The Room : Le Cinéma n’aurait pas pu s’en passer.

Ah The Room ! Cet objet cinématographique cultissime qui fait l’objet aujourd’hui d’une étude approfondie d’envergure. Comment parler de ce film après ce que tout le monde en a déjà dit ? En grande partie « promotionnée » par Chroma dont Karim Debbache en a fait une pub monstre sans pour autant le vendre, ce film apparaît désormais au grand public qui doit s’adapter à cette nouvelle forme d’adoration. Un film qui se rapproche étrangement d’un Vaudeville couplé à la tradition du 18ème/19ème siècle (qui n’en est pas tout à fait une) de jeter des tomates sur la scène lorsque la pièce ne nous plaît pas. Ici ce sont des cuillères en plastique que les spectateurs ont le loisir de jeter au travers de la salle.

Ce qui est fou, c’est qu’il y a tant à dire de ce film qui est mondialement connu pour être le plus nul, que ça devient difficile de savoir par où commencer. Difficile même de résumer ce film cousu de fils blancs et totalement dépourvu d’une véritable structure scénaristique. Pourquoi donc commencer en disant qu’il s’agit là d’une « étude d’envergure approfondie » ? Déjà pour commencer, comment expliquer le fait qu’un film aussi chaotique (tant dans sa réalisation que dans son montage final) puisse dans un premier temps s’offrir à un public qui s’est rassemblé en communauté autour de son désastre au point d’éditer, de longues années après, une biographie du tournage, elle-même par la suite adaptée sur grand écran ? Alors que The Room ne possède aucune des composantes habituelles d’un cinéma de genre (qui est souvent celui qui réunit ses fans autour de l’univers développé), il réussit à en atteindre les objectifs. Lors de la projection au Grand Rex du film, organisée par Panic! X Chroma, les spectateurs non-initiés ont pu assister à un évènement à la fois unique et particulièrement inhabituel vis-à-vis du film. Les soirées au Grand Rex sont réputées mouvementés et remplies de bonne humeur, comme certaines diffusions aux États-Unis où les gens viennent déguisés pour fêter l’univers dans lequel se déroule le film. Ici, l’univers n’est pas tout à fait celui auquel on pense. Et c’est comme ça que toute la séance est remplie de gens criant « SAN FRANCISCO » dès qu’un plan de la ville apparaît ou encore « LA PORTE » lorsque l’un des protagonistes ne la referme pas derrière lui en entrant dans une pièce. La jetée de petites cuillères s’applique dans la lignée de ce genre de tradition lorsque le spectateur voit une petite cuillère à l’écran. Et tout de suite vous vous retrouvez dans une ambiance cirque plutôt que le calme olympien que doit inspirer les salles noires de cinéma. Par toutes ses erreurs, ses fausses notes et ses passages incompréhensibles, le film parvient à réunifier toute une communauté autour de lui sous la bannière de la joie et de la bonne humeur. Ce qui en fait, par la force des choses, un véritable objet d’analyse comportementale humain, à des années lumières du critique aigri ou de l’intellectuel notoire qui ne se satisfont que d’un Solaris ou d’un Psychose et qui considèrent que le cinéma est mort depuis qu’il lorgne le divertissement.

