My Beautiful Boy : Transcendance d’un sujet banal.

Il  y avait tout à craindre d’un énième film autour d’un jeune homme drogué, dont le père aimant et désemparé fait tout pour l’aider avant de se rendre compte que malgré tout l’amour qu’il peut éprouver pour son fils, seul ce dernier a les cartes en main pour se ressaisir ! On se souvient encore douloureusement du catastrophique Ben is back, dans les salles actuellement, et de sa lourde leçon de morale calibrée pour les soirées débats ! Bien sûr, entre le cinéaste anonyme derrière ce dernier, et le metteur en scène belge à l’œuvre ici, il y a un monde, et l’on espérait secrètement, malgré l’alerte « film à Oscar », que celui-ci ait gardé un peu de sa personnalité pour son passage aux États-Unis, dont le système de production s’avère rarement compatible avec les velléités d’auteur ! Et pourtant, faisant fi de tous les écueils se plaçant vicieusement sur sa route, le cinéaste auteur d’une poignée de films parmi les plus marquants des dernières années réussit son examen de passage avec les honneurs, parvenant à réaliser le film parfait, en tout cas sur pareil sujet.

La première scène nous place d’emblée du côté de David Sheff, interprété par un Steve Carell plus émouvant que jamais, dont la profonde justesse du jeu ne cesse de nous bouleverser de film en film, père dévasté cherchant à comprendre ce que son fils peut chercher en ingurgitant toutes les drogues possibles et imaginables, notamment la Crystal meth ! Jeune homme à priori promis à un brillant avenir, ce dernier s’est enfermé dans un système d’auto destruction, esprit torturé ne trouvant un sentiment d’apaisement qu’en poussant son corps dans ses derniers retranchements. Lorsqu’il s’en rend compte, son père fait bien évidemment tout ce qui est en son pouvoir pour le sortir de cet enfer, mais le chemin sera particulièrement long et modifiera l’existence de chaque personne impliquée …

Au lieu de nous asséner les éternelles banalités moralisatrices et catho sur la valeur de la famille et de Jésus pour se sortir de ce genre de situation, le cinéaste opte d’emblée pour le cinéma pour nous faire ressentir au plus près le chaos émotionnel traversé par les protagonistes principaux. Il a bien compris que le spectateur n’avait pas besoin d’être pris pour un enfant à qui l’on infuserait au forceps son discours, et qu’un bon film devait avant tout porter un véritable point de vue de cinéaste sur son sujet. Et ici, ce point de vue est véhiculé par la force de la mise en scène de Felix Van Groeningen, dont le talent et l’envie de composer de beaux cadres, le tout servi par une photographie léchée, ne datent pas d’hier. En effet, ses travaux précédents, de « La merditude des choses » à l’exalté « Belgica » en passant évidemment par « Alabama Monroe », mélo lyrique et dévastateur faisant pleurer rien qu’à son évocation, au-delà de leurs qualités narratives, se distinguaient particulièrement par leur forme flamboyante, où la caméra flottante et sensorielle se baladait autour des personnages, comme un personnage à part entière, épousant parfaitement les émotions de ces derniers, et évoquant quelque peu le style d’un Emmanuel Lubezki, notamment son travail auprès de Terrence Malick ! Malheureusement, et c’est la seule petite frustration ressentie ici, on ne sera pas exactement au même niveau, et si le cinéaste n’a rien perdu de son goût pour un filmage poétique et sensuel, nous faisant réellement pénétrer l’écran, celui-ci se fera plus posé, moins libre, plus cadré, mais finalement, son sens inné de la narration restant intact, on ne fera pas la fine bouche et l’on ne pourra que s’incliner devant la façon dont il aura réussi à faire une œuvre personnelle à l’intérieur d’un système impitoyable envers les cinéastes (étrangers ou non) cherchant à imposer une vision.

On est ici dans un canevas à priori bien balisé, réellement transcendé par la sensibilité du metteur en scène, une sensibilité très européenne, qui transparaît à chaque instant de ce drame qui aurait pu s’avérer très oppressant, mais prend le spectateur par la main, sans pour autant esquiver les aspects les plus crus de son scénario (les scènes de piqures sont présentes, sans la moindre complaisance) ! Seulement, la profonde attention accordée aux émotions de chaque personnage, et surtout, cette façon si délicate de respecter l’intégrité de chacun, sans jamais émettre le moindre jugement, est tout à l’honneur du cinéaste, qui reste à bonne distance, pudique, sobre en toutes circonstances, laissant le spectateur seul juge potentiel de ce qui se déroule à l’écran.

Bien sûr que n’importe qui de sensé se placera naturellement du côté du père d’une dignité de chaque instant, présent jusqu’au bout, même lorsque ce dernier finira un temps par lâcher prise, ne sachant plus comment assumer les multiples rechutes de son fils. On a plusieurs fois l’envie de secouer ce dernier, et pourtant, la délicatesse de ton est telle que l’on n’a qu’une envie, c’est de le voir s’en sortir, et que l’on souffre de le voir plus bas que terre. Car ce que le film réussit à merveille, et qui là encore, rappelle les films précédents du cinéaste, c’est cette captation d’instants de vie, à travers un montage juxtaposant les instants présents avec de courts flash backs, laissant filtrer à travers l’écran la vie, ses joies et ses peines, filmant les enfants et la vie de famille, dans un style évoquant un peu le cinéma de Jean-Marc Vallée, non seulement pour ce sens de l’image commun aux deux cinéastes, mais également pour cette utilisation fulgurante de la musique, toujours là aux bons moments, et servant à accentuer ce que traversent les personnages à ces moments précis. Même sans ça, les scènes seraient déjà puissantes, de par l’interprétation au taquet de chaque acteur (jusqu’aux plus petits seconds rôles, ils sont tous parfaits), et la grâce transparaissant dans chaque image, mais leur intégration d’une intelligence rare est juste la cerise sur le gâteau, et confirme Van Groeningen comme un auteur sensible et précieux du cinéma contemporain, dont chaque film constitue une nouvelle pierre sur un édifice dédié à la vie dans tous ses états, et pourrait, selon les sensibilités de chacun, nous accompagner toute une vie, comme un doudou réconfortant.

Ce film, malgré son sujet douloureux, rentre donc parfaitement dans cette filmographie exemplaire (même si nous n’avons malheureusement pas pu voir ses deux premiers longs inédits en France), et sera même parvenu à nous réconcilier (du moins pour l’auteur de ces lignes) avec Timothée Chalamet, jeune comédien hype du moment, de tous les projets les plus cools, avec son air de dandy agaçant (et encore, c’est pour rester poli), dont on peinait jusqu’à maintenant à comprendre l’engouement l’entourant. Sa sincérité et ses face-à-face saisissants avec Steve Carell auront réussi à nous faire taire, au moins un instant, ce qui n’est pas la moindre des réussites de Felix Van Groeningen, dont on continuera donc à guetter chaque nouveau film avec la même impatience.

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