
La vision d’un premier long-métrage est toujours une expérience enrichissante. Découvrir un cinéaste est quelque chose d’excitant, on ne sait pas encore à quoi s’attendre, on repère déjà des éléments pouvant constituer le fil rouge d’une filmographie à venir, on étudie aussi bien les qualités que les défauts, on fait déjà des prédictions sur le futur du film et du cinéaste. En l’occurrence, à la découverte de Thunder Road, premier long-métrage de Jim Cummings présenté au festival de Deauville en compétition (et ayant eu le droit à une standing-ovation lors de sa première projection), on ne peut que souhaiter au réalisateur une longue et fructueuse carrière. Car des défauts de premier film, Thunder Road n’en a pas beaucoup, naviguant sur un équilibre délicat où Cummings fait preuve d’une vraie maîtrise de la rupture de ton. Nous avons donc sauté sur l’occasion de le rencontrer lors de notre séjour à Deauville. Jim Cummings (à la fois réalisateur, scénariste et acteur principal), encore surpris de la réception de son film le matin même, nous reçoit avec un enthousiasme communicatif et une humilité qui laisse admiratif :
Vous avez eu une belle standing-ovation ce matin lors de la projection du film…
Oui vous avez vu ça ? C’était complètement fou, je ne m’y attendais pas du tout ! De voir autant de gens apprécier le film, c’est un vrai choc.
C’est pourtant mérité. Quand vous tourniez le film, vous vous imaginiez qu’il irait aussi loin, qu’il toucherait la France ?
Non jamais ! Je me souviens pendant le tournage du film, je me disais qu’au mieux, on pourrait le présenter au festival South by Southwest à Austin, Rien que ça, c’était un rêve! Et qu’un jour, il finirait sur Netflix ou quelque chose comme ça. Je n’avais pas beaucoup d’ambition. Je savais que l’on était en train de faire quelque chose de bien, les rushes étaient bonnes. On tenait un bon film, j’en étais persuadé mais jamais je n’imaginais que le film sortirait à l’international. Je pensais que le seul public du film serait texan ! Ceci dit, j’ai fait exprès de l’écrire de manière assez universelle, si jamais il devait être vu à l’international pour qu’il soit intéressant à voir pour un public non-américain.
C’est un film indépendant et on en voit plein ici à Deauville ou même à Sundance. De nos jours beaucoup de films indépendants se ressemblent, tombant dans le cliché mais Thunder Road a vraiment un style et un ton uniques. Que pensez-vous du cinéma indépendant américain à l’heure actuelle ?
J’ai eu la chance de tourner dix courts-métrages avant de faire Thunder Road. Durant ces tournages, j’ai appris à parler de ma propre voix, à trouver mon propre langage cinématographique. J’aime les plans qui durent longtemps, j’aime le mélange entre la comédie et le drame, j’ai pu trouver mon style en tournant ces courts-métrages. Actuellement en Amérique, dès que je vois un film indépendant, surtout avec le label Sundance, ils ont toujours l’air de parler de hipsters en pleine crise existentielle. Et ça ne m’intéresse pas, mais alors pas du tout ! Je suis désolé, je suis moi-même un hipster, ça devrait m’intéresser mais non. C’est une vraie épidémie et je voulais faire quelque chose de différent. Je souhaitais faire quelque chose comme Fargo ou Les fils de l’homme. J’ai beaucoup d’admiration pour le cinéma d’Alfonso Cuarón où il utilise de longs plans pour raconter ces histoires très humaines qui peuvent être parfois tragiques, parfois drôles. L’état du cinéma indépendant américain est assez triste, on n’a pas l’impression qu’il fait quoi que ce soit d’unique, qu’il engage un dialogue avec son spectateur. C’est toujours le même genre de scènes filmées de la même façon. Quand je suis allé à Cannes, j’ai vu dix films et je me suis dit »oh mon dieu, on peut utiliser la caméra pour raconter une histoire ! ». Il y a tellement d’histoires cinématographiques qui peuvent être racontées partout dans le monde, c’est incroyable ! Et c’est assez absent en Amérique. Des gens que j’admire comme David Fincher ou Martin Scorsese sont des types qui ont commencé par faire du cinéma indépendant et qui ont eu ensuite le budget pour faire des choses impressionnantes tout en restant connectés à leur public. C’est ce qui manque actuellement.
