Mark Dixon Détective : Les bonnes nuances de gris

Depuis le 4 avril, on ressort le feutre et l’imper’ pour la sortie DVD+Blu-ray de Mark Dixon Détective (Where the Sidewalk Ends), film noir d’Otto Preminger datant de 1950. Preminger étant capable du meilleur comme du pire (opinion que le livret de 60 pages accompagnant l’édition et l’entretien avec Peter Bogdanovich en bonus ne manquent pas d’étayer), on se demande si la découverte en vaut la peine, au même titre que ses plus grandes œuvres (L’Homme au Bras d’Or ou encore Autopsie d’un Meurtre pour ne citer qu’eux). Le premier nom qui vient à l’esprit alors qu’on associe Otto Preminger et « film noir », c’est bien entendu Laura et ce qui nous rassure tout de suite, c’est qu’une bonne partie de l’équipe de ce dernier est de retour pour Mark Dixon Détective (notamment Gene Tierney et Dana Andrews en guise de couple vedette ou encore Joseph LaShelle à la photo).

Mark Dixon débute avec les canons classiques du film noir. On fait la connaissance du héros qui donne son nom à l’œuvre, inspecteur de police bourru aux méthodes peu orthodoxes que son chef, dans une remontrance bien sentie, ne manque pas d’énumérer. D’entrée de jeu, on nous peint un tableau haut en couleur de ce bourrin qui a son propre sens de la justice, ce qui lui vaudra non seulement de voir une promotion lui passer sous le nez, mais aussi d’être rétrogradé temporairement en guise de leçon. Alors qu’arrive une nouvelle affaire de meurtre pour l’équipe du commissariat, on peut penser que les rouages sont en place. On s’attend alors à un simple jeu de chat et de la souris entre ce flic sans retenue et Tommy Scalise, malfrat bien connu des services de police qu’on suppose responsable. Mais un imprévu opportun donne au film une toute autre dimension hautement plus intéressante. Lors du premier interrogatoire en rapport avec le meurtre, Dixon ne manque pas d’user de  violence et tue par mégarde Ken Paine, qui était lié à l’affaire. Le jeu de chat et de la souris aura donc bien lieu, mais il se fera entre Mark et le reste du monde, que ce soit la police, les criminels ou les simples témoins.

Ce retournement de situation permet de se concentrer d’autant plus sur Mark, confronté à ses méthodes, mais aussi à son passé et à ses dilemmes moraux, le tout aidé par un suspense fort, voire Hitchcockien par instants. Le fait que l’on retrouve Ben Hecht à l’écriture (Les Enchainés, La Maison du Docteur Edwardes…) n’y est surement pas étranger. Et bien que certaines révisions de scripts commandées par Zanuck soient un peu voyantes (le monologue intérieur que le héros déclame, la suppression d’un personnage homosexuel qui se retrouve projeté discrètement dans Scalise), l’écrivain sait jouer habilement avec le code Hays encore actif à l’époque. La mise en scène aide aussi à maintenir un rythme continu, notamment grâce à cette opposition entre les plans séquences qui laissent respirer les scènes, et le décor qui vient ponctuer cette fluidité avec nombre de séparations (comme la cage d’escalier dans laquelle Dixon trouve refuge avant d’être découvert un cadavre sur l’épaule). Autant d’obstacles qui encouragent inconsciemment le spectateur à les surmonter pour mieux rester concentré sur le cours des événements. Cette opposition, on la retrouve à l’échelle métaphysique, Dixon se retrouve confronté à ses différents reflets, que ce soit par le biais de Scalise, qui incarne son penchant académique ou bien entendu lui-même et sa propre violence.

Bien que Preminger opte pour une conclusion qui, contrairement au livre dont il est tiré, offre une réponse quant au devenir du personnage, il laisse avant tout le choix au spectateur de son positionnement moral face à cet imbroglio. Toute l’élégance du réalisateur est là : au milieu de toutes ces teintes de gris, si habilement posées en aplats sur des situations en apparence simples, voire manichéennes. Souvent reconnu comme matériellement économe, Otto Preminger garde ce trait de personnalité dans sa mise en scène, qui va à l’essentiel, sans  superflu dans le déroulement des péripéties, tout se goupille avec naturel pour porter le spectateur lors de sa réflexion. En résulte un long métrage riche pour sa durée relativement courte (1h32).

Loin de décevoir, Mark Dixon Détective revêt la forme classique du film noir pour mieux la pousser plus loin que les apparences ne le supposent. Témoins d’un véritable respect pour l’intelligence du spectateur, les tribulations du détective hard boiled, en plus d’être un film noir de bonne facture, constituent une porte d’entrée de choix dans la filmographie de Preminger.

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