Avengers Infinity War : Mastodonte sombre et épique

10 ans et 18 films. Rien que ça. C’est le temps qu’il aura fallu au Marvel Cinematic Universe pour s’inviter de façon récurrente sur nos écrans tout en redéfinissant pour le meilleur comme pour le pire le paysage du blockbuster hollywoodien. A l’époque, quand Jon Favreau réalisait Iron Man avec à sa tête un Robert Downey Jr. à peine sorti de la case has-been, personne n’y croyait. 10 ans et 18 films plus tard, voilà que tous ces efforts ont mené à la plus grande réunion de super-héros jamais vue sur grand écran. Avengers Infinity War, dix-neuvième film du MCU, mastodonte à tous points de vue (67 personnages à l’écran et très certainement 500 millions de dollars de budget si l’on prend en compte celui de la publicité) est là, attendue comme le messie par des milliers de fans. Maintenant qu’une bonne partie de l’univers Marvel est installé, Thanos, annoncé comme grand méchant depuis le premier Avengers, peut enfin débarquer avec les frères Russo aux commandes. Et les frangins, à la fois responsables du solide Soldat de l’hiver et du pétard mouillé Civil War avaient fort à faire. Ils parviennent cependant à concilier efficacement tout le cahier des charges du genre tout en y insufflant un ton plus sombre.

Il faut dire que ça ne rigole pas. Thanos, titan destructeur et très puissant, a décidé de mettre la main sur les Pierres d’Infinité afin de les insérer dans son gantelet. S’il réunit les six Pierres, c’est l’univers tout entier qui court à sa perte. Rapidement avertis du danger, les Avengers comme les Gardiens de la Galaxie vont tenter de l’arrêter. Mais c’est sans compter sur les pouvoirs de ce nouvel ennemi, semant la mort sur son passage sans jamais afficher l’ombre d’un regret. D’ailleurs Thanos, teasé depuis des années, est certainement la plus belle réussite du film. Si l’on excepte Loki, ennemi marquant mais rapidement tourné en dérision, le MCU a toujours manqué de méchants à même de marquer les esprits. Aucun d’entre eux n’a réussi à s’imposer, en dépit du potentiel de certains. Les frères Russo se rattrapent alors avec Thanos, incarné avec un charisme assez dingue par Josh Brolin. Le récit fait de Thanos le pivot du film, méchant complexe dont le but va bien au-delà de la simple destruction pour le plaisir et qui est régi par des émotions assez inattendues. Faisant trembler à chacune de ses apparitions, le Titan Fou instaure dans le film un sentiment de crainte permanent tant sa force pourrait lui permettre de briser le moindre de nos héros chéris.

C’en est d’ailleurs fini de jouer pour nos héros. Ceux-ci, s’ils se permettent quelques blagues bien senties, se retrouvent rapidement dépassés par l’ampleur du conflit que mène leur ennemi. C’est là que le film prend une ampleur dramatique bienvenue : en montrant dès le début la puissance de Thanos et en sacrifiant certains personnages (on a envie de dire enfin, jusque-là les héros Marvel semblaient increvables), cela ne fait que renforcer l’attachement que l’on éprouve à leur égard. En dépit des hauts et des bas que le MCU a pu connaître, on ne va pas se mentir, on a appris à aimer ces personnages et les voir réunis de la sorte n’est pas sans nous procurer de gros frissons. Frissons décuplés par l’enjeu du scénario empruntant beaucoup aux écrits de Jim Starlin pour Marvel. La familiarité que l’on éprouve à la vue de tous ces héros est renforcée par la jolie capacité du film à jongler entre ses séquences.

Loin d’être bourratif, le scénario parvient à faire exister chacun des personnages dans plusieurs intrigues. Certes, certains sont mieux gâtés que d’autres et on pourra déplorer le fait que plusieurs d’entre eux ont l’air de faire de la figuration de luxe. C’est une chose que le récit peut se permettre (pas besoin de s’attarder des plombes sur des personnages déjà bien installés) et qu’il se doit d’ailleurs de faire s’il ne veut pas être trop lourd. Saluons d’ailleurs une fois de plus la cohérence incroyable du MCU qui a su dès le début où il se dirigeait et qui renvoie le DCEU au placard en un rien de temps. Là où Justice League n’est qu’un produit emballé à la va-vite, Infinity War porte en lui le temps d’attente qu’il lui a fallu pour en arriver là, arrivant à donner corps à ses personnages avec un vrai sens du récit.

Dans l’ensemble, l’équilibre du film se tient, chaque acteur s’implique avec un plaisir assez évident, conscients de jouer dans LE blockbuster de l’année. Et le plaisir est allègrement partagé par le spectateur, ravi d’assister à un récit épique qui lui en donne pour son argent tout en évitant de le prendre pour une buse. Si Avengers Infinity War ne manque pas d’avoir quelques petits défauts (il reste peu surprenant pour le genre) et n’a pas non plus l’ampleur d’un grand film (ne nous y trompons pas), force est de reconnaître que le travail est fichtrement bien emballé.

Le plaisir est d’autant plus grand que le film parvient à jouer toutes ses cartes sans se louper tout en instaurant une nouvelle tonalité au MCU. Une tonalité faisant planer l’ombre de la mort et du désespoir sur des personnages qui n’ont jamais eu à affronter. Les rencontres avec Thanos peuvent avoir une issue tragique et ce jusqu’à la toute fin du récit, sacrément audacieuse. Tout en ayant conscience de respecter le cahier des charges d’une production massive, les frères Russo livrent l’un des meilleurs films du MCU (de là à dire le meilleur, il n’y a vraiment qu’un pas à franchir) et parviennent à donner au Marvel Cinematic Universe une direction bougrement intéressante qui pourrait offrir encore de belles heures (années) à Marvel dans nos salles de cinéma. Pour le meilleur et pour le pire ?