A la base, Thunder Road est un court-métrage. Mais vous en avez réalisé beaucoup d’autres. Qu’est-ce qui vous a fait penser que c’était celui-ci qui allait faire un bon long-métrage et pas un autre ?
Il n’y a jamais eu de moment d’hésitation entre mes courts-métrages. J’ai toujours su que j’allais faire un long-métrage de Thunder Road. Je voulais de nouveau jouer ce type le temps d’un arc narratif plus grand. Mais pendant l’année qui a suivi le court-métrage, je n’arrêtais pas de dire aux gens qu’il était impossible d’en faire un long-métrage. Je pensais que la scène de l’enterrement devait être à la fin plutôt qu’au début, je ne savais pas quoi faire de bon avec. Et puis au bout d’un moment, j’ai repensé au court-métrage quand la fille de mon personnage s’éloigne de lui. Plutôt que d’écrire un film à la structure classique où il faut l’élément déclencheur page 10, je me suis dit qu’il fallait que ce soit un film plus original, où mon personnage doit faire en sorte que sa fille l’aime de nouveau. C’est plus l’histoire d’un homme qui apprend à être un parent plutôt que d’un homme qui perd un parent. Je trouvais ça intéressant de montrer cet homme coincé entre l’ombre de sa mère et sa fille. C’est arrivé vite au final, j’ai écrit le film en quatre jours tout en buvant de la bière dans le sous-sol d’un ami, je jouais toutes les scènes à haute voix et je notais ce qui fonctionnait. A la fin, le scénario n’était pas complet au sens habituel du terme mais ça suffisait pour que je l’envoie à des amis du milieu pour leur donner envie de le faire, que je puisse commencer à monter une équipe.
Votre personnage dans le film vit un sacré parcours émotionnel. Il commence comme un fils, presque un enfant avec ses réactions disproportionnées et il finit par être un père. Comment avez-vous travaillé cette thématique d’être un parent ? C’était là dès le début ?
Oui c’est vraiment le thème principal du film. Moi-même je n’ai pas d’enfants mais toutes mes sœurs en ont. Et ce qui revient le plus quand elles parlent du fait d’être un parent, c’est combien il est difficile d’élever un enfant. Puis vous réalisez combien vous avez dû être pénible avec vos parents. Et vous réalisez également qu’ils n’étaient que des êtres humains à peu près de votre âge au même moment et vous vous dites que ça dû être sacrément difficile. Mes parents m’ont élevé tout en travaillant à plein temps et devenir adulte, c’est réaliser la difficulté d’élever des enfants. C’était vraiment l’ADN du projet de dire quelque chose à propos de l’héritage des parents, de l’amour. C’est pourtant le job le plus important du monde : apprendre à toute une génération à ne pas être des connards complets ! Et comme c’est universel, je savais que je pourrais toucher des gens avec mon histoire.
Pourquoi avoir fait du personnage principal un policier ? Au final, il aurait pu avoir n’importe quel métier.
Quand j’écrivais le court-métrage, je pensais que le personnage serait un marine. J’avais produit un film sur les marines à l’époque et je trouvais ça intéressant d’avoir un type un peu dur pour jouer ce personnage qui traverse une crise émotionnelle craquant devant des gens à un enterrement parce que c’est très gênant mais c’est aussi très drôle. Je trouvais cela bien d’émasculer une figure virile. Et un jour dans une pizzeria, j’ai croisé deux policiers à qui j’ai parlé et qui m’ont appris qu’en Californie, un policier doit porter son uniforme à un enterrement. J’ai trouvé ça tellement stupide que j’ai décidé d’en faire un policier. Le lendemain je me laissais pousser la moustache car c’est la seule pilosité faciale autorisée pour les policiers américains et dans notre inconscient collectif, police = moustache. Le fait d’en faire un policier m’a d’autant plus paru judicieux qu’à l’époque du court-métrage, les policiers abattaient beaucoup de Noirs dans les rues. C’est alors qu’est né le mouvement Black Lives Matter. On ne pouvait pas aller sur Facebook sans tomber sur une conversation ou un débat sur la brutalité policière. D’un côté, les républicains disaient qu’il fallait défendre la police, la loi et l’ordre, ce genre de conneries et d’un autre côté, les démocrates dénonçaient la violence de ces pratiques terrifiantes. Les deux partis ont raison et je voulais donc réussir à faire une tragi-comédie sur un policier capable d’apaiser les deux opinions différentes. D’ailleurs, après certaines projections de Thunder Road, j’ai eu des républicains qui m’ont remercié de soutenir la police et des démocrates qui m’ont dit que le personnage ne devrait pas avoir de flingue. Les deux ont raison et à travers ce film, j’ai en quelque sorte réussi à apaiser un peu le débat. C’est ce que je voulais et c’est pour ça que j’en ai fait un policier.
