Les Mystères d’Agatha Christie : Redécouverte de la Reine du Crime

On ne présente plus Agatha Christie (1890-1976), la romancière extrêmement prolifique, auteure de 66 romans, 154 nouvelles et 20 pièces de théâtre. Elle est surnommé la « Reine du Crime », à juste titre compte tenu de l’importance de son œuvre dans le genre policier. De nos jours, on associe surtout son nom aux personnages d’Hercule Poirot et Miss Marple, d’autant plus avec la récente sortie du Crime de l’Orient-Express de Kenneth Branagh ou encore avec les séries qu’on retrouve fréquemment à la télévision, qu’on connaît tous pour les avoir vu chez nos parents ou grands-parents. Chez Close-up, on est très attirés par le monde d’Agatha Christie, comme le montre notre rencontre avec Kenneth Branagh  ou encore notre dossier sur les visages d’Hercule Poirot. Voilà pourquoi, Carlotta Films et Studio Canal nous font un immense plaisir en présentant au cinéma le 4 Avril 2018 leur rétrospective « Les Mystères d’Agatha Christie » en versions restaurées inédites, avec 4 films au casting prestigieux.

  • Le Crime de l’Orient-Express de Sidney Lumet (1974)

  • Mort sur le Nil de John Guillermin (1978)

  • Le Miroir se brisa de Guy Hamilton (1980)

  • Meurtre au Soleil de Guy Hamilton (1981)

 

Le premier film qui nous est présenté est sans conteste, l’aventure la plus connue d’Hercule Poirot. À l’occasion de la sortie de la version de Kenneth Branagh, la rédaction de Close-up a déjà eu l’occasion de se pencher sur Le Crime de l’Orient-Express de Sidney Lumet. Le Crime de l’Orient-Express est une madeleine, une gourmandise dont on ne se lasse jamais quand bien même on en connaît toutes les ficelles, le film révélant toujours quelques subtilités à chaque nouveau visionnage. Agatha Christie, elle-même, s’estimait comblée du résultat, en dehors d’un minuscule détail mais qui a tout de même son importance, la moustache d’Hercule Poirot qui manque de superbe. Finalement, malgré une distribution de qualité et aux figures emblématiques, on pense notamment à Sean Connery (James Bond 007 contre Dr. No) et Anthony Perkins (Psychose), le film manque de profondeur. On aura bien trop le sentiment de voir des brides d’images du roman d’Agatha Christie, le tout manquant cruellement de vie.

Pour faire suite au crime de l’orient-express, quoi de mieux que Mort sur le Nil de John Guillermin ?

Nous retrouvons un Hercule Poirot en vacances en Égypte. La belle héritière Linnet Ridgeway, vient d’épouser le fiancé de sa meilleure amie Jacqueline de Bellefort, incarnée par Mia Farrow. Les deux jeunes mariés décident de faire une croisière à bord du Karnak pour leur voyage de noces. Mais ils sont suivis de très près par la rancunière Jacqueline. Par jalousie, cette dernière tire sur son ex-fiancé et le blesse à la jambe. Choquée, elle fait alors une crise de nerfs et est reconduite à sa chambre où une infirmière, incarnée par Maggie Smith, lui administrera de la morphine qui l’assommera pour le reste de la nuit. Le lendemain, le corps sans vie de Linnet Ridgeway sera découvert. Bien entendu, classique dans les romans policiers et en particulier chez Agatha Christie, l’ironie du sort voulait qu’Hercule Poirot se trouvait lui aussi sur le Karnak et il va maintenant enquêter avec l’aide de son ami le Colonel Race pour démasquer le responsable de meurtre en huis-clos.

À l’occasion de Mort sur le Nil, nous découvrons pour la première fois Peter Ustinov dans le rôle du célèbre détective belge. Il incarnera Hercule Poirot dans trois films : Mort sur le Nil en 1978 ; Meurtre au Soleil en 1981 et Rendez-vous avec la mort en 1988. Ainsi que dans trois téléfilms : Le Couteau sous la Nuque en 1985 ; Meurtre en trois actes et Hercule Poirot joue le jeu en 1986. Ici, Peter Ustinov apporte une dose de fraîcheur et rend le personnage bien plus vivant que dans le Crime de l’Orient-express. L’acteur prend du plaisir à jouer le rôle et s’amuse à passer de l’anglais au français avec bien plus d’aisance qu’Albert Finney, il faut le reconnaître. D’une manière générale, le traitement des personnages est bien mieux réussi dans Mort sur le Nil. Les présences de David Niven en Colonel Race ou d’une exubérante Angela Lansbury et d’une charismatique Maggie Smith portent plus leurs fruits que Sean Connery dans l’Orient-Express.

