The spy gone north : L’évidence d’un récit dégraissé de tout superflu

Cela est devenu une habitude, chaque année à Cannes, dans les fameuses séances de Minuit, on aura droit à au moins un film Coréen dit de genre, à savoir, dans la plupart des cas, quelque chose de violent, de sans pitié, de jubilatoire, du genre à ne pas passer le cap de la Compétition pour cause de public un peu trop engoncé dans ses certitudes cinéphiliques ! Pour concourir dans la fameuse course à la Palme d’Or dans cette catégorie de films, il vaut mieux s’appeler Park Chan-Wook, ou passer son chemin. Ceci étant dit, cette année, si le fameux film Coréen aura bien été au rendez-vous, les spectateurs ne s’étant pas encore remis de la déflagration The Villainess de l’année précédente auront certainement été quelque peu désarçonnés devant la proposition qui leur était faite. Non que le film en question soit mauvais, très loin de là même, puisqu’il réussit à atteindre l’excellence, mais tout simplement parce qu’il s’agit d’un film d’espionnage au classicisme parfaitement maîtrisé, sans la moindre scène d’action, où le récit avance au rythme de longues scènes de dialogues, donc pas forcément l’œuvre idéale après une journée complète à visionner des films dans l’ambiance de Cannes. Dans notre cas, découvrir le film loin du tumulte Cannois, avait quelque chose de particulièrement exaltant, car pour qui ne cesse de clamer depuis maintenant plus de 10 ans à quel point le cinéma Coréen contemporain écrase presque toute concurrence avec une facilité quasiment arrogante, avoir une nouvelle preuve de cette affirmation définitive apportée sur un plateau, avec un film brillant de bout en bout qui aura clairement dénoté positivement avec le reste de la programmation de l’Étrange Festival ; est forcément une expérience fort agréable. Alors suivez le guide !

Séoul, 1993. Un ancien officier est engagé par les services secrets Sud-Coréens sous le nom de code « Black Venus » avec comme mission de collecter des informations sur le programme nucléaire en Corée du Nord. Progressivement, il parvient à infiltrer un groupe de dignitaires de Pyongyang et à gagner la confiance du Parti. Devenant un pion entre les deux Corées pour leurs tractations politiques, il va découvrir des choses qui vont rapidement mettre sa mission et sa vie en danger …

Bien entendu, il s’agit là d’un résumé succinct ne rendant pas compte de la richesse thématique et humaine du film. Après un bref résumé en début de film sur le contexte politique, assez ardu pour les spectateurs français qui ne seraient que peu au fait de l’Histoire politique Coréenne, le récit tend rapidement à se focaliser sur l’aspect humain des enjeux. Loin de se complaire dans une complexification gratuite à la façon d’un « La taupe », autre film récent d’espionnage, qui parvenait à perdre définitivement le spectateur au bout de même pas 5 minutes, le film présent préfère focaliser sur deux personnages en particulier, chacun pion à sa façon de son gouvernement, deux hommes opposés idéologiquement (ou en tout cas, que l’on a conditionnés comme tels), mais qui vont finir par établir une véritable relation d’amitié et de confiance, ce qui fait pour beaucoup évidemment dans la tension qui peut parcourir le film dans son ensemble, le moindre faux pas de l’espion sud-coréen pouvant avoir des conséquence fâcheuses pour les deux partis. Évidemment, pour atteindre cette fluidité du récit et cette évidence dans les enjeux, il y a deux éléments essentiels à prendre en compte, et que le cinéaste Yoon jong-bin (Kundo)  a parfaitement compris : une direction d’acteurs sans faute, et une mise en scène au cordeau. Et pour ce qui est des performances d’acteurs impériales et des mises en scènes virtuoses, les Coréens se posent là. On se plonge donc avec délice dans une œuvre qui ne cherche à aucun moment à faire dans l’esbroufe ou à impressionner plus que de raison. On y croit et on ne se pose rapidement plus aucune question tant le talent pour nous plonger dans son univers à l’aide de mouvements de caméra d’une élégance folle et un montage d’une précision chirurgicale est évident. Dans ce film, rien n’est gratuit, toute option de mise en scène a un sens, sans avoir besoin de le rabâcher. Les situations et les personnages existent par l’image et ce qu’on leur fait jouer, pas par des dialogues sur-écrits qui nous enseveliraient sous les informations jusqu’à ne plus savoir qu’en faire. Et pourtant, ces derniers sont d’une classe folle, chaque échange étant porteur d’un enjeu dramatique, ce qui fait que jamais l’attention ne s’éparpille. On EST dans le film, et si la durée pouvait paraître rédhibitoire pour pareil sujet, et en sachant que le film ne contient aucune scène d’action ou de violence, elle n’est jamais un obstacle, mais un moyen que le metteur en scène s’est donné pour raconter son histoire de la manière la plus efficace et, encore une fois, fluide, possible.

