La Ballade de Buster Scruggs : La mort aux trousses

D’abord annoncé comme une mini-série pour finir en long métrage, La Ballade de Buster Scruggs garde malgré tout ses six segments, comme prévu à l’origine. C’est donc un film à sketches que nous proposent ici les frères Coen, pour leur troisième incursion dans l’Ouest sauvage. Ce véritable pot-pourri de gueules et d’ambiances de westerns, naturellement inégal, trouvera des préférences variables selon le spectateur. Des frasques de Buster Scruggs, hors-la-loi verbeux et provocateur (qui nous rappelle le Terrence Hill de Mon Nom est Personne, le gore en plus), à la recherche d’or par un vieillard taciturne, en passant par un duo d’artistes itinérants, le panorama se veut large et varié. On enchaîne fables légères, voire cartoonesques, et récits plus âpres. L’exagération côtoie la retenue, mais le spectre de la mort plane toujours, aussi impitoyable qu’imprévisible. Un ensemble sardonique, qui contraste avec la beauté des décors que l’on nous laisse admirer.

Le travail du directeur de la photo, Bruno Delbonnel (déjà présent sur Inside Llewyn Davis) qui malgré un environnement difficile à dompter (les orages du Nouveau Mexique qui forcèrent des réajustements), réussit à ajuster le ton et la mise en scène de chaque partie avec maestria. On passe des grandes et chaleureuses cartes postales de l’Amérique sauvage qu’arpente Buster, à des instants plus intimistes et froids comme le voyage de la sixième partie (Les Restes mortels), qui se plonge progressivement dans la pénombre. L’ensemble, s’il reste disparate jusque dans sa représentation, est traversé par la patte des Coen.

On alterne entre la screwball comedy de leurs débuts (Arizona Junior), que l’on retrouve d’entrée de jeu, pour aller vers des tonalités sombres, qui apparaissent plus tard dans leur filmographie. Les auto-références vont bon train (comme cet ange à la harpe que l’on voyait déjà dans la conclusion du Grand Saut), tout comme celles au genre du western en général. Mais une chose ressort chez les Coen, c’est cette utilisation (ou non) du langage, pour caractériser ces pauvres hères et faire évoluer l’intrigue. Que ce soit les bonimenteurs que sont Scruggs ou les chasseurs de primes des Restes mortels (un auto-portrait des réalisateurs ?), l’orpailleur taiseux qui finit par dialoguer avec la montagne qu’il exploite dans Gorge Dorée, ou encore les puissantes déclamations de l’homme tronc dans Ticket repas, la prose est reine et remplit toutes les fonctions.

Les Restes mortels est à cet égard un véritable tour de force d’écriture. En effet la dernière partie n’est ni plus ni moins qu’un dialogue de vingt minutes entre cinq occupants d’une diligence (qui rappelle au passage Les 8 Salopards). Chacun y va de sa logorrhée sur sa vision de la vie, de ses congénères (le fameux « il y a 2 types de personnes » qui nous rappelle un certain Clint E.) dans un exercice de style aussi vain (de prime abord) qu’il est savoureux. La parole se passe comme un rituel, chacun devient conteur puis auditeur dans ce petit habitacle où le mot est autant affaire de transmission que de rythme.

Chaque partie garde les marques d’une récurrence, tantôt comique avec les multiples duels qu’engage Buster, tantôt marque d’une routine (la pièce de Ticket repas ou du chercheur d’or de Gorge dorée) ou simplement d’une discussion qui aborde inlassablement les mêmes sujets. Ces cycles seront toujours brisés par la mort, qui frappe où on l’attend et parfois juste à côté pour conserver l’aspect absurde de l’existentialisme qui habite le long-métrage. Abrupts ou entendus, les décès des personnages restent le grand fil rouge du film. N’importe qui dans cette galerie fleurie et ce casting de choix (Liam Neeson et James Franco entre autres…), peut être une cible potentielle. L’Ouest est un terrain de choix, pour qui veut laisser l’aléatoire prendre le pas sur le juste, les situations et les cadres varient, mais cette incertitude reste paradoxalement la seule constante pour les personnages.

S’il n’a pas le calibre des Coen des grands jours, La Ballade de Buster Scruggs reste appréciable, ne serait-ce que pour ses qualités techniques indéniables. Chacun peut y trouver son compte, au moins partiellement, mais rarement sur l’ensemble. Déséquilibré, mais digne d’intérêt, un Coen mineur vaut bien un majeur levé à une industrie qui les boude.

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