La mise en scène reste classique, on passe après Sidney Lumet donc quelques bases du style Agatha Christie qu’on retrouve plus tard chez beaucoup de séries policières anglaise, sont déjà mises en place. Mais on découvrira certains plans intéressants. Comme toute la scène du dédale de colonnes ou encore les reconstitutions des multiples hypothèses émises par Hercule Poirot. L’accent n’est pas porté sur l’extravagance mais sur les détails comme les costumes et les décors, à l’image du Crime l’Orient-Express. Le film ayant été entièrement tournée en décors naturels, il nous offre la magnificence des grandes pyramides, du Sphinx ou encore des statues d’Abou Simbel et des criosphinx du temple de Karnak. Mais qu’en est-t-il de l’intrigue ? Toujours en huis-clos mais cette fois bien plus savoureuse car remplie de rebondissements, d’alibis, de fausses victimes et de faux coupables.

Mort sur le Nil s’est emboîté dans le succès du Crime de l’Orient-Express avec réussite. Tout en remédiant aux défauts de ce dernier, notamment l’attention apportée aux fioritures qui permettent de donner vie à un roman et à ses personnages.

Après le Crime de l’Orient-Express et Mort sur Nil, les producteurs John Bradbourne et Richard Goodwin ainsi que le scénariste Anthony Shaffer commencent à être rodés aux adaptations d’Agatha Christie. Meurtre au soleil, réalisé par Guy Hamilton est adapté du roman Les Vacances d’Hercule Poirot. La machine commence à être bien huilé et nous retrouvons Peter Ustinov en Hercule Poirot, ainsi que d’autre têtes connus, aperçues dans les précédents films. Comme Colin Blakely et Denis Quilley qu’on a déjà pu voir dans le Crime de l’Orient-Express. Ils y campent respectivement Sir Horace Blatt qui mandate Hercule Poirot de surveiller une ancienne conquête dans le cadre d’un vol de diamant, qui se trouve être Arlena Marshall, la toute nouvelle femme de Kenneth Marshall campé par Denis Quilley. De même, nous aurons le plaisir de revoir Maggie Smith crevant toujours autant l’écran et Jane Birkin qui ne passe pas aussi inaperçue que dans Mort sur le Nil.

Après avoir été engagé par Sir Horace Blatt, Hercule Poirot se rend dans un hôtel de luxe sur une île au large des côtes albanaises où séjournent une dizaine de visiteurs pour y retrouver Arlena Marshall et le diamant disparu. Parmi les visiteurs se trouvent son mari ainsi que son amant. Arlena est incarnée par Diana Riggs qu’on connaît mieux de nos jours pour son son rôle d’Olenna Tyrell dans la série Game of Thrones. Un jour, Arlena est retrouvée morte sur une plage isolée de l’île. Hercule Poirot va donc enquêter sur un meurtre où tous les protagonistes ont à la fois un mobile et un alibi en béton.

Peter Ustinov est, encore une fois, impeccable en Hercule Poirot, jouant le personnage avec humour et prestance. De plus, on sent que chacun des autres personnages existe au-delà de son utilité pour l’intrigue. Meurtre au soleil récupère toutes les qualités de Mort sur le Nil en somme. L’immense travail d’Agatha Christie se faisant souvent écho à lui-même, les similitudes entre Meurtre au soleil et Mort sur le Nil sont très faciles à noter. En particulier la ficelle scénaristique du trio amoureux et de la femme bafouée. Mais ce qui a toujours fait la force des romans d’Agatha Christie se sont les meurtres et la manière de procéder du ou des meurtriers et les rapports des personnages à l’intrigue Pour que le lecteur se prête au jeu afin de savoir s’il a trouvé le coupable avant la révélation finale. Ici, le spectateur est servi car au-delà de répondre à un simple « Qui l’a fait ? » (le fameux « whodunit » en anglais qui donne son nom au genre) le plus intéressant est de répondre à « Comment a-t-il fait ? ».

Finalement, la force de ces trois films sur les aventures d’Hercule Poirot c’est qu’à chaque fois le film arrive à s’approprier les qualités de son prédécesseur mais aussi à apporter son propre ajout pour se démarquer des autres. Le Crime de l’Orient-Express était une adaptation précise et appréciée d’Agatha Christie mais manquant de la vitalité inhérente au cinéma. Mort sur le Nil a pallié au problème en laissant plus de place aux personnages dans leurs individualités et avec un Peter Ustinov plus à l’aise dans le rôle de Poirot. Meurtre au Soleil, lui, a apporté une dimension de jeu avec le spectateur pour lever le voile sur les trucs et astuces du coupable.

