El Reino : Jusqu’ici tout va bien…

Le royaume de la politique, impénétrable soit-il, sous la gouvernance d’une élite qui se croit au-dessus de tout. Après le ratage complet de Silvio et les autres par Paolo Sorrentino sur un sujet identique, Rodrigo Sorogoyen réussit à imploser les codes du genre par un manichéisme bienvenu. Deux ans après le poisseux Que Dios nos Perdone, Sorogoyen revient avec un tout autre film se focalisant sur une politique régionale corrompue qui va exploser avec l’arrivée d’un jeune loup aux dents longues. L’éclatement d’un système pourri jusqu’à l’os, un crabe grignotant la charogne d’une Espagne mourante, le film se déroulant en 2008.

L’histoire suit Manuel Goìmez Vidal, un homme politique apprécié et reconnu. Alors qu’il est en passe de devenir le futur président de son parti, un scandale de corruption et de détournement de fonds publics inculpant un de ses amis les plus proches éclate au grand jour. Manuel se retrouve alors confronté à une multitude d’affaires qui vont le précipiter dans un engrenage infernal…
Manuel Goìmez-Vidal interprété par Antonio De La Torre, reconnu récemment pour deux films forts et brutaux, dont La Colère d’un Homme Patient. Il retrouve ici Rodrigo Sorogoyen après avoir été l’un des flics de Que Dios Nos Perdone traquant le tueur de personnes âgées dans un Madrid suffocant.
Il est ce politicard, figure de dos dans un plan-séquence sublime introduisant le personnage telle une étoile prenant le chemin du ring. On le voit lumineux sur la plage, les spots resteront braqués sur lui pendant les deux heures du film. Il sera de tous les plans, d’un charisme assuré, son orgueil dégoulinant de chaque pore. Au départ bienveillant, il se révèle au fur et à mesure être un véreux de la pire espèce. L’égoïsme dans lequel il s’est fourvoyé le transformant en une sorte de monstre de la politique qui ne voit pas plus loin que son nez. De La Torre resplendit ce mauvais rôle sublime pour un acteur de sa trempe. C’est l’explosion à 50 ans, acteur populaire en Espagne, mais reconnu depuis peu en France. Un regard assuré renvoyant au Robert De Niro de la grande époque. Il est ce politique ayant fait de cette petite vie véreuse une entreprise. Sorogoyen montre une peinture idyllique pour mieux le descendre en fond, un homme trompeur et faux sous l’apparat de costards sur-mesure.

Par le prisme de Goìmez-Vidal, Rodrigo Sorogoyen traite cette politique ayant fait chuter la société espagnole. Un pays ne supportant plus la pression de politiques s’en mettant plein les poches. La saturation d’un système mafieux entre pression, meurtres et argents sales. El Reino est à cet effet un film électrisant et passionnant. Nous sommes en Espagne, mais Sorogoyen ne prend aucun parti-pris. Nous ne connaîtrons jamais la position de Goìmez-Vidal dans la politique espagnole. Cela reste volontairement confus, mais peu importe, le sujet est universel. Cela pourrait même se dérouler dans un autre pays, Italie, France… Le réalisateur fait le choix d’ouvrir son sujet en l’inscrivant d’une pédagogie mesurée. Point de fixement sur une affaire en particulier, tout est fiction, simple et efficace. Pour mieux captiver son spectateur, il inscrit El Reino en un thriller parfois paranoïaque d’une efficacité hors-pairs. C’est sincèrement brillant, notamment ce face-à-face final, un véritable combat au poing sans retour possible, un anti-héros prenant le mur de pleine face, sympathique, mais faux dont on se réjouit après projection de la chute sans parachute doré.