s’aventurait grâce à une mise en scène au regard pertinent. C’est donc un nouveau coup de filet pour Netflix de se payer la dernière réalisation du cinéaste, Triple Frontière, disponible dès aujourd’hui sur la plate-forme. Longtemps dévolu à Kathryn Bigelow, le projet a connu un long développement. Chandor s’empare alors d’un scénario de Mark Boal, scénariste complice de Bigelow (il a écrit ses trois derniers films) auquel il ne manque pas d’imposer sa patte, livrant avec Triple Frontière un film qui lui ressemble et qui n’est pas en désaccord avec le reste de sa filmographie, composée de personnages à la destinée tragiques, tâchant de vivre en accord avec leurs principes.

En effet, si le contexte du film et son pitch paraissent à la base plus du goût de Mark Boal (et de l’aveu de Chandor, il voulait d’ailleurs travailler sur un scénario qui ne venait pas de lui), le cinéaste en profite pour continuer son exploration des failles de l’Amérique et deviser sur les valeurs humaines de ses personnages. Après la Bourse et le New York violent de l’année 1981, voilà qu’il s’intéresse à cinq vétérans de l’armée américaine, habitués des opérations secrètes et de la violence. Ceux-ci sont des types ne connaissant que cela comme mode de vie, incapables d’arriver à construire une existence en dehors. Ils ne sont bons qu’à infiltrer et tuer, les activités qu’ils font depuis qu’ils ont arrêté le service ne parviennent pas à combler le vide qu’ils ressentent.

Quand Santiago, l’un d’eux encore en activité rassemble ses compères pour une opération entièrement indépendante à la frontière du Paraguay, du Brésil et de l’Argentine, ils voient tous l’occasion de faire un baroud d’honneur et de se construire une nouvelle vie. En effet, de façon totalement illégale, les cinq amis décident d’éliminer un grand baron de la drogue et de lui dérober tout son argent. Quand il s’avère que la somme réunie est beaucoup plus colossale que prévue, les difficultés vont commencer, chacun d’entre eux s’encombrant trop pour faciliter leur fuite…

De ce scénario à priori classique, J.C. Chandor tire un film à l’efficacité redoutable, captant à merveille la moiteur de la jungle, la violence sourde qui y gronde et les espoirs de leurs personnages, vivant dans l’illusion que cet argent amassé leur permettra de combler le vide de leur existence, chacun refusant de voir l’inéluctable fait que la vie en société n’est pas adaptée pour eux. C’est flagrant avec le personnage de Ben Affleck (décidément meilleur quand il est barbu), reconverti dans l’immobilier sans succès et qui retrouve avec cette opération un nouveau souffle à sa vie. Évitant les écueils de ce genre de films, Triple Frontière prend ainsi le soin de bien brosser le portrait de chacun de ses personnages, tous interprétés par des gueules qu’on adore (Oscar Isaac, Charlie Hunnam, Ben Affleck) et qu’on aimerait voir plus souvent (Garrett Hedlund, Pedro Pascal).

Souvent plus proche d’un Herzog que le film d’action qu’il pourrait prétendre être (et qu’il n’est pas vraiment, à l’image d’un climax quasi-déceptif), Triple Frontière va même jusqu’à flirter avec l’absurde dans sa deuxième partie alors que l’immense succès de l’opération menée par les personnages les contraint à se trimballer des kilos et des kilos de sacs de billets plus encombrants qu’autre chose, les forçant à commettre des actes de violence pour les défendre, comme si l’argent du sang appelait le sang. Avec ce film nerveux et tendu, J.C. Chandor montre donc sa capacité à insuffler dans chaque genre qu’il aborde une énergie nouvelle, un regard de cinéma acéré à la mise en scène implacable qui laisse la place à la surprise mais avant tout à ses personnages.

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