Brad Bird : Dessine-moi un géant

Enfant, Brad Bird fut très vite un amateur d’animation et adorateur de Disney (Le Livre de la Jungle en tête). Lorsqu’il réalisa que quelqu’un avait pour métier de faire bouger ces personnages, il trouva sa vocation et n’en démordit plus. Grâce à ses parents, il eut l’occasion de visiter les locaux de Disney et de faire part de ses rêves aux animateurs en place. Sans le moquer, ces derniers se contentèrent de lui sourire poliment, comme à tout enfant tenant ce genre de propos. Leur opinion changea bien vite lorsque, quelques années après, Bird alors âgé de 13 ans, leur envoya son premier court-métrage Le Lièvre et la Tortue, qu’il mit 2 ans à réaliser seul. Le film fit forte impression au sein du studio, tant et si bien que Bird y décrocha un stage et non des moindres, puisqu’il fut placé sous la tutelle de Milt Kahl, l’un des « neuf sages » des Studios, responsable de l’animation de personnages tels que Sher Kahn ou le Shérif de Nottingham. Après le lycée, il rejoint la California School of Art (ou CalArts pour les intimes), ainsi que la fameuse promotion A113 dans laquelle on retrouve, entre autres, Genndy Tartakovsky, Tim Burton, Pete Docter et surtout John Lasseter, avec qui il liera une amitié solide.

Une fois les études terminées, Brad rejoint la firme de ses rêves : Disney, mais il déchantera bien vite. Ses modèles, alors âgés, quittent tous le navire les uns après les autres, son lien avec le studio s’étiolant lentement. Première désillusion pour Bird, qui quittera son job suite à des disputes avec les producteurs, pour rejoindre la Fox au milieu des années 1990 où il travaillera sur des épisodes des Simpsons et Les Rois du Texas en tant que réalisateur. Il réalisera aussi un épisode des Histoires Fantastiques pour Spielberg.

C’est à ce moment que survient la mort dramatique de sa sœur, tuée par balle. Véritable choc pour lui, mais aussi point de départ macabre pour son idée d’adapter le livre The Iron Man de Ted Hughes. Ce dernier ayant écrit ce livre pour aider ses enfants à affronter le suicide de leur mère, l’idée de la mort planait autour du projet. Mais c’est sans compter sur Bird qui voulait avant tout baser cette œuvre sur ce postulat : « et si une arme ne voulait pas être une arme ? » C’est comme cela que le projet du Géant de Fer vit le jour. Le livre n’est plus qu’une inspiration lointaine, tant la patte et l’influence de Bird ont transformé l’œuvre d’origine. À cette période, il travaille pour Turner Featured Animation sur un projet de film d’animation néo-noir ambitieux : Ray Gunn, qui se verra avorté lorsque le studio sera racheté par la Warner en 1996.

Mais le succès au box-office du Roi Lion montre aux producteurs que l’animation est elle aussi capable de générer du profit. L’appel d’air créé par ce succès retentissant poussera Warner à ouvrir une branche animation, dans laquelle Brad Bird pourra officier pour y créer son Géant de Fer. Son principal argument étant de laisser l’animation pour enfants à Disney, le Géant allait jouer dans la cour des grands. La création du classique fut un tournant majeur dans la carrière de Bird à bien des égards.

