Un couteau dans le coeur : Diamant noir d’une beauté étincelante

On ne se risquera pas à se lancer dans les sempiternels reproches concernant le palmarès de la dernière édition Cannoise, surtout lorsque l’on n’a pas encore eu l’occasion de voir la majorité des films de la compétition, et nul doute que certains films récompensés au final doivent être tout à fait recommandables. Il semble néanmoins nécessaire de dire encore à quel point il est important de renouveler les noms qui y sont présents, afin d’essayer de donner l’aperçu le plus objectif possible de tous les types de propositions de cinéma du monde entier. Tout ça pour en venir au film de Yann Gonzalez, dont la sélection en dernière minute aura surpris pas mal de monde, y compris sans doute le principal intéressé, alors que son premier long, le beau « Les rencontres d’après Minuit », avait été découvert à la Semaine de la Critique en 2013, et que nous pensions voir celui-ci au même endroit. Mais Thierry Frémaux avait décidé de mettre en avant de nouveaux noms, afin de faire taire les éternels insatisfaits martelant chaque année à quel point les cinéastes ayant la carte commençaient à lasser et que par conséquent, il était temps de passer à une nouvelle génération. Mais juste quand ces reproches se sont fait entendre sérieusement, et que la porte s’est ouverte pour un cinéma, disons-le clairement, plus alternatif, celle-ci s’est refermée immédiatement, le film qui nous intéresse ayant récolté un certain nombre de quolibets et moqueries d’une bande de soi-disant cinéphiles cherchant à donner chacun leur avis plus fort que les autres, mais n’ayant sans doute jamais entendu parler de tous ces films ayant bercé le cinéaste dans sa jeunesse, dont il nous sert ici un melting-pot merveilleux à sa sauce, c’est-à-dire follement romantique, électrique et romanesque ! Donc, aucune récompense au final, comme on pouvait s’y attendre, mais un film à la liberté et à la sincérité à fleur de peau qui touchent profondément !

Prenant place dans le Paris de 1979, l’histoire s’intéresse à une productrice de porno gay, Anne, interprétée par Vanessa Paradis, inspirée d’une véritable personnalité du genre dont le cinéaste affirme avoir entendu parler dans le « Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm » de Christophe Bier (spécialiste en la matière et faisant une apparition courte mais savoureuse dans le film), bible du genre.  Cette dernière était semble-t-il réputée pour sa personnalité haute en couleurs, dure et imprévisible. Avec son âme romantique, Yann Gonzalez a donc tout naturellement tenu à altérer quelque peu l’aspect glauque de la véritable histoire, afin d’aller vers quelque chose de plus pur et flamboyant. Le film débute donc par une rupture, avec sa monteuse, Lois, dont elle est éperdument amoureuse, et qu’elle tente de reconquérir par tous les moyens, pendant qu’un tueur commence à assassiner sauvagement tous les acteurs de sa nouvelle production…

Mêlant donc reconstitution très réaliste du Paris de l’époque,  à une sorte de giallo croisé à mille et une références toutes parfaitement digérées, on sent donc la passion animant le cinéaste, à commencer par son esthétique à la fois ultra léchée, mais gardant toujours cet aspect organique évoquant la pelloche chère au cœur des cinéphiles, avec son grain extrêmement agréable à l’œil, auquel on peut ajouter une utilisation des tons vert-bleu, typiques, comme il le dit très bien, d’un certain cinéma français de la fin des 70’s, début 80’s, avec ses néons et ses couleurs très marquées, passant pour kitsch aujourd’hui, mais possédant pourtant ce charme que l’on ne retrouve que très rarement dans le cinéma actuel, et que le film arrive donc à nous faire ressentir sans que jamais cela ne paraisse artificiel ! Car chaque choix esthétique ou narratif, même lorsqu’il peut paraître quelque peu too much sur le moment, finit par s’avérer payant sur la durée, le film dans son ensemble étant d’une cohérence thématique et formelle assez remarquable !

