L’illusion verte : Rencontre avec Manu Payet

C’est pour nous parler de L’Illusion Verte que Manu Payet nous reçoit pour une courte interview. Le sourire aux lèvres et la mine détendue, l’acteur nous répond avec beaucoup d’humour tout du long comme s’il était déjà sur scène à jouer son personnage. Ses mimiques et improvisations habituelles ponctueront cette entrevue avec l’acteur et son personnage, ou l’inverse.

Comment es-tu arrivé sur ce doublage ? Pourquoi l’avoir accepté ?

Les gens qui font et distribuent le film en France ont eu la gentillesse de m’appeler, de penser à moi. J’ai accepté car j’ai pu le voir avant de dire oui. Evidemment j’ai appris plein de choses, notamment que les questions que je me pose et me suis posé sont les mêmes que le réalisateur. Lorsque j’avais un geste qui était censé œuvrer dans le sens de notre planète, je me suis souvent demandé si le fait que je le fasse, moi, précisément à ce moment là, n’était pas un peu futile ou insignifiant. Est-ce que c’était bien la peine que je m’emmerde à descendre dans le local, parce que la poubelle était évidemment pas au bon endroit. Est-ce que ça a servit à quelque chose que je fasse dix mètres de plus pour trouver la bonne poubelle et trier mes déchets ? Est-ce que parfois j’ai bien fait de ne pas succomber à la flemme que je peux avoir d’aller chercher cette poubelle ? Ou de réfléchir à « Dans quoi va ce détritus? ». Ensuite, est-ce que je ne me suis pas souvent complu dans le choix des emballages marketing qu’ils ont bien enjolivé. Puis que je rentre chez moi et reste dans mon petit confort en me disant « C’est bon, y a un singe qui rit, un dauphin qui nage, j’oeuvre pour la planète ». J’ai découvert le terme « greenwashing », en acceptant aussi bien le terme et la pratique, en participant à ce documentaire. Donc tout cela fait que je ne pouvais pas dire non. Même égoïstement, même pour moi, j’avais besoin de savoir tout ça.

Werner Boote, réalisateur du film.

As-tu rencontré Werner Boote ?

Non, pas du tout. Pour des raisons d’avion. On n’allait pas prendre l’avion pour aller le rejoindre ! Pour des raisons de cohérences et de discours.

Ahaha zéro carbone !

Ouais. Du coup on s’est tous retrouvé à Bali, on s’est fait un super délire avec toute l’équipe du film. (rires)

Et tu connaissais un petit peu son travail ou pas ?

Non, pas du tout, j’ai tout découvert !

Tu as pu regarder justement Plastic Planet ?

Non. On en a parlé. Je n’ai pas encore regardé Plastic Planetmalheureusement. Mais j’ai été assez investi dans le doublage de ce documentaire. C’est pas vraiment du doublage d’ailleurs. J’ai beaucoup écouté la voix off du documentaire pour savoir qu’effectivement ça allait m’intéresser. Après il y a aussi eu un temps de réception: lorsque je l’ai découvert au premier visionnage, puis lors du deuxième quand on a travaillé sur la voix, où toutes les informations que tu reçois de ce seul et unique docu doivent quand même faire un voyage intérieur. Je parle souvent des informations que j’ai moi-même laissé et qui feront un taffe plus tard, mais d’abord je me suis mu par les premières choses qui m’ont tout de suite sauté aux yeux. Le message important autour de ce film, c’est que tu ne ressors pas de là en étant « écoman ». Pas du tout ! En revanche, il y a un travail qui se fait au fur et à mesure. Et je me suis retrouvé à faire des choses, quelques temps plus tard, dans ma façon de consommer qui a, elle aussi, bougée et été modifiée par ce film. Il n’est pas question de tout changer, de devenir génial du jour au lendemain, ce n’est pas du tout ça le but du film. Et je ne pense pas qu’il faille le recevoir comme ça. Si chacun laisse le film travailler un peu à l’intérieur, c’est là que le taffe est le plus intéressant. Je pense.

Hugues Peysson (Distributeur du film à L’atelier des Images) : La raison pour laquelle on s’est intéressé à prendre Manu au départ, outre le fait qu’on avait déjà travaillé avec lui et qu’on savait que c’était quelqu’un de sympathique et de professionnel, c’est parce qu’on avait l’envie d’expliquer et de dire qu’on est tous dans le même bain. Comme le ton du documentaire n’est pas moralisateur, dans son processus, on se dit que quitte à travailler, autant le faire avec des gens qui feront avancer les choses toujours dans le bon sens. On n’est pas devenus experts en huile de palme, en biodiversité, en permaculture etc. Donc l’idée était d’avoir quelqu’un qui puisse apporter, évidemment sa notoriété, mais ce coté de dire « il faut prendre les choses avec philosophie ». Il y a beaucoup de choses que l’on ne sait pas, donc on va apprendre, on va tous se poser les questions. Il n’y a pas de solution miracle. C’est ce que nous a apporté Manu, même dans le texte, dans le doublage, etc. À un moment on double et on se pose des questions. On se dit « est-ce que c’est compréhensible, est-ce que c’est le bon ton, est-ce que cela fonctionne etc… ». D’abord pour que les gens sortent pas flingués en se disant « c’est fini, on peut aller se pendre c’est mieux », et aussi de se dire qu’on a effectivement toutes les clés des histoires du film. Comme de toute façon on ne veut pas changer la manière dont on consomme, voici comment les industriels répondent à ça, ils mettent juste des logos en plus. Ça c’est vraiment le point essentiel. Ensuite vient la motivation. Quand on a eu les retours de Manu, on s’est dit que ça lui avait vraiment plu et qu’il ferait vivre le film.

