La grande aventure Lego : Blockbuster

« Bienheureux les simples d’esprit », voilà un adage qui s’appliquerait à merveille à notre héros, Emmet, pur produit de la société de consommation. Formaté et aliéné au possible, il vit son quotidien comme une machine à sourire, heureux de voir toujours les mêmes programmes à la télévision, heureux d’écouter la même soupe à la radio, heureux de payer son café de hipster hors de prix. Transparent au possible derrière ce sourire conditionné, notre automate se retrouvera malgré lui embrigadé dans une histoire de prophétie dont il serait le centre. Un voyage du héros somme toute classique qui pourrait nous faire penser que La grande aventure Lego n’est qu’une vaste opération commerciale reposant sur une licence juteuse. Mais loin s’en faut, alors que se révèle à nous une œuvre riche, aussi astucieuse que touchante.

Le scénario-prétexte nous permet de voyager entre les différents univers que la franchise possède en parsemant le tout de références et traits d’humour tantôt frontaux tantôt discrets (une deuxième vision ne sera pas de trop pour scruter l’arrière-plan). C’est l’une des forces de La grande aventure Lego : permettre un mélange riche des tons et des univers, sans que cela ne fasse tache. On verra alors se côtoyer, le temps de quelques plans, Abraham Lincoln, Wonder Woman ainsi que Gandalf tout en traversant le Far West, les fonds marins ou bien des décors urbains. Il sera aussi plaisant de voir un Batman tourmenté mais narcissique accompagner la fine équipe des héros tout au long de l’aventure. Loin d’un glisser/déposer de référence pour chatouiller l’ego du spectateur qui les reconnaît (bon un peu quand même), cet agrégat de licences n’est cohérent que grâce aux petites briques et à la façon dont elles se sont inscrites dans l’inconscient collectif.

C’est aussi parce qu’on ne nous laisse pas souffler que ce feu d’artifice pop évite d’être aussi racoleur qu’un Sonic ou un Zangief au détour Des Mondes de Ralf. L’action est rythmée et garde son spectateur en haleine jusqu’à un final surprenant et bien pensé. Final que l’on atteint en alternant entre un ton bon enfant et une critique frontale de la société de consommation, ou encore la dérision de certains tropes formels (comme ceux du western) ou plus méta avec la structure narrative de l’œuvre. L’humour qui accompagne ce tout ne manque pas de faire mouche, avec des gimmicks comme l’obsession de Benny de vouloir construire un vaisseau spatial, ou plus appuyé par différentes références comme la véritable identité de Batman, qu’il s’efforce de cacher alors que tout le monde est au courant. Autant de personnages fous que le doublage immortalise avec un casting quatre étoiles comme Morgan Freeman et sa voix d’or, Chris Pratt qui sait se faire oublier derrière le normalissime Emmet ou encore Liam Neeson, qui se paie le luxe de jouer sur les deux tableaux avec le psychotique Bad Cop et le mielleux Good Cop. On mettra aussi les petits plats dans les grands le temps d’un clin d’œil vocal en étayant le casting d’Anthony Daniels, voix officielle de C3-PO qui doublera son avatar Lego, et même Shaquille O’Neil dans son propre rôle, le temps de quelques répliques. C’est avec tous ces éléments que la quête initiatique d’Emmet devient un melting-pot détonant, avec sa petite touche personnelle qui le distingue, grâce à la patte graphique marquée que donnent nos petites briques préférées. Avec un univers aussi particulier, il fallait un bien un studio comme Animal Logic pour donner cette animation à mi-chemin entre le stop-motion et l’animation plus classique pour un rendu unique.

D’aucuns diraient que La grande aventure Lego vise à nous vendre ces petites briques et que sous couvert du cinéma, on assiste à la plus grande campagne de pub jamais créée… Il serait difficile de nier l’aspect marketing du film, surtout au vu des moyens mis en œuvre pour qu’il fasse des entrées. Mais les réalisateurs nous montrent qu’ils ne nous prennent pas pour des vaches à lait bêtes et méchantes, comme celles qu’ils s’amusent à représenter. Ils commencent leur œuvre d’entrée de jeu avec une critique acerbe de la société et les pantins qu’elle crée (thème déjà abordé par les deux lascars dans Tempête de boulettes géantes). Tout doit être à sa place, tout le monde écoute aveuglément le bien nommé Lord Business (Will Ferrell convaincant), sans poser de question. La populace, privée de son libre arbitre, totalement dépendante des instructions, n’est pas sans nous rappeler les humains condamnés à l’asservissement de Matrix. La référence se fait encore plus évidente lorsque l’on aperçoit le think tank ou la ressemblance entre les micro-managers et les machines tentaculaires des Wachowski. C’est aussi un discours plus classique sur la prise en main de son destin puisque celui-ci n’est qu’une fable à l’image de la prophétie de Vitruvius. Emmet devient le héros de sa propre histoire, d’abord par la force des choses puis par lui-même.

Le soin apporté à tous ces éléments, en plus de nous fournir une belle vitrine, met l’accent sur l’importance de l’imaginaire. Les Legos, c’est avant tout un jeu de construction aux grandes possibilités avec pour limite l’imagination (et le portefeuille), ce que le film nous retransmet avec une réussite certaine. Tout comme Pixar nous l’avait montré maintes fois avec notamment la scène d’ouverture de Toy Story 3, ce film aussi est fait par des grands enfants qui s’adressent à leurs pairs et les comprennent. Quel enfant amateur des Legos n’a jamais créé un personnage à l’instar du capitaine pirate dont seule la tête est encore « humaine », avec les pièces qui lui tombaient sous la main ? Le spectateur est certes client, mais un client compris et écouté. Ce n’est pas une simple apologie, mais une réflexion sur la cohabitation et l’équilibre entre l’imagination et l’ordre établi qui nous est proposée. Le tout aidé par l’aspect transgénérationnel des Legos et leur aspect universel. A ce niveau, La grande aventure Lego rejoint les œuvres de Pixar au rang des films d’animation intelligents, aux degrés de lecture multiples, offrant une réelle réflexion et une profondeur autant qu’un divertissement bien huilé.

Cet équilibre on le retrouve finalement pour le film lui-même, puisqu’il allie avec maestria aspect commercial et qualité. Ce qui fait de cette adaptation une réussite totale. Le budget est conséquent, le marketing fonctionne, mais on ne se moque pas de nous pour autant. Ready Player One l’a encore prouvé l’année dernière, le trop-plein de références, la saturation de clins d’œil peut être utilisé à bon escient pour habilement trouver l’équilibre entre réflexion et fun. La grande aventure Lego, tout film de commande qu’il est, a permis par son terreau fertile d’exprimer tout le talent de Phil Lord et Christopher Miller. Le film est un véritable éloge à l’importance de l’imaginaire, à l’enfance, à la construction de soi, tout ce qui fait en somme l’essence même des Legos.

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