On pouvait logiquement s’attendre à une œuvre très sulfureuse, au vu de son sujet laissant espérer un monument de provocation salvatrice en ces temps de bien-pensance extrême où l’hypocrisie règne pour notre plus grand malheur. Et pourtant, pour qui a déjà vu les précédents travaux du cinéaste, qu’il s’agisse de son long métrage ou des ses courts, il était évident que le film ne tomberait pas dans le piège du racolage et de la pornographie à simple but bandulatoire. Donc au final, il est tout à fait possible pour un public d’hommes hétéros de se plonger dans l’univers du film sans se sentir gêné, car le ton y est avant tout mélancolique et doux, malgré les scènes de meurtres assez brutales et le sexe omniprésent à chaque instant à travers des situations plus que suggestives, mais évitant tout simplement les plans pornos. Peu importe donc, que l’on ne soit pas excité, car le cinéaste maîtrise si bien son atmosphère, et raconte son histoire avec une telle évidence, que l’on se plonge avec délice dans cet univers que l’on croyait de plus jamais pouvoir contempler sur un écran de cinéma.

Certes, certains dialogues peuvent faire sourire, par leur résonance volontairement artificielle, comme c’était déjà le cas des monologues de son premier film, et il est fort probable qu’un public non initié ne sachant absolument pas à quoi s’attendre fasse la grimace ou quitte la salle en ricanant cyniquement, comme cela a visiblement été le cas à Cannes. Mais n’importe qui ayant une âme romantique comme Yann Gonzalez sera forcément touché par les déclarations du personnage de Vanessa Paradis à son amour perdu (interprétée par Kate Moran, muse du cinéaste), et dont on sent à chaque instant à quel point la passion est encore brûlante entre elles, même si celle-ci n’est plus possible, et l’on a l’impression que cette dernière est capable de commettre l’irréparable comme une scène le décrit si bien à la fin, quand elle lui crie à peu près « Tu m’appartiens, ce corps est à moi » ! Il est inenvisageable pour elle qu’une autre femme puisse recevoir de l’Amour de l’amour de sa vie ! Sur des situations à priori impossibles sur le papier, le résultat s’avère quasiment extatique, par l’interprétation sublime de Vanessa Paradis, icône parmi les icônes, dont la prestance naturelle rend évidents chacun de ses monologues, même lorsque ceux-ci pourraient tomber dans l’hystérie. Il est difficile de se maintenir sur le fil si tenu séparant  le naturel dans des situations écrites de manière volontairement non naturelles, du non jeu grotesque. Par son fort tempérament de comédienne, et son aisance naturelle de jeu, elle y parvient haut la main, et tant pis pour ceux qui trouveront à y redire, les amateurs en tomberont quand à eux amoureux immédiatement, tout comme l’on tombe amoureux du film.

La drôlerie est également présente à travers les scènes de tournage du film dans le film, et particulièrement grâce à l’excellent Nicolas Maury, ce comédien si singulier du cinéma français semblant si idéal dans l’univers du cinéaste, qu’on pourrait penser qu’il était prédestiné au jeu rien que pour pouvoir le rencontrer. Il a donc droit aux dialogues les plus croustillants du film, qu’il balance avec une jubilation qui se transmet parfaitement au spectateur, certains moments s’avérant donc assez jouissifs à ce niveau. Citons également les instants suspendus chers au cinéaste, avec la musique de M83, groupe de son frère, qui fait basculer le film dans une autre dimension.

Même lorsque le film bascule dans sa seconde partie, au rythme volontairement alangui, l’ambiance persiste, et le romantisme est partout, jusqu’au final mettant en image et en voix off féminine, l’histoire du tueur masqué, donnant une dimension tragique au film qui n’aurait pas eu besoin de ça pour s’avérer passionnant, mais dont l’ampleur dramatique achève de le rendre inoubliable, en plus d’être un régal de chaque instant concernant les multiples références glanées ici ou là, selon nos connaissances du cinéma (bis ou moins) ! Il serait donc inutile et fastidieux de les lister toutes ici, le mieux étant de laisser chacun les reconnaître ou non !

Quoi  que l’on puisse donc reprocher au film au final, et il possède incontestablement des défauts, du moins des excès, la proposition est tellement forte, sincère  et atypique qu’il est difficile d’y résister. Nous pourrions même affirmer que ces défauts contribuent au plaisir ressenti au final, achevant de rendre l’œuvre humaine et vivante, lui conférant un éclat proprement étincelant ! On sort de là enivré avec des images plein la tête, et il serait heureux que le cinéaste continue sur sa voie, le cinéma français ayant fortement besoin de sortir ainsi de sa zone de confort !

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