
Taylor Sheridan avait prévenu, cette suite du monument de Denis Villeneuve ferait passer ce dernier pour une comédie. Certes, ce genre de déclaration fait partie du processus de promotion, et le spectateur n’est jamais totalement dupe de l’aspect volontiers sentencieux et tapageur de celle-ci. Cependant, pour qui aura été particulièrement impacté par le brûlot nihiliste qui avait précédé, cela était porteur de grands espoirs concernant ce « Soldado », qui plus est réalisé par un nom encore peu connu du grand public, pourtant auteur de deux polars parmi les plus marquants des dernières années, notamment le surpuissant « Suburra », à savoir l’Italien Stefano Sollima, fils de Sergio Sollima, réalisateur de nombreux westerns spaghettis. Bref, tout ça partait sur de très solides bases, d’autant plus que la fin radicale du premier opus laissait clairement attendre une suite non moins brutale et sans espoir.
Nous avions donc laissé à l’issue de « Sicario », les personnages dans des positions morales pour le moins discutables, particulièrement Alejandro, incarné par le ténébreux et puissant Benicio del Toro, et le point de départ de cette suite se situe clairement dans une continuité directe, mais avec pour ambition de traiter de bien plus vastes sujets, à commencer par le terrorisme. Sujet pour le moins brûlant de par l’actualité mondiale, et le nombre de morts imputés au terrorisme islamiste, il n’y a pas grand-chose de plus sensible actuellement, et il était donc particulièrement ardu de lier ça au thème du narcotrafic, et par conséquent des cartels de la drogue sévissant au Mexique. Dès son introduction clairement rentre-dedans, on sait dans quoi on est tombé, et que l’on n’aura pas trop l’occasion de rire. Des hommes sortent d’un camion en se dirigeant vers un magasin, le spectateur sachant immédiatement dans quel but. Ils rentrent à l’intérieur, et se font sauter les uns après les autres au milieu des clients, avant qu’une mère et sa petite fille ne se retrouvent nez à nez avec le dernier d’entre eux, la mère le suppliant d’arrêter, évidemment en vain, celui-ci se faisant exploser immédiatement. Une scène quasi d’ouverture qui a de quoi calmer d’entrée les éventuels esprits dissipés, et place d’emblée le film à un niveau d’intensité qui, objectivement, ne faiblira jamais jusqu’à la fin. Amateurs de tension anxiogène quasiment asphyxiante et de violence sèche clouant le spectateur à son siège à chaque explosion soudaine, vous aurez de quoi vous sustenter, et il n’y a aucun doute que Stefano Sollima fait du très bon boulot derrière la caméra, confirmant qu’il est loin d’être un manche, chose rassurante au vu des espoirs précédemment placés en lui. En terme de cinéma pur, pas grand-chose à y redire, donc, tant dans sa mise en scène, d’une précision et d’une plasticité dignes du travail de Denis Villeneuve que dans sa gestion du montage et de l’atmosphère oppressante.
Comme dit plus haut, l’ambition clairement affichée par le scénariste est d’embrasser de nouveaux sujets et de les intégrer à l’univers établi par le premier film, en enrichissant les bases de ce dernier par ces nouvelles thématiques tout aussi passionnantes sur le papier. Assumant une structure quelque peu bancale de par son statut d’œuvre transitionnelle, on a comme l’impression que chaque sujet est comme effleuré, ne trouvant jamais d’issue satisfaisante pour le spectateur. Malgré la puissance indéniable de nombreuses séquences, qui, prises sorties du contexte, fonctionnent à merveille, le scénariste se cogne un peu contre des murs, semblant avoir écrit cet opus uniquement dans l’optique d’un troisième épisode déjà en projet, que l’épilogue en forme de cliffhanger laisse clairement attendre. Pour qui serait un peu lassé de cette mode contemporaine de cinéma s’inspirant de l’esprit des séries TV, où rien n’est jamais totalement achevé, cela a de quoi laisser dans la frustration. On voit où le scénario veut aller, on souhaite voir toutes ces pistes menées à leur terme, mais on se retrouve au final comme les personnages, sachant que la guerre ne sera jamais finie, et que tout est toujours à recommencer. Le problème étant qu’en seulement deux heures de projection, il était évidemment difficile de trouver une issue satisfaisante à des problématiques aussi vastes, mais que l’on aurait aimé que l’écriture des personnages aille tout de même au-delà de cette ambiguïté morale déjà abordée par le premier film, n’allant pas beaucoup plus loin ici. En gros, Alejandro est impitoyable mais veut juste venger sa famille (déjà enjeu principal du premier film), mais ce dernier commence à montrer des signes d’une humanité retrouvée. Quant au personnage de Josh Brolin, c’est un agent là pour obéir à des ordres, peu importe la teneur de ces derniers, et il n’hésite donc pas à trahir ou torturer, pourvu que les résultats soient là, mais refuse tout de même d’exécuter une adolescente au dernier moment. Chaque personnage ne semble donc défini que par une ambivalence au final assez banale, et le film a du mal à se justifier par rapport au parfait premier opus, où pour le coup, tout semblait avoir été dit, et dont la fin, sans apporter de réponse toute faite, avait le mérite de se suffire à elle-même, ne laissant à l’époque pas attendre de suite.
Au final, il est plus difficile que d’habitude d’émettre un avis tranché sur le résultat, tant le film semble avoir le cul entre deux chaises. En tant que polar stressant et brutal, ne relâchant jamais la pression et plaçant le spectateur dans un étau dont il ne peut se libérer qu’après les deux heures de projection, il fonctionne à la perfection et n’a rien à envier au premier d’un point de vue purement stylistique ou d’efficacité. Cependant, on ne peut s’empêcher de se dire, lorsque le générique arrive, que l’on n’a pas avancé d’un poil en réflexion, que ce soit au niveau des personnages et de leurs motivations, ou du contexte plus général, dont on aurait aimé explorer plus en avant les ramifications complexes et riches de pistes scénaristiques. Ce sera certainement pour le troisième (et dernier ?) film, et l’on espère donc que le film présent marchera suffisamment pour permettre de lancer cette ultime suite, sans laquelle cette guerre des cartels risque de s’effacer rapidement des mémoires.
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