Comment avez-vous travaillé cet équilibre si fin entre le drame et la comédie ? Les ruptures de ton du film sont saisissantes.
J’ai travaillé très longtemps le personnage. J’ai répété des milliers de fois tous les dialogues du film. Je ne suis pas un acteur, en tout cas je n’ai jamais suivi de cours et j’ai dû énormément les répéter pour les mémoriser mais également pour m’assurer qu’ils étaient bons. Par exemple dans le climax du film, le personnage dit que ça va alors qu’il est en train de péter un câble, il fait des allers retours (là Jim Cummings se lève et mime la scène – ndlr) et crée des ruptures dans le dialogue. J’ai enregistré tout mon texte sur mon iPhone et je me suis fait un podcast avec les dialogues du film pour les avoir en tête, saisir les nuances et capter tout de suite ce qui fonctionnait ou non. Il est vrai que sur le tournage, l’exercice reste délicat, on essaye des choses quand on voit qu’on est trop drôle ou trop dans la lourdeur. Dès qu’on le fait à haute voix, on le sent tout de suite si ça ne va pas.
Vous jouez le rôle principal et ça paraît tellement évident tant on ne voit personne d’autre capable de le jouer avec autant de subtilité. Vous avez eu des acteurs qui vous ont influencé ? On pense beaucoup à Peter Sellers, avec la moustache vous feriez un très bon inspecteur Clouseau…
Ne me tentez pas, je pourrai le faire ! (rires) A la base, je ne devais pas jouer le rôle principal du court-métrage. J’étais un producteur, j’ai produit des pubs et des clips pendant huit ans, je ne me voyais pas du tout être acteur. J’ai donc casté un bon ami à moi pour le rôle, un peu plus baraqué que moi et on a commencé les répétitions avec lui. Mais de façon assez tragique, il n’était pas drôle, il loupait tout l’humour du film et des dialogues. Je lui ai donc montré ce que je voulais en me filmant en train de dire les répliques du film et quand mon producteur et mon chef-op ont vu ça, ils m’ont tout de suite dit de jouer le rôle. Je me suis excusé auprès de mon ami et je suis donc devenu acteur par accident. Quant à mes influences, je dirai qu’elles sont nombreuses : Ricky Gervais qui sait merveilleusement utiliser les silences, Steve Coogan, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Alberto Sordi, Peter Sellers évidemment. Et puis Chris Lilley, un acteur australien qui jouait trois rôles différents dans la série Summer Heights High et qui était tellement bon que dès l’épisode 2 on a oublié que c’est le même acteur qui joue ces rôles différents. J’ai eu d’excellentes références sur lesquelles me baser en somme. Ça m’a permis de trouver le courage de me lancer.
Vous continuez à réaliser des courts-métrages. Ce n’est pas frustrant après avoir fait un long-métrage ?
Non pas du tout, j’adore ça. Il y a plein de choses qui fonctionnent seulement en court-métrage. Avec le court-métrage, il y a cette relation qui se crée avec le public où il doit énormément réfléchir autour du film car on ne montre que le sommet de l’iceberg, c’est comme une énigme. Je trouve ça très excitant de cristalliser un personnage en très peu de scènes. Je continuerai à faire des courts avec plaisir, c’est généralement ce qu’on fait entre deux gros projets.
A propos de gros projets, vous avez une idée de long-métrage pour la suite ?
Oui, j’aimerai beaucoup faire une comédie. J’aimerai faire quelque chose de plus international et universel. J’ai l’idée d’un film qui se passerait à Malibu avec des gens qui se rassemblent dans une résidence pour artistes. Et le propriétaire de cette résidence rassemble ses amis et leur annonce qu’il est mourant, qu’il va bientôt y passer et que ce week-end, il voudrait faire une orgie avec eux. Ce serait le début du film avant qu’il ne parte vers une bacchanale très drôle et très sexy, un peu comme The Party au final !
Propos recueillis à Deauville par Mathieu Le Berre et Alexandre Coudray le 6 septembre 2018. Un grand merci à Jim Cummings, Michel Burnstein et Yukié Lizuka
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