La dernière séance : Et le rideau sur l’écran est tombé…

Mis à l’honneur au festival Lumière cette année, Peter Bogdanovich a également le droit à une belle mise en avant chez Carlotta Films. L’éditeur a en effet mis en place plusieurs parutions autour de Bogdanovich, cinéaste discret, finalement peu cité parmi les cinéphiles alors qu’il mérite au contraire une place toute particulière dans l’histoire du cinéma américain. Carlotta Films entend corriger le tir avec la publication de deux livres, l’un écrit par Bogdanovich en personne (La mise à mort de la licorne) et l’autre qui est un recueil d’entretiens issus de discussions entre Bogdanovich et Jean-Baptiste Thoret (Le cinéma comme élégie). Deux ouvrages forts passionnants sur lesquels nous reviendrons très vite dans les colonnes de Close-Up Magazine. Pour l’instant, nous allons nous pencher sur La dernière séance, premier des deux films du cinéaste édités par Carlotta qui a décidé au passage de sortir coup sur coup ses deux nouvelles Éditions Prestige Limitées avec bonus et memorabilia, la cinquième étant La dernière séance et la sixième Saint Jack, disponibles depuis le 10 octobre dernier.

La dernière séance donc. Soit le deuxième film de son auteur, celui qui le fera accéder à la célébrité (avec deux Oscars à la clé) et le mettra dès l’année 1971 en tête de liste des cinéastes les plus prometteurs de son époque. Entre-temps, des tornades comme William Friedkin, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg ou Martin Scorsese auront éclipsé l’aura de Bogdanovich sur la durée, mais il n’en faut pas moins considérer le cinéaste avec un véritable intérêt.

Il faut dire que Peter Bogdanovich s’est toujours situé à part. Fervent défenseur du cinéma hollywoodien classique, il filme souvent comme les maîtres qu’il admire (avec juste les plans qu’il lui faudra pour le montage) tout en injectant dans ses sujets une étonnante modernité. C’est flagrant avec La dernière séance, suivant le destin de plusieurs adolescents dans une petite ville du Texas au début des années 50. Sonny et Duane vivotent entre parties de billard et séances au cinéma du coin avec leurs petites amies. Jacy, la plus belle fille de la ville, de son côté, cherche absolument à faire un bon mariage pour ne pas répéter la même erreur que sa mère.

Avec La dernière séance, Peter Bogdanovich se replonge donc dans les années 50 et filme aussi bien la morne existence de jeunes gens auxquels l’avenir ne semble guère brillant (Duane rejoindra l’armée par défaut, Jacy risque de finir seule, Sonny ne va certainement jamais quitter la ville) que la fin d’une époque bénie où l’on pouvait aimer et vivre en toute innocence tout en fréquentant le cinéma de la ville, bien avant qu’il ne ferme. Tout le film est d’ailleurs plongé dans une profonde mélancolie, ne laissant guère d’espoir à ses personnages. Le temps de l’amour est passé, comme en témoigne Sam le lion, pilier de la ville qui tient le billard, le diner et le cinéma. Difficile de se construire un bonheur dans un endroit où les adultes sont déjà rongés par la tristesse et la nostalgie.

Avec son noir et blanc sublime orchestré par le chef-opérateur Robert Surtees et sa mise en scène épurée lorgnant du côté des classiques (notamment John Ford ou Howard Hawks, ce dernier étant explicitement cité à la fin du film), La dernière séance aurait en effet tendance à confirmer l’héritage classique que Bogdanovich embrasse totalement. Mais la crudité du propos (adultère, liaison de Sonny avec une femme mariée, nudité) vient montrer la modernité du film tout en étant d’une pertinence absolue. Le film tire d’ailleurs sa force de cet entre-deux, délivrant au final un propos universel. Années 50, 70 ou aujourd’hui, différent contexte, même combat : les gens sont toujours aussi seuls et les jeunes toujours aussi incertains de leur avenir, rongés sans cesse par la terrible sensation que l’avenir avait l’air plus brillant avant.

La réussite et la beauté profonde qui se dégage du film vient également du sens du casting indéniable de Peter Bogdanovich. Excepté Ben Johnson, vieux briscard ayant tournée de nombreuses fois pour John Ford, les acteurs réunis dans le film sont tous au début de leur carrière. Pour Cybill Sheperd, aperçue par Bogdanovich en couverture d’un magazine, c’est même son premier rôle au cinéma. Et l’actrice crève l’écran, l’irradiant de toute sa beauté et de toute sa complexité. Si Timothy Bottoms n’a pas eu la carrière qu’on aurait pu lui deviner en se basant sur les deux films qu’il tourna en 1971 (La dernière séance et le chef-d’œuvre de Dalton Trumbo Johnny s’en va-t-en guerre), Jeff Bridges et Ellen Burstyn ont par la suite pris les envols qu’on leur connaît.

Avec La dernière séance, Peter Bogdanovich ausculte la jeunesse et en livre un portrait terriblement mélancolique mais non dénué de tendresse, que l’on peut éventuellement espérer trouver auprès de bras réconfortants. Pour mieux apprécier le film, Carlotta a eu la main généreuse sur les bonus vidéos. Outre un entretien avec le cinéaste de treize minutes sur le film, on retrouve sur l’édition The Last Picture Show : souvenirs de tournage, un documentaire d’un peu plus d’une heure réalisé par Laurent Bouzereau en 1999 qui revient sur la genèse du film et la façon dont il a bouleversé la vie de chacun. L’occasion pour Bogdanovich mais également Cybill Sheperd, Jeff Bridges, Ellen Burstyn et le producteur Frank Marshall d’évoquer leurs souvenirs autour du film et nous en apprendre un peu plus sur la façon de tourner du cinéaste. Un document incontournable pour mieux cerner ce film qui ne vieillit pas et dont la qualité de la copie Blu-ray achève de faire de cette nouvelle Édition Prestige Limitée de Carlotta un must-have pour tout cinéphile.

2 Rétroliens / Pings

  1. Édito – Semaine 2 -
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