L’homme qui tua Don Quichotte : Le rêve fou de Terry Gilliam

On ne débute pas la rédaction d’une critique de ce nouveau film de Terry Gilliam comme n’importe quelle autre. Car comment rester le plus objectif possible sur une œuvre qui aura tant coûté émotionnellement à son auteur ? N’importe qui suivant avec un peu d’intérêt ce qui se passe dans le monde du cinéma est au courant des multiples accidents (et ce n’est pas un euphémisme) s’étant accumulés durant son éprouvante conception, le projet datant de 25 ans, et le tournage catastrophique initial ayant fait l’objet d’un documentaire devenu culte, « Lost in la mancha » ! Et ce n’était que le début des emmerdes pour le pauvre Terry qui aura malgré tout fait preuve de ce que l’on peut sans aucun doute appeler la plus grande abnégation de toute l’histoire du cinéma, afin de réaliser son rêve le plus fou, quoi qu’il en coûte, et quels que soient les changements de script que cela occasionne. Et il est évident qu’entre la version enfin là, devant nous, aujourd’hui, et celle prévue aux origines du projet, il doit y avoir une énorme différence, mais au final, qu’importe, le film existe, et cela fait partie de cette magie du cinéma que l’on a que trop peu l’occasion d’éprouver en ces temps de cynisme extrême (coucou Deadpool 2, c’est à toi que l’on pense !). Et Dieu sait que cynique, le père Gilliam ne l’est pas du tout !

Lorsque le film débute, on est donc à la fois fébrile et inquiet, que ce projet si cher à son cœur, ne s’avère bancal et victime de ses multiples réajustements. Et pour être tout à fait honnête, sa mise en place s’avère des plus problématiques, avec son rythme laborieux et ses excès d’humour limite beauf, qui font craindre le pire quant aux 2h10 qui nous attendent. Fort heureusement, on se rend vite compte qu’il était peut-être nécessaire d’en passer par là, pour bien mettre en place son nouveau projet et faire clairement comprendre que cette version de Don Quichotte sera pour le moins iconoclaste. En choisissant de prendre comme personnages principaux un cinéaste ayant, il y a plusieurs années, réalisé une version arty en noir et blanc de Don Quichotte, et un acteur local amateur ayant un peu trop assimilé le personnage au point d’en devenir « fou », le cinéaste parle évidemment de lui. Lui, le rêveur, soit très naïf, soit totalement inconscient comme le dit un dialogue malicieux, qui a dû se dire subitement, un jour, « mais Don Quichotte, c’est moi, bien sûr » et qui depuis lors, n’a plus eu de cesse que d’expulser ce personnage de lui, comme un exorcisme par le cinéma, entraînant dans sa folie créative de multiples équipes, dont on sait aujourd’hui à quel point cela a pu leur coûter au fil des innombrables étapes de ce projet maudit. Le film exprime avec une justesse infinie, ce double niveau de lecture présent à chaque instant, rendant le visionnage particulièrement émouvant sur la durée, pour qui serait conscient de tout ce que cela implique. Car il est évident que le film tel qu’il existe aujourd’hui, est la résultante de ces années de souffrance pour son auteur, qui malgré tout, n’a jamais baissé les bras. Cette souffrance intime est donc retranscrite sur son personnage de doux rêveur incarné par un Jonathan Pryce hallucinant, entraînant dans son délire le responsable de son état, à savoir un Adam Driver lui aussi démentiel, comme on ne l’a jamais vu, faisant sien l’univers fantasque du metteur en scène.

On sent une grande amertume dans le propos général du film, le cinéaste semblant regretter à chaque instant ce qu’est devenu le monde du cinéma, bouffé par une horde de cyniques opportunistes symbolisés ici lors du dernier acte dans un château, par une équipe de cinéma utilisant la folie du personnage central, pour leurs propres plaisirs de nantis bouffis d’arrogance et de mépris, l’humiliant totalement lors d’une scène bouleversante. Ce monde n’a plus de place pour les rêveurs, ou les faiseurs de rêves, semble-t-il dire frontalement, pour qui serait encore capable de regarder au-delà des images. Il semble avoir conçu ce film comme un testament, englobant tout son cinéma (on pense évidemment beaucoup au baron Münchhausen, mais également au personnage magnifique campé par Robin Williams dans « The Fisher King » …), et comme un legs à la nouvelle génération, comme pour leur dire, « l’avenir est entre vos mains » ! Il n’est pas certain que le film trouve un public au-delà des aficionados du grand Terry, qui seront certainement les plus à-même d’être bouleversés par le message qu’il délivre ici avec une sincérité désarmante, mais l’espoir fait vivre, et même si le film fonctionne évidemment essentiellement lorsque l’on a en tête toutes les données nécessaires, ce qui en fait un grand film réflexif passionnant de ce point de vue, il y a tout de même suffisamment de folie et de magie, avec ce style si foisonnant propre au cinéaste, que l’on peut tout de même espérer que même les non initiés puissent éventuellement s’y retrouver. En tous les cas, ses fans, eux, ne seront pas déçus, car le film, avec ses outrances et ses défauts évidents, n’en est que plus émouvant et renversant, car ce sont justement ces imperfections qui le rendent au final si humain et d’une universalité revigorante.

Il est fort plaisant de retrouver ce plaisir simple de cinéma, comme si l’on revenait à la pureté originelle du médium, le cinéaste osant même un romantisme que certains trouveront sans doute désuet, mais dont la candeur détonne tellement dans le cinéma actuel, que l’on ne peut que l’en remercier pour nous permettre de ressentir, en 2018, ce type d’émotions dans une salle de cinéma. Merci Terry, et quoi qu’il advienne aujourd’hui, que vous poursuiviez encore votre carrière jusqu’au bout, ou que vous preniez votre retraite, vous pouvez être fier de vous, ce film serait parfait pour clôturer votre si belle carrière !

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