Comme dit plus haut, aucune scène de violence n’est présente, si ce n’est une courte exécution dans une ruelle en début de film, déjà montrée en intégralité dans la bande annonce. Cette scène semble là comme pour se débarrasser d’une sorte de passage obligé dans ce type de récit, particulièrement dans une cinématographie réputée pour ses polars ultra-violents où pleuvent les coups de marteau. Rien de tout ça ici, donc, et vous n’entendrez pas non plus de « SSIBAL » (se prononce CHIBAL), ce qui peut désarçonner de prime abord les fanas de ce cinéma hargneux, mais s’avère finalement plutôt rafraîchissant. Cette absence de violence est contrebalancée par une tension atteignant parfois des sommets, dont le pic se trouvé évidemment dans cette scène déjà culte du premier face à face avec Kim Jong-Il. Un moment comme en apnée, où la mise en scène est au sommet, et dont le grotesque induit par la figure surréaliste du tyran Nord-Coréen, est néanmoins tempéré par le danger permanent qu’il laisse filtrer parmi toutes les personnes l’entourant. On rit d’abord de tout le protocole mis en place, puis on finit par être mal à l’aise, car les faits sont concrets, et toute l’horreur de la dictature est exposée sans avoir besoin du moindre dialogue. Rien que l’angoisse palpable dans la pièce est transmise de la plus belle des façons au spectateur. Plus tard, l’horreur encore plus insoutenable (peut-être le moment le plus éprouvant du film d’ailleurs) sera exposée au spectateur médusé, lors d’une scène de rue où l’on voit les effets de cette dictature sur le peuple crevant de faim. Des images dont nous ne dirons rien ici, mais qui risquent de hanter certaines âmes sensibles pour quelque temps.

Tout le talent des cinéastes Coréens contemporains est visible dans cette œuvre qui fera  à n’en pas douter partie, très rapidement, des films majeurs du genre des dernières années, et cette faculté à mélanger les tons tout en ne perdant jamais de vue l’essentiel est à saluer, et également typique de ce cinéma unique au monde, qui n’a pas fini de nous surprendre et  de nous livrer à un rythme métronomique de nouvelles pépites chaque année. La conclusion s’avère à ce niveau un modèle, avec son émotion rentrée, mais réelle, finissant presque par nous mettre la boule à la gorge lors d’un ultime plan bouleversant d’humanité. On atteint ici l’universalité et la pureté de cœur de l’excellent « Le pont des espions » de Spielberg, où le rapprochement entre deux hommes que tout oppose se faisait de la manière la plus naturelle qui soit, dans la grande tradition du cinéma de ce grand Monsieur qui aura fait de l’humanisme le socle de son cinéma, et qui évoquait là le cinéma de Frank Capra. La même émotion sans la moindre  grandiloquence est ressentie ici, et cela grâce à l’intelligence du scénario et du regard porté sur les personnages, et bien évidemment, par l’interprétation sublime de deux grands acteurs : Jung-Min Hwang (Battleship Island, mais aussi le rôle dantesque du Shaman dans l’époustouflant « The strangers ») et Ju Ji-hoon, dans le rôle de son homologue nord-coréen. Deux performances d’une intelligence et d’une précision rares, qui permettent à l’émotion de venir naturellement dans les moments les plus intenses. Un grand film, assurément !

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  1. After my death : On peut disparaître ici sans même s'en apercevoir... -

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