Le très bon documentaire, The Giant’s Dream, revient à ce sujet sur les conditions de création mouvementées de l’œuvre. Entre la composition de l’équipe des animateurs qui réunit tous les laissés pour compte de la profession, les délais difficiles à tenir, les pressions des producteurs, le budget insuffisant : les planètes n’étaient définitivement pas alignées pour que le rêve se réalise. Mais au prix d’un travail de forçat collectif (Bird ne manque pas de créditer chaque animateur sur leur scène respective dans le commentaire audio du film), la gestation arriva à terme en 1999. C’est à ce moment que l’ascenseur émotionnel se mit en route : les projections tests laissaient augurer du meilleur, mais les campagnes de pub, déjà peu nombreuses, trahissaient totalement l’esprit du film (en se voulant cool et niant l’aspect dramatique du film). Le Géant de Fer fit le flop qu’on lui connait et asséna un coup cinglant au moral de Brad Bird. Le succès viendra toutefois petit à petit avec le bouche à oreille et atteindra son statut d’œuvre culte au fil du temps, mais Bird ne le savait pas et n’avait pas le temps d’attendre. Il appliqua la morale de son film (« tu es ce que tu choisis d’être » inspiré en partie par Cary Grant, qui se débarrassa progressivement de son image de londonien issu de la classe populaire) et se lança sur son projet suivant.

Heureusement pour lui, la suite de sa carrière sera beaucoup plus rayonnante. Son prochain projet : Les Indestructibles fut imposé à Disney par le concours de son vieil ami, John Lasseter. Le projet a eu le succès qu’on lui connaît, tant critique que commercial (633 millions de dollars de recettes à travers le monde, pour un investissement de 92 millions), et donnera ses lettres de noblesse à Bird auprès du grand public et surtout des producteurs. C’est aussi sur ce film que débutera sa collaboration avec Michael Giacchino, qui le suivra pour le reste de sa filmographie.

Entre temps, Bird récupère le projet Ratatouille, resté dans les cartons de Pixar depuis 5 ans. Mais loin de se reposer sur ses lauriers, il fait un choix audacieux : il décide que tous les rats excepté Rémy, le héros, doivent se tenir à quatre pattes, alors qu’ils se tenaient tous initialement sur leurs pattes arrières. Un choix qui peut sembler naturel, puisqu’il fallait différencier Rémy de ses compères, mais cela impliquait de jeter à la poubelle un an de travail. Pour Bird, le sacrifice était nécessaire, ce type de résolution témoigne d’une détermination perfectionniste et d’un amour du détail. Une chose que l’on voyait déjà sur le Géant de Fer, avec ces interminables réunions autour de l’équipe technique, notamment sur la scène de la mort du cerf, casse-tête narratif de l’époque. On retrouve également dans l’une des dernières scènes de Ratatouille cette équipe de laissés pour compte qui, à force de travail et de directives assidues, sont aussi capables que les pros.

Pendant ce temps, Le Géant de Fer fait son petit bonhomme de chemin et interpelle un acteur américain bien connu de tous : Tom Cruise. Si bien, que ce dernier contactera Bird et ainsi le projet Mission Impossible : Protocole Fantôme vit le jour. Premier projet en prise de vue réelle pour Bird qui, en plus d’être une belle relance de la série au cinéma, cinq ans après un troisième épisode maussade, lui permettra de rencontrer Rob Alonzo (coordinateur des cascades) qu’il retrouvera dans ses projets suivants : À la Poursuite de Demain et Les Indestructibles 2.

Malgré cette revanche (méritée) sur la vie, et ses multiples récompenses (avec entre autres deux Oscars, un Golden Globe et récemment le Cristal d’Honneur à Annecy en 2018), il reste impliqué dans ses projets sans prendre la grosse tête, allant jusqu’à refuser Star Wars 7 pour pouvoir terminer À la Poursuite de Demain. Ce grand bosseur a su réunir au fil du temps des alliés fidèles, transformer ses échecs en victoires, et tirer parti de ces derniers pour influencer ses œuvres suivantes, toujours avec une audace renouvelée. Les Indestructibles 2 en sont encore une fois la preuve, puisqu’il qu’il pousse encore plus loin les thèmes récurrents de son œuvre et les gimmicks qu’il a acquis au fil du temps. Ne sombrant jamais dans l’autosatisfaction, Brad Bird reste sur le qui-vive faisant évoluer son œuvre et sa réflexion au fil des productions. On attend au tournant le prochain long-métrage du réalisateur, qui pour le moment a fait un parcours sans fautes.

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