Le film invite à l’action citoyenne, ce qu’on voit assez rarement dans les documentaires de ce style là. D’habitude on fait le constat de ce qu’il se passe et on reste au même point. Ce film avance une solution par les personnes qu’il invite, les tribus que l’on nous présente, Noam Chomsky, le professeur anarchiste, qui met carrément à plat le problème en disant « le mode politique actuel empêche le développement durable » et qu’un changement ne se fera pas sans heurts. Je voulais connaitre votre opinion par rapport à cette vision. Est-ce que ça vous a parlé lorsque vous avez vu le film ?

Oui, c’est quelque chose qui m’a parlé dans le sens où le discours est parfois assez radical, contre une personne qui jouait au naïf et qui donc me ressemblait un peu plus. Je ré-insiste là-dessus, c’est la liberté avec laquelle on doit recevoir ce message. Je ne veux pas qu’on m’oblige à me mettre en colère, par exemple. Ça ne m’intéresse pas parce que la colère retombe inévitablement. En revanche, tout est resté en moi. Dans ce que vous venez de dire il y a eu quelques clés où je me suis demandé pourquoi c’est resté. Justement parce qu’on ne m’a pas forcé la main, on m’a montré et après il a été question d’action citoyenne. J’ai pas envie d’être pris pour un con, je veux juste savoir ce que je consomme. Ce n’est même pas tant pour moi, je suis un fêtard, j’aime les bonnes bouffes, les grandes tables, j’adore être français, j’adore la gastronomie, je parle que de bouffe. Par exemple, hier avant de faire la cuisine, je descends acheter les ingrédients qui nous manquent. En arrivant à la caisse, il y a deux articles que je repose. Ça ne m’arrivait jamais avant ! Je les repose en me disant « Non mais ça c’est bon, j’en ai pas besoin, c’est de la gourmandise ». Je réfléchis à ce que j’achète, j’émets une réflexion. Depuis toujours quand mes parents faisaient les courses, on prenait, on mettait dans le panier sans trop regarder. Ce n’est pas une question d’argent là, je parles juste de se dire que des tomates sont des tomates et les oignons sont des oignons. Ce greenwashing me fait me dire qu’en plus d’agir de manière citoyenne de plus en plus souvent, le but du film fait un bon travail sur moi car c’est parfois inconscient. Je réalise après que j’ai agis pour l’environnement. Je me suis déjà auto-congratulé à la maison (rires), puisqu’il y avait personne pour le faire à ma place. Dommage qu’il n’y ait pas eu une fanfare. (rires) Ce sont les petits actes du quotidien devenus inconscients. Avant il y avait une flemme aussi, ou ce sentiment d’être tout seul et que personne n’est là pour juger notre geste quel qu’il soit.

Hugues Peysson : Il y a un mot qui revient c’est « consomm’acteur ». Je pense qu’on est dans une société où tout est un peu comme le GPS. Il nous donne un chemin, tout le monde le prend, puis quand vous n’avez plus de GPS vous ne savez plus y aller. C’est ça la problématique, si vous ne vous renseignez pas, si vous ne faites pas preuve d’un minimum de réflexion, vous allez tout de suite prendre le dauphin, les abeilles, le truc, etc, tout ce qui est jolie sans jamais savoir pourquoi. Après il y a un truc qui m’a marqué aussi, c’est de voir qu’il y a des produits qui ne devraient pas exister. On ne peut pas être un expert de tout. Et il y a des produits où les gens disent « Ah mais en fait c’est pas bien », le meilleur exemple c’est celui du café. On achète quasiment tous du café d’enflure (dixit le documentaire). Mais on ne devrait pas avoir le choix entre un café produit dans des conditions horribles et un café « responsable ». Il devrait y avoir le rayon des produits normaux et le rayon des produits pourris.

Attendais-tu un choc, une révolte chez les gens et chez toi avant et après l’avoir vu ?

