La Mule : Raisons et sentiments

Considérer la fin de carrière de Clint Eastwood avec Le 15h17 pour Paris aurait donné le sentiment d’une tromperie sur le dessein d’un parcours presque parfait. La Mule vient alors rectifier le tir. Clint Eastwood se partage de nouveau la réalisation et le rôle principal, ce qui ne lui était plus arrivé depuis Gran Torino en 2009. Il incarne ici Earl Stone, un vétéran de la guerre de Corée et un horticulteur acharné, aujourd’hui âgé de 90 ans. Endetté jusqu’au cou et sans perspective réelle d’emploi, il accepte un «job» particulièrement facile et lucratif : celui de chauffeur. Tout ce qu’il lui est demandé, c’est de traverser la frontière, pour le compte d’un cartel mexicain. Mais alors que ses factures passent au rayon des mauvais souvenirs, le poids de son passé refait surface. Et il va falloir faire vite, car Colin Bates, agent de la DEA, se met à le traquer.

Avec La Mule, nous retrouvons l’essence du cinéma d’Eastwood. Les codes sont là avec en premier lieu la carrure fatiguée d’un acteur magnifique. Clint Eastwood est de nouveau cet homme solitaire et taciturne. Une posture identique à celle de Walt Kowalski, personnage incarné dans Gran Torino. Les deux films ont un liant évident. Eastwood récite ses gammes, mais parle de nouveau d’un homme seul qui va se rattacher à des liens familiaux forts. Le long-métrage peut paraître trompeur, notamment via les bandes-annonces et le marketing de la Warner. Le film n’est jamais le thriller sombre souhaité, mais le drame d’un homme qui est passé à côté de sa famille par égoïsme. Earl Stone a vécu sa vie pour ses petits plaisirs délaissant sa fille à toutes ses étapes importantes de sa vie. L’homme est retranché dans l’amertume de cette vie essayant de se rattraper avec sa petite fille. En parallèle, il est cette mule, un travail lui rapportant beaucoup d’argent. L’homme se transforme en Robin des Bois, prenant aux riches trafiquants pour aider sa pauvre famille et son entourage proche. Eastwood a l’intelligence de ne pas effacer les travers de l’homme. Il reste au fond ce patriarche solitaire et fier. Mais l’épreuve de ses déboires avec la banque lui sert de déclic.

Avec La Mule, Clint Eastwood prend de la hauteur sur son sujet en axant son point de vue sur la personnalité de Stone. Le film ne se positionne jamais sur les voyages, mais sur les rapports familiaux d’un homme seul. Ce cher Clint se permet même de faire le parallèle avec le cartel, soi-disant famille soudée sortant les enfants des rues pour leur donner une situation. Mais tout n’est que traitrises et meurtres. Une image qu’il renvoie, comme un miroir, vers ce flic coriace qui souhaite faire tomber le cartel et cette mule réputée passe-partout. Incarné par Bradley Cooper qui retrouve Eastwood après American Sniper, Colin Bates est ce flic débarquant à Chicago ne tardant pas à mettre sa famille de côté pour les besoins de son boulot. Le schéma similaire d’hommes se sacrifiant pour les besoins de leurs foyers. La mise en sécurité matérielle et physique qui passe comme une trahison, une faiblesse ou un égoïsme alors que tout cela ne venait d’une volonté d’amour maladroite.

La Mule est l’histoire des sacrifices d’hommes pour leurs familles respectives. Tous, comprenant même le personnage interprété par Michael Pena qui par le biais d’une réplique avoue se débrouiller avec sa femme pour que tout se passe correctement, ayant une famille nombreuse. La Mule donne cette impression d’une dernière parole sage de la part d’Eastwood sur l’importance des siens. Son foyer et ses 7 propres enfants, lui qui a connu quelques déboires, regrettables aujourd’hui, résonnant notamment après le décès récent et discret de Sondra Locke. On ne reviendra pas sur l’histoire d’un homme, mais La Mule est la réflexion d’un homme empli de regrets. Comme l’exutoire de ses pêchés qui l’ont conduit vers cette prison, en l’occurrence l’image d’une star qui regarde derrière son épaule, et se demande si tout cela a bien servi à quelque chose. Il continue malgré lui à la cultiver, car il ne sait faire que cela. Mais aujourd’hui, le cinéma de sa vie lui sert d’apaisement en attendant l’inéluctable.

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