La mise à mort de la licorne

Le 14 août 1980, l’actrice et mannequin Dorothy Stratten est violée puis assassinée par Paul Snider, son mari avec lequel elle avait entamée une procédure de divorce. Cette tragique histoire est le drame le plus marquant vécu par le cinéaste Peter Bogdanovich qui était tombé amoureux de Dorothy Stratten quelques mois plus tôt et avec laquelle il entretenait une liaison passionnée qu’ils comptaient faire passer à la vitesse supérieure. Sous le choc, brisé par le chagrin et l’incompréhension, Peter Bogdanovich a alors entamé de longues recherches pour comprendre Dorothy et la trajectoire qui l’a mené à épouser Paul Snider, raté notoire, à devenir playmate pour Playboy et ce jusqu’à sa rencontre avec lui. Sorti en 1984 et écrit par Bogdanovich lui-même, La mise à mort de la licorne raconte l’histoire de Dorothy Stratten à travers les yeux du cinéaste. A l’occasion de la venue de Peter Bogdanovich au festival Lumière cette année, Carlotta Films a réédité le livre, permettant de lever le voile sur une tragédie personnelle aux accents pourtant universels.

Ce qui frappe avant tout quand on lit La mise à mort de la licorne, c’est la façon dont Peter Bogdanovich retrace absolument tout de la vie de Dorothy Stratten, racontant dans les moindres détails la façon dont il l’a rencontré et comment s’est déroulée leur histoire d’amour. Avec une sincérité désarmante, le cinéaste couche sur papier les sentiments qui l’animaient à l’égard de Dorothy et regrette combien il n’a pas vu venir le drame. C’est seulement après la mort de Dorothy que Peter Bogdanovich a compris certains éléments qui auraient pu lui mettre la puce à l’oreille quant à l’attitude de Paul Snider, un loser patenté, ancien mac drogué jusqu’aux yeux qui ne voyait que la violence pour s’exprimer. Difficile dès lors de comprendre comment Dorothy Stratten, une jeune femme magnifique mais aussi très intelligente (les extraits de poème qu’elle a écrit et qui sont dévoilés dans le livre témoignent d’une sensibilité et d’une lucidité particulièrement frappantes) a pu tomber sous le charme d’un type aussi peu fréquentable.

Dorothy Stratten et Peter Bogdanovich

Snider, qui ne rêvait que de gloire et de richesse, a très vite fait de placer Dorothy dans les griffes de Playboy et de son grand gourou Hugh Hefner afin de la faire devenir playmate de l’année. Dans le manoir Playboy, Dorothy se retrouve à la merci de séances photos qu’elle déteste et du regard que tous les hommes portent sur elle. Hefner lui-même avait des vues sur Dorothy et celle-ci trouve en Peter Bogdanovich l’homme attentionné et cultivé qu’elle n’avait jamais rencontré. Le cinéaste se montre peu avare en détails et explique à force d’anecdotes et de scènes dont il se souvient avec clarté combien sa relation avec Dorothy était d’une superbe évidence et combien il aurait du écouter les présages qui se présentaient.

A travers le récit, on découvre une Dorothy Stratten bien éloignée de l’image que l’on peut se faire d’elle au premier abord. C’était une magnifique jeune femme certes mais elle était bien plus. Là était d’ailleurs sa malédiction : sans cesse regardée au travers de son physique, les gens ne prenaient pas la peine de voir au-delà. Or, en dépit d’une naïveté assez étonnante, Dorothy Stratten était une femme remarquable, intelligente, attentionnée, curieuse de tout, à l’écoute des autres et parfois si mature qu’elle paraissait avoir plus que son âge. Comme on peut le voir dans le film Et tout le monde riait réalisé par Bogdanovich, Dorothy irradiait la caméra de sa présence, comprenant très vite ce que le scénario impliquait. Peter Bogdanovich décrit cependant d’étranges moments où Dorothy, comme ayant conscience du destin tragique qui l’attendait, se montrait parfois curieusement mélancolique et distante.

Dorothy Stratten et John Ritter dans Et tout le monde riait

C’est sous la forme d’un conte que La mise à mort de la licorne est écrit. Un conte tragique racontant l’histoire d’un ange marqué par la cruauté des hommes et par l’immense roue de la fortune qu’est la vie, fauchant la jeunesse, l’amour et l’avenir en un seul coup du sort. La force du livre écrit par Peter Bogdanovich réside d’ailleurs dans son aspect universel. A travers son histoire personnelle bouleversante, le cinéaste se montre ouvertement féministe et livre une charge féroce contre la société des hommes et de leur perversité qui a détruit Dorothy. Bogdanovich considère d’ailleurs Hugh Hefner comme étant aussi responsable de la mort de Dorothy que Paul Snider. En effet, Hefner, en promouvant largement une image fausse et sexuelle de la femme, n’a fait que contribuer à la bêtise des hommes qui perçoivent la femme comme un objet sexuel et n’a fait qu’augmenter la pression sur les femmes, contraintes de répondre à certains critères de beauté pour se faire accepter dans la société patriarcale. En livrant son témoignage émouvant sur Dorothy Stratten, c’est ainsi toutes les femmes que Peter Bogdanovich défend et la réédition de ce livre en 2018 tombe totalement sous le sens, venant souligner l’importance pour nous les hommes, d’apprendre une bonne fois pour toutes à être moins cons…

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