Mais Hercule Poirot n’est pas la seule figure emblématique de l’œuvre d’Agatha Christie. Un an avant de réaliser Meurtre au soleil, Guy Hamilton, le réalisateur des classiques de James Bond, Goldfinger, Les diamants sont éternels, Vivre et laisser mourir et l’Homme au pistolet d’or, réalisait Le Miroir se brisa, adapté du roman éponyme qui met en scène cette fois, Miss Marple. Le personnage de Miss Marple est l’héroïne de douze romans et d’une vingtaine de nouvelles. À l’inverse d’Hercule Poirot qui démontre l’identité des coupables preuves à l’appuie, Miss Marple utilise son intuition et sa connaissance de la nature humaine. Ainsi, pour huit des douze romans, le coupable est piégé et fini par se trahir lui-même ou avouer son crime, deux romans se terminent par la résolution de l’énigme et la mort du coupable et enfin les deux derniers romans se terminent par la résolution de l’énigme en l’absence du coupable avec une future arrestation supposée. Après le succès du Crime de l’Orient-Express et de Mort sur le Nil, les producteurs John Brabourne et Richard Goodwin décident de produire une des histoires de Miss Marple. Et après Margaret Rutherford, c’est Angela Lansbury qui endossera le rôle. Quatre ans plus tard, elle sera choisie pour jouer le rôle de Jessica Fletcher dans la série Arabesque qui est grandement inspiré du personnage de Miss Marple d’Agatha Christie.

Le fameux village de St Mary Mead est le nouveau lieu de tournage d’un film sur Elizabeth Ier et Marie Stuart. Cette dernière est incarnée par la star Marina Gregg-Rudd, jouée par Elizabeth Taylor. Au cours d’une fête organisée en l’honneur de l’équipe du film, une habitante du village est retrouvée morte empoisonnée peu de temps après avoir parlé avec son idole, Marina Gregg-Rudd. L’inspecteur Craddock, membre de Scotland Yard, cinéphile et neveu de Jane Marple est envoyé pour résoudre l’enquête.

Il est amusant de voir qu’ils aient décidé d’adapter le Miroir se brisa pour en faire une mise en abîme du cinéma. Ce sentiment est renforcé par la scène pré-générique, nous nous retrouvons spectateurs d’un film policier, tout ce qu’il y a de plus semblable à un Agatha Christie et pour exprimer le décalage, le film est en noir et blanc. L’introduction est trompeuse au point de se demander si on est bien devant le Miroir se brisa et si le bon film est bien dans le projecteur. Dysfonctionnement de projecteur et de pellicule avant le dénouement final, nous sommes dans ce qui s’apparente à une banale salle des fêtes où nous est brillamment introduite Miss Marple vers qui tout le monde se tourne pour connaître son avis sur l’identité du coupable. Elle a évidemment raison. C’est toujours très intéressant de voir un film sur le cinéma, comme le reflet d’un miroir déformant. Le film est rempli de ce genre d’attentions, des petites remarques et fanfaronnades entre réalisateurs et producteurs et des piques entre actrices. Tout ça apporte une touche de légèreté et d’humour appréciable.

Le fait que Miss Marple s’appuie sur son intuition et sur la nature humaine a pour conséquence une mise en valeur des personnages plus importante que pour un Hercule Poirot et donc la présence au casting de grands noms comme Elizabeth Taylor, Rock Hudson, Tony Curtis ou Geraldine Chaplin ne rend le film que plus attrayant. Tout le monde est très convainquant, même si Angela Lansbury a légèrement tendance à surjouer. L’énigme, quant à elle, devient plus psychologique que policière d’autant plus quand on en connaît le dénouement. Un dénouement qui ne manquera d’ailleurs pas de surprendre.

À l’instar de Sir Arthur Conan Doyle, Agatha Christie possède une part importante dans le capital culturel britannique. Son œuvre a grandement influencé la littérature anglaise ainsi que le paysage cinématographique, justement grâce aux nombreuses adaptations dont ont fait l’objet ses écrits. Aussi bien le théâtre que le cinéma ou la télévision, jusqu’aux bandes dessinées et les jeux vidéos, Agatha Christie fait toujours partie de l’imaginaire collectif et n’est pas prête de cesser d’être adaptée comme en témoigne le film de Kenneth Branagh. Mais surtout, comme en témoigne la sortie de ces quatre classiques en versions restaurées grâce à Carlotta Films. Le public continuera à prendre plaisir à revoir les classiques ou à découvrir les adaptations plus récentes.

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