Un crime dans la tête : Tuer n’est pas jouer

Cela fait un bon moment que nous saluons le travail éditorial de Rimini Editions dans les colonnes de Close-Up Magazine et il semble que nous n’allons pas nous arrêter de sitôt. En effet, les voilà qui permettent de remettre sur le devant de la scène John Frankenheimer, cinéaste passionnant mais un peu trop oublié du public, en éditant en Blu-ray et DVD Un crime dans la tête, l’un des plus grands thrillers paranoïaques du cinéma américain des années 60.

Alors encore au début de sa carrière cinématographique, Frankenheimer semble en pleine possession de ses moyens dans ce qui reste encore l’une de ses plus belles réussites. Soit l’histoire de Raymond Shaw, un homme qui revient décoré de la guerre de Corée après avoir subi un lavage de cerveau. En effet, capturé pendant la guerre par les communistes, il a été conditionné pour répondre à des signaux précis le rendant totalement obéissant, capable de tuer froidement la personne qu’on lui ordonne. Évidemment inconscient de tout ça, Raymond tente de se reconstruire à son retour de la guerre, oppressé par une mère tyrannique et envahissante. Pendant ce temps, le major Marco, qui était capturé avec Raymond lors de ces expériences, fait des cauchemars récurrents où ses souvenirs remontent à la surface. Il va alors enquêter et tâcher d’empêcher Raymond Shaw de commettre l’irréparable…

Réalisé en 1962 en pleine Guerre Froide, Un crime dans la tête utilise ce contexte comme un prétexte pour élaborer une thématique plus vaste qui est celle du libre-arbitre de l’être humain. Raymond Shaw, qui n’avait jamais tué personne et qui s’avère capable d’étrangler froidement l’un de ses compagnons d’arme, est au cœur d’un tiraillement terrible, entre l’innocence la plus totale et la violence la plus glaciale. Une violence conditionnée par un traitement terrible auquel il est difficile d’échapper. Plus largement que la peur du communisme (les producteurs étaient un peu frileux à l’idée de financer un film aussi ouvertement anti-communiste mais l’engagement de Frank Sinatra sur le projet le rendit immédiatement bankable), c’est tout un système déshumanisant l’être humain que Frankenheimer et son scénariste George Axelrod dénoncent. Et ce système est aussi pourri du côté des communistes que celui du côté de l’Amérique avec ses magouilles politiques et ses assassinats commis pour la prise de pouvoir.

Sans aller jusqu’à dire que le film est prophétique, il met en scène un homme programmé pour assassiner le futur président des États-Unis un an avant l’assassinat de JFK à Dallas. Douloureuse coïncidence, Frankenheimer sera par la suite conseiller en communication de Robert Kennedy avant que celui-ci ne se fasse également assassiner. Le cinéaste, qui n’a pas son pareil lorsqu’il s’agit de mettre en scène la paranoïa et l’enfermement psychologique de ses personnages, réalise donc avec Un crime dans la tête une œuvre puissante et trouble sur la façon dont les rouages du système corrompent les humains qui s’accrochent à ce qu’ils peuvent pour rester libres. Usant de cadres serrés, de cadres penchés et de longues focales pour mieux isoler ses personnages, Frankenheimer livre un film tendu dont la puissance ambiguë (la relation entre Raymond et sa mère, que l’on découvre incestueuse) fonctionne avec toujours autant d’intensité aujourd’hui. Saluons à ce titre l’interprétation du film, chaque acteur étant totalement impliqué dans son rôle, notamment un Laurence Harvey étonnant en homme à la fois victime et coupable qui se découvre au fil du récit.

Pour compléter l’édition, Rimini a évidemment concocté quelques bonus dont 25 minutes d’entretien avec le critique Bernard Benoliel qui permettent de mettre en avant le travail de John Frankenheimer, ses thématiques favorites et la façon dont il a tourné le film. Plus anecdotique mais intéressant également, une archive de 1988 où John Frankenheimer, Frank Sinatra et George Axelrod conversent autour du film, soulignant le soutien de poids que fut Sinatra au projet dont il garde une fabuleuse expérience. Dommage qu’elle ne dure que sept minutes mais c’est déjà une bonne chose qu’elle figure dans les compléments de ce film singulier et totalement inoubliable.

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