The Captain – L’usurpateur : rencontre avec Robert Schwentke et Samuel Finzi

Cinéaste rompu aux ficelles du blockbuster hollywoodien (RED, Divergente 2 et 3), Robert Schwentke est retourné dans son Allemagne natale tourner son film le plus ambitieux à ce jour. Basé sur l’histoire vraie de Willi Herold, un soldat allemand ayant enfilé l’uniforme d’un capitaine de la Wehrmacht en 1945 durant les derniers jours de la seconde guerre mondiale, The Captain – L’usurpateur est un film glaçant. Sans avoir peur de choquer son public, Schwentke nous plonge au cœur d’une histoire dont il est impossible de sortir indemne et qui en dit long sur la violence dont l’être humain est capable. Trop de questions nous taraudaient à la sortie du film pour qu’on ne saute pas sur l’occasion d’interviewer Robert Schwentke quand celle-ci s’est présentée. En fin de journée, dans un petit hôtel parisien, Schwentke vient de finir 40 minutes d’interview pour la télévision. Nous sommes les derniers à le rencontrer aujourd’hui. Sans faire de pause, le cinéaste nous accueille avec le sourire et l’envie de partager avec nous ses réflexions autour de ce film qui lui tient à cœur. Ne montrant aucun signe de lassitude, il nous met tout de suite à l’aise. Dans un coin, l’acteur Samuel Finzi, tenant un rôle secondaire dans le film, trépigne d’impatience. La journée a été longue. Schwentke l’invite à s’asseoir avec lui et la conversation peut commencer :

Vous avez écrit le film en plus de le réaliser, qu’est-ce qui vous a attiré dans l’histoire de Willi Herold ?

Robert Schwentke : J’ai senti que j’avais là suffisamment de matière pour faire un film sur le national-socialisme qu’on n’avait jamais vu, que j’avais un angle d’attaque différent de ce qu’on avait vu auparavant. Je voulais confronter le public à certaines questions en adoptant le point de vue des criminels, des assassins. Cela me permettait également d’ignorer certaines conventions du genre pour mieux bousculer le spectateur. Je veux que celui-ci emmène le film avec lui en sortant du cinéma.

Vous avez évidemment tourné le film en Allemagne parce que l’histoire est allemande mais pensez-vous qu’un tel film puisse se faire à Hollywood de nos jours ?

R.S : Je pense que tourner cette histoire particulière avec une autre langue que l’allemand aurait été une erreur, ça n’aurait pas été vrai. Peut-être qu’un film indépendant américain aurait osé approcher cette histoire. A Hollywood, le Hollywood des studios, je suis quasiment sûr que personne n’aurait voulu faire le film. Ce n’est pas un film pour tout le monde. Je ne suis pas sûr qu’un tel scénario aurait pu survivre à Hollywood, il ignore tellement de conventions du cinéma américain classique qu’il aurait été remanié. Mais pour moi, il fallait vraiment le tourner en allemand. Il y a dans la langue certaines tournures de phrases, certains termes, certaines expressions qui ne peuvent être dites qu’en allemand. Dans le film, il y a de nombreuses situations qu’on n’appelle pas par leurs noms. Personne ne prononce le mot massacre, par exemple. Ils savent tous de quoi ils parlent mais ils utilisent des euphémismes. Il fallait vraiment de l’allemand pour coller à ça.

Quel effet ça vous a fait de tourner à nouveau en Allemagne après tant d’années en Amérique ? Etiez-vous plus libre ?

R.S : Oui totalement ! Nous n’étions pas en train de faire un film destiné à être un produit de consommation de masse. Nous avons pu faire le film tel que nous le voulions, de la façon dont nous pensions la plus juste pour raconter cette histoire. Mais en même temps, réaliser un blockbuster comme RED procure extrêmement de plaisir. Je n’ai jamais réalisé un film qui ne me parlait pas, qui ne m’intéressait pas. L’exception concerne RIPD – Brigade fantôme. Là le film est mauvais mais c’est entièrement de ma faute, je ne l’ai pas approché de la bonne façon.

