Les anges portent du blanc : Le déterminisme social peut-il être déjoué ?

Dans la droite ligne du nouveau cinéma d’auteur Chinois, le public cinéphile français avait pu découvrir il y a 4 ans une nouvelle venue, Vivian Qu, avec son premier long métrage Trap street , dont il faut bien avouer qu’il n’avait pas forcément convaincu l’auteur de ces lignes, malgré des qualités formalistes indéniables. Mais le film était encore un peu trop auteurisant et expérimental pour emporter l’adhésion du plus grand nombre. Gageons que cela changera peut-être un peu avec son deuxième long métrage qui nous intéresse ici, tant elle y fait preuve d’une précision phénoménale pour raconter son histoire, réussissant à mêler plusieurs destinées sans perdre aucun personnage en cours de route, avec une ambition esthétique et une grâce dans sa direction d’acteurs et la conduite de son récit qui forcent le respect.

Prenant place dans une petite station balnéaire, loin de la grande ville tentaculaire broyeuse d’êtres humains que l’on a l’habitude de voir dans le cinéma chinois contemporain, le récit s’attache à plusieurs personnages féminins, d’âges divers, pris dans une histoire sordide débutant avec l’agression de deux très jeunes filles dans un motel par un homme d’âge mur. Mia (Wen Qi, saisissante), adolescente travaillant à la réception au moment du drame, a tout vu sur un écran de surveillance mais refuse de parler par peur des répercussions. Le film suivra ensuite essentiellement l’une des deux victimes, Wen, âgée de 12 ans, que l’ampleur des évènements va dépasser, trop jeune et innocente pour en comprendre tous les enjeux …

Loin de se complaire dans un malheur préfabriqué, avec comme seule ambition de pousser les curseurs du misérabilisme social au maximum, la cinéaste préfère dresser un état des lieux de la condition féminine dans la Chine actuelle, certes pas très reluisant à l’égard des hommes et de valeurs d’un autre âge, mais toujours tourné vers ses beaux personnages féminins, sans chercher à les accabler davantage qu’elles ne le sont déjà naturellement par les évènements délicats. Affirmant dans un entretien (merci le dossier de presse) que dans la société chinoise, il y a peu de monde pour parler des problèmes concrets des femmes, de toutes les femmes, ces dernières restant malheureusement, du moins pour la majorité, cantonnées à ce que la vie leur a imposé dès leur plus jeune âge, sans jamais remettre en question cet état de fait, elle cherche donc naturellement, par son film, à leur donner une parole qu’elles n’ont peut-être pas assez dans la vraie vie, mais sans tomber dans le piège du film à thèse pour soirée-débat, ou du tract bêtement féministe et à charge contre tous les hommes. A travers un cas extrême, elle s’interroge, avec empathie et douceur à l’égard de ses personnages, sans pour autant occulter l’aspect terrible, voir révoltant, de l’histoire. Car les personnages adultes du film, hormis une avocate sincèrement engagée à défendre la jeune fille victime à travers laquelle elle cherche à rendre justice à toutes les autres victimes du même type de violences malheureusement non punies, ne semblent pas franchement empathiques et prêts à s’engager honnêtement dans ce qui est juste. Comme nous l’avons déjà vu dans d’autres films asiatiques, pas seulement chinois, les puissants pensent pouvoir tout régler par l’argent, les personnages du film étant modestes, donc à priori plus disposés à accepter tout type de compromis, même lorsque cela se fait aux dépends de la dignité de leurs enfants. Constat accablant donc, auquel la cinéaste ne cherche pas à apporter de réponses toutes faites, ce qui nuirait de toute façon à la crédibilité du film. Cependant, elle ne tombe pas dans le piège du naturalisme cru et plombant, travaillant au contraire l’aspect esthétique du film avec un talent fou, parvenant à créer de vraies visions de cinéma imprimant la rétine, mais ne tombant pas dans le piège du formalisme creux ou refermé sur lui-même. Au final, le film est tout autant travaillé sur la forme que sur le fond, et se montre donc à la fois exigeant dans ce qu’il raconte, et ouvert, et par là-même, accessible, pour un public un peu plus large que pour son premier film.

Dirigeant remarquablement toutes ses actrices, même les plus jeunes, elle ne brusque jamais quoi que ce soit, laissant les situations exister par elles-mêmes, sans rajouter d’effets dramaturgiques parasites. Elle maîtrise parfaitement sa mise en scène, tout simplement, chaque plan signifiant quelque chose, sans avoir besoin d’ajouter de musique, utilisée à de rares instants, toujours avec justesse. Elle se fait confiance, et ose même des plans quasi oniriques, notamment dans ce tunnel, vu comme un endroit féérique, à travers les yeux de ses deux jeunes filles. C’est sur cet aspect que le film vise le plus juste, touchant droit au cœur du spectateur, lorsqu’elle  filme des enfants ne perdant pas leur sens de l’émerveillement, donc de cette innocence qui fait l’enfance, malgré  la dureté du quotidien et de ce qui leur arrive à elles particulièrement. Le charisme évident des deux jeunes comédiennes est une vraie découverte, laissant pantois sur la capacité du cinéma asiatique dans son ensemble à caster des enfants extraordinaires de naturel, nous faisant toujours nous demander pourquoi nous n’arrivons pas, en France, à en trouver d’aussi bons. Quoi qu’il en soit, leur talent, particulièrement en ce qui concerne Zhou Meijun, sur qui l’histoire reste focalisée, porte le film à des sommets d’intensité. C’est l’ultime preuve de l’intelligence ayant porté le film à tous les niveaux, dont l’accomplissement suprême est atteint lors d’un dernier plan sublime d’une puissance d’évocation évoquant les derniers plans des films de James Gray, alliant intelligence métaphorique et émotion immédiate. Un grand film !

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*