Une fois donc cette base établie, vient le moment de parler du film lui-même. A quelle sauce doit-on, en tant que spectateur mais surtout en tant que juge et bourreau vis-à-vis de l’œuvre, se farcir cette œuvre aussi indigeste que désopilante ? Comme beaucoup l’ont déjà dit, ce film n’est pas uniquement nul, à vrai dire, cela serait assez méprisant de ne se contenter de dire que ça. Méprisant car c’est un film qui offre beaucoup plus de choses qu’il ne semble le dire mais aussi méprisant envers l’intégralité des films que vous avez un jour qualifié de « nul » mais dont The Room n’arrive pourtant même pas à la cheville. Pour être plus juste, The Room est la parfaite anti-leçon de cinéma que n’importe quel étudiant dans ce milieu devrait analyser pour ne pas faire l’erreur à son tour. Tant tout va mal que la production de Tommy Wiseau est une parfaite liste exhaustive (si ce n’est pas le cas, croyez bien que nous n’en sommes pas loin) des erreurs à ne pas faire lorsqu’on tourne un film. Et en même temps, il y a dans The Room cette espèce d’improbable mise en abyme du cinéma hollywoodien et de certains de ses codes. On ne s’improvise pas Hitchcock ou Kubrick dès lors que l’on a un appareil qui filme entre les mains, tout comme on ne s’improvise ni Zidane dès lors qu’on touche un ballon ou Federer sitôt que l’on tient une raquette. Pourtant Tommy Wiseau s’estime de leur trempe et fait tout avec l’idée que si eux ont réussi alors tout le monde le peut, peu importe le reste (et en particulier les capacités, les connaissances et l’univers), tant que l’on a la volonté de le faire. Car il y a tout dans The Room, tout ce qui fait le cinéma à peu près moderne, il ne manque quasiment rien, c’est simplement affreusement mal fait. Que ce soit dans la technique avec des inserts que l’on ne réutilisera jamais ou des plans généraux de lieux dans lesquels aucune action ne se passera (San Francisco c’est grand, faire une dizaine de plans différents de la ville juste pour savoir qu’on s’y trouve…) ou encore des plans artistiques et gros plans parfaitement improbable jusqu’à voir les outils pour créer certains artifices dans le décors. Mais aussi en termes d’histoire et de narration. The Room est un film qui parle d’amitié, d’entraide, de trahisons, d’adultère, d’amour, de passion, de cohésion sociale. The Room est un film qui essaie de nous vouloir du bien, comme cette phrase toute simple de Tommy Wiseau lui-même « Si les gens s’aimaient un peu plus, le monde serait plus beau », mais qui ne parvient qu’à nous provoquer le rejet. Un peu comme le personnage du bossu de Notre Dame qui est profondément gentil mais ignoble d’apparat.

On peut y voir pourtant une multitude d’axes narratifs différents qui permettraient de mieux cerner ce film. Par exemple, ajoutez des rires à divers moments façon sitcom et vous verrez que le film prendra une toute autre ampleur à tel point que vous ne le reconnaîtrez même pas. Car au milieu de tous ses défauts, il se dégage certaines tendances comme celle des sitcoms dont on aurait juste oublié les rires enregistrés. Au même titre que le surjeu, qui lorgne presque vers l’improvisation timide et introvertie des acteurs, pourrait nous faire penser à un « Les Feux de l’Amour » pour grand écran. A tel point qu’on espérerait voir les acteurs surjouer encore plus pour crédibiliser l’incrédible non assumé de ce film. Mais le dernier point le plus intéressant, et c’est là où l’on se rend compte à quel point la pauvreté qualitative d’un film peut être une source de créativité monstrueuse pour qui essaye de l’analyser ou de réfléchir quant à son scénario, est à quel point on peut jouer avec ce dernier. A titre d’exemple, on pourrait tout à fait imaginer The Room comme une pièce avec ses propres règles spatio-temporelles dans laquelle une partie des personnages sont prisonniers à vivre la même journée en boucle (ce qui expliquerait la répétition incessante de leurs dialogues) et de laquelle Tommy doit les libérer. Chacun peut être amené à réfléchir à une manière de voir le scénario à sa façon et d’y trouver des arguments pour et des arguments contre, telles les milliers de théories qui fleurissent tous les jours sur le net. Chacun peut s’amuser à redéfinir les limites et les codes de ce film pour en faire une œuvre ludique et interactive de source d’imagination.

C’est en partie pour toutes ces raisons que The Room reste encore un mystère pour certains. Avec une incroyable nonchalance, Tommy Wiseau a toujours affirmé que son film deviendrait culte, et ce fut le cas, au point qu’aujourd’hui, nombreux pensent que sous ses airs de benêt cabotin et extravagant, nous aurions à faire à un être particulièrement intelligent et calculateur qui aurait « manigancé » ou du moins prévu l’orientation des événements. Certes on se moque de ce film, on le parodie, on en rigole et on ne le prend jamais au sérieux, pourtant, s’il y a bien une leçon devant toute autre qu’Hollywood cherche à nous inculquer (bon la seconde si on met de côté l’argent) c’est bel et bien « réalisez vos rêves ». Alors effectivement The Room est un désastre, mais Tommy Wiseau l’a réalisé comme si c’était son rêve, et franchement, pouvez-vous en dire autant ? Mais cela semblerait extrêmement dédaigneux de terminer sur ces mots alors nous ajouterons un petit conseil : ne le regardez qu’avec un bon groupe d’amis lors d’une soirée bien arrosée, vous évitant la pire séance de votre vie au profit d’une franche partie de rigolade.

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