J’ai réalisé que ça ne pouvait pas être miraculeux. J’ai réalisé que ça ne se ferait pas en deux secondes chez moi comme ça, parce que j’ai mes putains d’habitudes. Et moi encore j’ai les moyens d’avoir le temps d’y penser, de m’en soucier. J’écris à la maison, aujourd’hui je suis pas là pour l’interview, j’aurais été à la maison, sur mon ordi. Si je n’ai plus de café, je descends deux secondes en acheter dès que j’en ai besoin ou envie. J’ai le temps de me demander quel café prendre. Tout cela prend du temps. Il y a des gens qui n’ont pas le temps de prendre ce moment. J’ai réalisé ça. Imaginez ! Ça veut dire que je suis au début du début du truc. C’est-à-dire que je vois des personnes arriver en fin de journée, avant de libérer une nounou ou de passer à la crèche, et partir en speed dans le magasin. Et ce car ils n’ont pas fait les courses pour le soir, parce qu’il faut nourrir le petit, quand c’est pas LES petits et arrivent à la caisse en trombe et en nage. Moi derrière, je suis détente, je regarde dans leur panier et je vois qu’ils choisissent au plus vite. Mais je ne suis personne pour eux. Donc ce film là existe aussi pour que les informations fassent ce voyage là, qu’elles modifient parfois même inconsciemment. C’est une sorte de poussée de conscience commune qu’il faut avoir. Et à long terme c’est super pour notre planète, et en ce qui nous concerne, une conscience commune nous fait nous mouvoir dans le même sens et être d’accord. Je pense que c’est de ça dont on a besoin.

Hugues Peysson :  Puis je ne pense pas que les industriels ont un agenda caché pour faire les produits les plus pourris du monde pour que les gens consomment. Par contre, si à un moment ils voient que les produits ne se consomment plus parce que les gens disent « Non mais ça on a décidé qu’on ne le prenait plus », ils vont trouver d’autres solutions. Évidemment, ils sont là pour faire gagner de l’argent, mais en fonction de notre consommation.

M.P : Exactement ! C’est là qu’on peut modifier les choses, parce qu’on fait partie de la chaîne. Si l’on ne consomme plus, ils ne vendent plus. Du coup ils se font moins d’oseille. C’est à nous de le savoir et d’être malin ! Et moi je l’ai découvert récemment qu’il faut être malin. Je ne suis pas formé à être malin, j’ai un niveau deug. J’ai même pas le deug. Ça existe même plus le deug. Donc je ne suis pas là pour être malin ! Au départ je suis juste là pour pouvoir acheter du café pour tous les gens qui habitent avec moi et chez moi. Et pour ça, je me donne le temps, enfin j’essaie.

Hugues Peysson : C’est vrai que parmi les messages qu’on nous envoie souvent en communication, il y a des trucs auxquels on ne réfléchit pas toujours. Mais c’est pareil chez Mcdo depuis Supersize Me, si vous y retournez, la bouffe a pas tellement changé mais c’est surtout que tout est en bois, tout est vert maintenant.

C’est vrai, à la base McDo c’est rouge et jaune et c’est devenu vert et je ne sais pas depuis quand.

Hugues Peysson : Depuis Supersize me. Après il y a des effets, ils sont quand même obligés de communiquer et de dire un minimum d’où provient la bouffe. Il y a des choses qui bougent mais parce que quelqu’un à fait porter sa voix. C’est ça la force du documentaire, on nous dit un truc mais on ne peut pas se rendre sur place pour vérifier. Là, le réalisateur va directement en Indonésie, tout est brûlé, c’est limite de la science-fiction. Et dans les champs de palmier il n’y a plus un insecte, plus une vie, plus un bruit, tout est carré, aligné, c’est inquiétant.

Tu as animé récemment le Montreux Comédie Festival, et le thème c’était l’écologie. Considérais-tu avoir une responsabilité, ou du moins une carte à jouer sur la question écologique?

M.P : Non, mais ça tombait bien. Ils m’ont proposé d’animer le gala de clôture et il fallait un thème. On a eu des idées et de mon côté je suis allé à ce qui me touchait le plus au moment où on m’a posé cette question. Je devais jouer des morceaux de mon spectacle, mais mon spectacle n’évoque pas vraiment cette question. On a gratté des textes exprès et on s’est dit « Tiens, je vais jouer le prof qui ramène un peu toujours sa science sur le tapis et on fera les élèves qui viennent déconner durant le cours du mec et joueront leurs texte etc… ». On a essayé de rendre le spectacle un peu plus ludique, rigolo pour que le gars qui éteint son poste ne l’oublie pas dans la foulée. Que le téléspectateur en zappant, s’il tombe sur un autre programme qui en parle, ça fasse un peu écho dans sa tête et ça reste imprimé comme une arrière pensée. J’essaie de contribuer comme je peux à la cause quand je suis devant un micro ou face à une audience, en tout cas à celle-ci qui me tiens à cœur.

Propos recueillis par Aymeric Dugénie lors d’une table ronde.
Remerciements à Aude Dobuzinskis

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