9 doigts : Voyage expérimental au cœur de la folie.

9 Doigts s’ouvre comme un film noir classique, avec un noir et blanc léché, une fuite d’un personnage en imperméable qui tombe sur un magot. Il finit par être rattrapé par la bande Kurtz, dont il sera un temps l’otage avant de devenir leur complice. Après l’échec d’un braquage, ils embarquent tous sur un bateau dont la cargaison toxique semble monter à la tête des passagers. Rupture de ton, pour ce qui s’annonçait être un film de gangster de la belle époque, F.J Ossang nous embarque dans un voyage étrange, onirique, aussi nébuleux qu’il peut être opaque.

Le film noir devient huis clos maritime, dans lequel le petit équipage du bateau se met à divaguer. Les dialogues s’enchaînent, sans prendre prise, les différents leviers scénaristiques se lèvent pour nous laisser avec des personnages qui déclament des tirades sans queue ni tête. La parole devient nocive, le verbiage pompeux. Fait de la volonté même du réalisateur qui nous livre sa vision noble du cinéma où l’image devrait primer, où on montre les mots au lieu de les énoncer avec redondance. Si l’intention mérite bien des louanges, son traitement n’en reste pas moins une prise d’otage du spectateur qui, comme l’équipage subit ce voyage entre deux mondes. Rencontre de l’artificiel du bateau, du naturel des décors (les Açores chères à Ossang), pris entre la vie et la mort, cet entredeux a l’équilibre fragile peine à convaincre. Le mot-ennemi, dans son abus ad nauseam, fini par gangréner le film qui entend le dénoncer. On subit les élucubrations de la petite bande à propos du « nowhereland », terre fantasmée différemment pour chacun des personnages, le temps s’étire et le pénible même volontaire reste difficile à encaisser.

Reste un attrait esthétique à ce drôle d’objet cinématographique, avec son noir et blanc, ses tronches qui ont un certain charme, sa bande son qui nous bourdonne dans les oreilles. Son caractère illusoire, ses ellipses qui renforcent l’idée d’un songe pris entre réalité et rêve, nous transportent et nous enveloppent dans un cocon unique en son genre. C’est sans compter sur les non-évènements du film, qui nous ramènent, inexorablement et paradoxalement à notre réalité par le vecteur d’un ennui provoqué, mais difficile à maîtriser. Le comble pour une plastique surréaliste si travaillée. 

Les influences d’Ossang sont claires et revendiquées : Artaud et l’avant-garde poétique, il livre une œuvre sans concessions, difficile à appréhender pour le néophyte et parfois indigeste même pour les plus aguerris. Apprécier 9 Doigts est avant tout question de sensibilité, les amateurs d’arts et essais, d’expériences, d’étrangetés qui sortent des sentiers battus, y trouveront leur compte, bien que le doute soit permis. Les autres, plus terre à terre, en ressortiront avec une gueule de bois, sans avoir goûté l’ivresse.

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