Samuel Finzi incarne ici Kuckelsberg, un prisonnier se transformant en assassin

Le financement a-t-il été difficile à trouver ?

R.S : Tellement dur ! A plusieurs reprises, on a cru qu’on n’allait jamais réussir à avoir l’argent nécessaire. On a eu des financement de la part de l’état mais certains investisseurs ont disparu sans donner de nouvelles, ils ont eu peur du sujet. Après ça, on a vraiment cru que le film était foutu. Mais des investisseurs privés nous ont sorti la tête hors de l’eau.

Comment travaillez-vous avec les acteurs ? Avez-vous fait des répétitions ?

Samuel Finzi : Avec Robert et les autres comédiens, on s’est rencontrés plusieurs fois avant le tournage pour lire le scénario. On a fait quelques répétitions autour du scénario qui nous servait de base. A partir de là, on a essayé de développer nos personnages : que pouvaient-ils faire ? Où pouvaient-ils aller ? Pendant le tournage, Robert a réussi à créer une atmosphère très libre, sans pression. On sentait qu’il voyait très bien qu’il voyait déjà le film dans son esprit et on lui a fait totalement confiance, on l’a laissé nous mener dans le voyage. Concernant mon personnage, un prisonnier qui devient un assassin pour survivre, c’était un vrai challenge. Car il devient un monstre en l’espace de deux jours. Il fallait vraiment avoir un sentiment de liberté artistique pour arriver à ça.

R.S : J’avais d’ailleurs dit aux acteurs :  »Le scénario est plutôt bon et si on le suit, le film sera plutôt bon. Mais il ne sera pas assez bon si on se contente de le suivre. Je compte donc sur vous pour prendre vos rôles à bras-le-corps et tout me donner. » Et ils l’ont fait ! Je ne peux pas tout faire vous savez. Ils doivent jouer leur rôle et je dois leur permettre de le faire. Comme disait Samuel, il s’agit de confiance. De confiance et d’amour. Deux grandes choses.

S. F : C’est la base. C’est là d’où tout commence.

C’est votre premier film historique. Combien de temps avez-vous passé à faire des recherches pour lui donner vie ?

R.S : Dix ans.

Dix ans ? Vous aviez donc ce film en tête depuis un moment…

R.S : Oui dix ans car pendant longtemps je ne savais pas assez de choses et je ne me sentais pas prêt à le faire. Aussi bien en termes de compétences que de compréhension. C’est seulement une fois que j’ai senti que j’étais prêt que je me suis lancé. Ceci dit, c’est un film historique mais qui brise beaucoup de conventions du genre. En Allemagne, les films créent beaucoup de distance entre le passé et le présent. Nous, on voulait faire un film hybride liant les deux. Esthétiquement mais aussi thématiquement. Je ne voulais pas faire un film historique classique, je voulais aller plus loin.

Effectivement, on sent que les thématiques du film nous sont contemporaines : la violence, le mensonge, l’abus de pouvoir… Vous aviez conscience de ça dès le début ?

