Dogman : L’homme est un loup pour l’homme

Quelques chiens enfermés dans une cage, assistant à l’explosion de la bestialité humaine ! C’est par cette idée visuelle que le projet de « Dogman » a surgi dans l’esprit de Matteo Garrone, il y a déjà une dizaine d’années, lorsqu’il ne savait pas encore ce qu’il en ressortirait ! Tel qu’il existe aujourd’hui, le film a bien évidemment mûri et c’est par le prisme d’un véritable fait divers que le cinéaste a choisi de raconter son histoire !

Marcello, toiletteur pour chiens respecté de tous dans son quartier, est ce que l’on peut appeler un homme doux et sans histoires ! Son travail, il l’accomplit chaque jour avec amour et bienveillance, et l’on sent bien que ces bêtes dont il s’occupe, il les aime profondément, comme des êtres humains ! Il s’occupe également de sa fille, prunelle de ses yeux, lors de scènes à la simplicité et à la proximité humaine touchantes ! En bref, c’est un homme attachant dans sa banalité que l’on voit évoluer sous nos yeux, du genre qui ne ferait pas de mal à une mouche ! Mais lorsque Simoncino, brute épaisse sortant de prison, revient dans le quartier et se met à brutaliser et racketter son monde, l’existence jusque là si bien rangée de Marcello part progressivement en miettes, et l’homme si tranquille va échafauder une vengeance du genre impitoyable …

Dit comme ça, on peut légitimement s’attendre à un simple récit de vengeance, où un personnage que l’on aurait suivi avec intérêt pendant une majeure partie du film finirait par se libérer d’une suite de violences intolérables en faisant usage de cette même violence qu’il redoutait jusque là ! Mais en s’inspirant d’un fait divers aussi sauvage qu’absurde, le cinéaste ne pouvait pas se permettre d’être aussi primaire et on comprend donc vite que l’intérêt sera plutôt de suivre ce personnage à l’aspect physique frêle et atypique, le type de profil à ne pas chercher les embrouilles, et de s’y attacher afin que tout ce qu’il subit par la présence de son alter égo total nous touche profondément et que l’on se mette fatalement à attendre avec une pointe d’excitation le moment de la délivrance inévitable, que l’on sait d’une logique implacable depuis le début. Le ton est plutôt à la description grinçante et tragi-comique de la  faiblesse des hommes dans des situations face auxquelles nul ne voudrait être confronté ! Si l’on rit, ce n’est évidemment jamais aux éclats, ni aux dépends de son pauvre personnage, plutôt d’un rire un peu désenchanté, face à l’absurdité de l’existence lorsqu’on n’a pas la chance d’être né dans un milieu social favorisé.

Le récit est situé dans un quartier déshérité, et la police ne semble pas encline à défendre les faibles face à la monstruosité, et ce sont même plutôt ces mêmes victimes qui sont déjà quotidiennement écrasées par la pression d’un élément pour le moins perturbateur, qui peuvent se retrouver à payer à la place des coupables, par peur de représailles en cas de dénonciations. En bref, personne ne peut aider ce pauvre Marcello, et il se retrouve donc à devoir élaborer un plan sordide pour espérer naïvement être à nouveau respecté de ses anciens amis ! Tout le nihilisme désolé du propos consistera à isoler encore un peu plus le personnage, lors d’une ultime scène dont nous ne dirons rien ici, mais qui pousse la démonstration de l’absurde à un point extrême ! Seul face à l’indifférence du monde, pourrait-on dire simplement !

Dans le registre de l’homme banal subissant les aléas de l’existence, Marcello Fonte fait plus que bien s’en sortir ! Avec son visage antique semblant venir d’une Italie en train de disparaître, dixit le metteur en scène, il apporte une vérité et une densité de jeu peu communes, avec un sens de la nuance qui force le respect ! Nul besoin du moindre excès, le personnage est suffisamment bien écrit pour qu’il n’y ait besoin d’en rajouter dans l’emphase, l’empathie naît donc naturellement des évènements et de l’assurance tranquille avec laquelle ce dernier fait passer les émotions, par la puissance sans esbroufe de son jeu. Son prix d’interprétation masculine à Cannes  est donc totalement mérité, et nul doute que quoi que l’on pense du film au final, le comédien quant à lui ne laissera personne indifférent !

Dans un style à la fois réaliste et stylisé, le metteur en scène fait plus que bien mettre en images cette histoire folle, et par la beauté de la photographie sublimement mise en valeur par ses compositions ressemblant quasiment à des tableaux, ou sa caméra fluide tournant autour des personnages avec une élégance folle lors de longs plans faisant réellement exister les situations, il fait toujours les bons choix, et raconte son histoire avec l’évidence des grands conteurs, chaque scène semblant à sa place ! Il n’y a pas de place pour le superflu ici, et aucune complaisance n’est à déplorer à quelque niveau que ce soit ! La bande annonce et le sujet même faisaient attendre un film brut de décoffrage à la violence coup de poing, il n’en est rien au final. Si la brutalité est bien là par les actes de Simoncino, dont la puissance physique et la rage inexplicable font naître un véritable sentiment de crainte du spectateur pour les personnages l’entourant, le cinéaste ne semble pas intéressé à l’idée de traiter le fait divers de base de façon crue et graphique ! Il se focalise donc plus sur un climat oppressant à la tension savamment entretenue tout le long, allant crescendo jusqu’à la libération finale, émaillée de quelques éclats de violence brute, que sur une débauche de scènes sanglantes ! Tant mieux, diront certains, même si le climax aurait peut-être pu être un peu plus impactant ! Mais l’on sent bien que ce qui intéresse le cinéaste, plus que l’acte sauvage en lui-même, c’est de démontrer toute l’absurdité de cet acte de vengeance, et à quel point nul n’en ressort grandi ! Le simple fait de prendre la décision de tuer, quand bien même on a en face de nous l’inhumanité incarnée, nous renvoie à nos plus bas instincts, et tout le propos du film est de mettre justement en parallèle les bêtes dont s’occupe Marcello, et les êtres humains autour, laissant éclater toute leur bestialité et leurs frustrations, rejoignant donc cette image dont nous parlions en introduction ! Cela pourra certainement paraître quelque peu simpliste pour certaines âmes chagrines, mais le récit solidement charpenté, impeccablement raconté et d’une véritable bienveillance pour les gens de peu qui souffrent, finit par réellement toucher au cœur, tout simplement. La marque des grands, et la preuve que le cinéma Italien, lorsqu’il le souhaite, peut encore nous proposer de très belles choses, retrouvant son éclat d’antan !

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