Les veuves : Quand les hommes ne sont plus capables d’assurer …

Après trois films particulièrement remarqués dans la sphère cinéphile, et un couronnement aux Oscars en 2014 en point d’orgue, on peut dire sans exagérer que le britannique Steve McQueen était attendu au tournant pour son grand retour, 5 ans après Twelve years a slave, qui avait su allier succès critique et public, il faut le dire bien aidé par son sujet rassembleur ! Reconnu pour son cinéma radical malmenant le corps de ses protagonistes (que ce soit sur le sujet de la grève de la faim dans son premier film choc Hunger, de l’addiction au sexe dans le chef d’œuvre Shame ou de l’esclavage dans Twelve years a slave), et ne faisant aucun cadeau au spectateur, d’une intransigeance plastique ne connaissant que peu d’équivalent dans le cinéma contemporain, le cinéaste a semble-t-il consciemment cherché à réaliser ici une œuvre qui parviendrait à concilier exigences d’auteur et cinéma populaire, à travers le genre bien balisé du film de braquage. Avec en ligne de mire le monument Heat de Michael Mann, il avait fort à faire pour nous faire oublier, du moins l’espace de la projection, ce qui reste encore aujourd’hui comme le film ultime du genre, fresque sublime accordant autant d’espace à l’intimité de chacun de ses protagonistes qu’à des scènes de guérilla urbaines jamais égalées depuis. Et malgré le respect que l’on peut avoir pour le cinéaste, ce n’est pas avec ce film que cet exploit sera accompli, même si le spectateur peu exigeant aura au moins la satisfaction d’assister à un bon film, ce qui, de la part de n’importe qui d’autre, pourrait suffire, mais qui entraîne forcément une légère déception au vu du CV du metteur en scène.

En plaçant son action à Chicago, le cinéaste cherche d’emblée à faire œuvre sociale, avec comme point d’ancrage pour l’intrigue une lutte de pouvoir entre clans politiques, et les magouilles, y compris criminelles, qui vont avec. Cet aspect de l’intrigue aurait dû être ce qui différencierait ce film en particulier de tant d’autres avatars sans âme ni envie, se contentant la plupart du temps de quelques scènes de fusillades fortes pour donner l’illusion d’un film marquant. Rien de tout cela ici, donc, et pourtant, même si on est la plupart du temps captivé, jamais l’étincelle qui embraserait le tout et donnerait quelque chose de réellement incarné et ample, ne viendra jamais faire décoller l’ensemble du simple polar vaguement auteur, à la forme professionnelle et à l’interprétation au cordeau. Il manque un élément essentiel pour atteindre ce niveau, à savoir la sècheresse qui caractérisait le sommet de Michael Mann, et qui semble essentiel pour tout polar digne de ce nom. Même dans ses éclats de violence, il manque cette tension qui rendrait le film vraiment impactant, au-delà de qualités qui, prises indépendamment de l’œuvre, sont évidemment au-dessus du lot commun du genre. Seul le personnage de nettoyeur incarné par Daniel Kaluuya (le héros de Get Out), vient enfin mettre un peu de sentiment de danger, de par la violence dont on le sait capable dès sa première apparition à l’écran. Dès lors, chaque fois qu’il apparaîtra, le spectateur sentira que tout peut déraper. Lorsqu’un personnage de méchant est réussi, une grosse partie du travail est faite, et l’acteur peut donc s’en féliciter.

L’envie de remettre sur le devant de la scène des personnages de femmes trop longtemps considérées comme des éléments du décor, au profit des hommes au centre de l’action, qui servent généralement de présence rassurante et incassable, était louable. Et on peut dire que le personnage de Viola Davis est particulièrement bien incarné et défini, résiliente et que l’on sent toujours en contrôle de ses émotions, réprimant une tristesse et une colère qui sont prêtes à éclater à tout moment. De ces instants forts et sans excès mélodramatiques, le film tire sa substance, ce qui le démarque un peu du tout venant. Par sa mise en scène, ensuite, comme on pouvait s’en douter, car Steve McQueen n’a pas perdu son goût du formalisme un peu chic, mais néanmoins toujours maîtrisé et justifié, que ce soit dans ses décors super design (l’appartement de Viola Davis, qui évoque celui dans lequel Michael Fassbender déambule dans Shame), ou ses choix de cadrages, où les reflets ont souvent leur importance. On retiendra également une scène de dialogue dans une voiture, hors champ, la caméra restant fixée à l’extérieur, laissant défiler le décor changeant, passant de quartiers populaires à la maison du personnage de Colin Farrell, symbole d’une élite se repassant le pouvoir de père en fils. Un instant fort dans lequel on retrouve la patte du cinéaste qui, dès qu’il le peut, cherche à filmer des scènes banales sur le papier, comme personne d’autre ne l’aurait fait. D’une discussion qu’il aurait pu capter en champs/ contrechamps, ou bien en plan fixe sur les deux personnages, il choisit l’option d’une mise en scène conceptuelle et signifiante, faisant passer les enjeux principaux et plus métaphoriques, d’un même élan.

Pour le reste, on regrettera une durée un peu trop étirée, non que l’on s’y ennuie particulièrement, mais la volonté de retarder au maximum le fameux braquage que les veuves du titre sont obligées d’accomplir, n’est pas forcément concluante, tant celui-ci s’avère expédié et volontairement anti-spectaculaire. Cela passerait si le film restait réaliste d’un bout à l’autre, mais certains éléments peu crédibles survenant à ce moment ont tendance à un peu disperser l’attention que l’on pouvait avoir jusque là. On peut ajouter à cet état de fait un twist certes inattendu, mais plutôt maladroit et faisant basculer le film dans un comique dont on a du mal à définir à quel point il était voulu, surtout que les enjeux qui le sous-tendent sont dénués de l’intensité dramatique qui aurait du bouleverser le spectateur. Au lieu de ça, le climax émotionnel fait un peu pschitt, et laisse quelque peu décontenancé.

Rien de catastrophique au demeurant, le film restant suffisamment bien réalisé et solidement interprété, pour occuper l’esprit durant la projection. Mais on regrette que le cinéaste n’ait pas fait preuve d’un peu plus d’audace concernant le traitement finalement très convenu de son sujet, fait pour ratisser le plus large possible, et ne perdre personne en cours de route. On y gagne un film honnête, mais on espérait simplement beaucoup plus de sa part.

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