R.S : Oui tout à fait. Ce que je veux dire avec ce film, c’est que pour que quelqu’un atteigne un certain degré de pouvoir, il faut un certain nombre de personnes avec lui. On n’a pas le pouvoir comme ça. Il faut des gens autour de soi qui sont d’accords pour le donner ou pour s’écarter du chemin. D’ailleurs, Willi Herold manipule les gens qui l’entourent mais ceux-ci le manipulent également. Il y a plusieurs personnages dans le film qui savent très bien qu’il n’est pas un vrai capitaine. Mais ils jouent le jeu car ils savent très bien qu’ils vont en profiter. C’est vraiment ce que je voulais dire avec The Captain. Si personne n’est là pour dire stop, ce genre de choses continuera. Et le pire, c’est que les gens qui soutiennent Willi ne sont pas forcément d’accord avec son idéologie. Simplement, ils savent qu’ils peuvent en tirer un certain profit. Une grosse influence que j’avais en faisant le film, c’était Lacombe Lucien de Louis Malle. La première fois que j’ai vu ce film, je me suis rendu compte qu’il y avait des gens pour qui l’idéologie ne voulait rien dire, il y avait des opportunistes, des criminels sans d’autre but que leur propre intérêt. L’idée de The Captain, c’est que les tragédies ne sont pas pré-programmées par le destin, elles sont créées de toutes pièces par les hommes. Quand on regarde les archives allemandes, on se rend compte que les soldats qui refusaient de tuer des femmes et des enfants étaient excusés. Leurs supérieurs pouvaient comprendre pourquoi ils n’avaient pas la force de le faire. Dès lors, toutes leurs excuses comme quoi il fallait obéir aux ordres sont fausses. Si un soldat allemand tuait un enfant, c’est qu’il avait envie de le faire… Vous vous rendez compte ? La membrane entre le chaos et la civilisation est aussi mince qu’une feuille de papier, c’est ce que je voulais montrer avec mon film. Le mécanisme de l’horreur est activé par des êtres humains, c’est aussi simple et terrible que ça…

Vous avez choisi de tourner en noir et blanc. Pouvez-nous expliquer pourquoi ?

R.S : C’est à cause d’une anecdote à propos de ce que Michael Powell a dit à Martin Scorsese quand celui-ci tournait Raging Bull. Powell avait vu des essais filmés par Scorsese où le sang giclait énormément. Michael Powell a alors affirmé à Scorsese qu’il ne pouvait pas faire le film en couleurs, que le public allait être horrifié par la vue du sang, qu’il n’allait pas pouvoir faire la distinction entre un film violent et un film sur la violence. Évidemment, Powell avait raison, c’est certainement le cinéaste qui a le mieux utilisé la couleur dans sa carrière. Et c’est une distinction importante à faire.

Avez-vous déjà eu quelques échos de la réception critique du film en Allemagne ?

R.S : Il n’est pas encore sorti là-bas. Les seuls échos que j’ai sont ceux de certains journalistes qui l’ont vu en festival. Je ne sais vraiment pas ce que ça va donner. Je suppose qu’il va créer des controverses, qu’il va diviser. On s’en doute, on l’espère d’ailleurs.

Je vous ai entendu parler de l’importance du travail de Paul Schrader sur le vôtre. Je suis très intrigué par ça, pouvez-vous nous en parler ?

R.S : A mes yeux, Paul Schrader est certainement le plus européen de tous les cinéastes américains. Il a quand même écrit un bouquin à propos de Bresson, Ozu et Dreyer ! C’est quelqu’un qui a beaucoup pensé au cinéma en termes internationaux. Il a probablement vu plus de Godard que de John Ford ! J’ai toujours admiré ses films, notamment American Gigolo. C’est un film qui est populaire mais dans lequel il case des idées venues de Pickpocket, de Une femme est une femme. Il les intègre dans son récit et cela donne quelque chose de très beau. Ses thématiques me parlent, j’aime sa façon de voir le monde. Blue Collar, son premier film, est fantastique. Qui fait un film sur trois types travaillant dans une usine ?

Paul Schrader…

R.S : Exactement ! Paul Schrader ! (rires) J’aime beaucoup Hardcore, Light Sleeper, Mishima… Je ne l’ai jamais vu comme le scénariste de Taxi Driver mais toujours comme un cinéaste à part entière. C’est l’un des seuls de sa génération à regarder vraiment au-delà du cinéma américain comme source d’inspiration.

Avez-vous des projets pour la suite ?

R.S : Oui mais je ne peux pas en parler. J’en ai deux sur le feu en fait. Un en Amérique et un en Allemagne que je vais faire avec le même producteur que The Captain mais c’est à celui qui se débloquera en premier.

 

Propos recueillis à Paris le 12 mars 2018. Un grand merci à Michel Burnstein et à son équipe.

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