Hostiles : L’Amérique face à ses démons

Cinéaste discret que l’on avait remarqué en 2014 avec Les Brasiers de la colère, un film pas loin du cinéma de Michael Cimino, Scott Cooper a su capter notre attention depuis. Si Strictly Criminal affichait des airs de déjà-vu seulement transcendés par la prestation glaçante de Johnny Depp, on attendait de pied ferme Hostiles, western déjà précédé d’une très bonne réputation.

Le film se déroule en 1892, une époque finalement pas si lointaine quand on y réfléchit à deux fois. Les Indiens d’Amérique qui n’ont pas été massacrés sont parqués dans des réserves, enfermés dans des prisons. Le capitaine Joseph Blocker, féroce adversaire des Indiens qu’il déteste, est chargé d’escorter un chef Cheyenne et sa famille dans le Montana. Malade et mourant, le chef Yellow Hawk souhaite s’éteindre sur ses terres. Blocker monte donc une escorte pour accompagner Yellow Hawk. Ils croiseront au passage la route de Rosalie Quaid, une femme dont la famille a été sauvagement massacrée par les Comanches (une scène ouvrant le film, histoire de nous mettre dans le bain dès le début). Blocker prend Rosalie sous son aile et tandis qu’ils avancent en territoire ennemi, il va devoir faire confiance à Yellow Hawk s’ils veulent s’en sortir vivants.

Jusque-là, Hostiles a tout ce qu’il y a de plus classique. Et c’est vrai qu’à première vue, tous les éléments du récit, que ce soit les personnages ou les obstacles rencontrés par Blocker, ont déjà été aperçus dans d’autres films. Seulement le scénario écrit par Scott Cooper (d’après un manuscrit rédigé par le regretté Donald Stewart, scénariste de Missing ou encore A la poursuite d’Octobre Rouge) vient transcender tout ça, misant sur la profondeur des personnages et sur son rythme particulièrement lent pour offrir de la puissance au récit. Car si l’on ne voit pas passer les 2h15 composant le film, Hostiles est un film assez lent, prenant son temps pour avancer, préférant les conversations intimes aux fusillades spectaculaires. Ici, nous ne sommes pas chez Sam Peckinpah. La violence est là, sèche, aride, brutale. Une balle fuse, un corps s’écroule et puis c’est tout. Et les morts sont nombreux dans le film, souvent tués pour des raisons stupides. Une simple erreur de jugement, un déplacement qui ne se fait pas et la mort vous saisit. Elle n’est pas regardante, elle prend les hommes, les femmes et les enfants. Scott Cooper s’attache à nous la montrer sans s’attarder dessus, insistant cependant sur les lourdes conséquences qu’elle peut avoir.

‘’ L’âme américaine est dure, solitaire, stoïque: c’est une tueuse. Elle n’a pas encore été délayée.’’ La citation de D.H. Lawrence ouvrant le film n’a pas été choisie pour rien. C’est bien de l’âme américaine qu’il s’agit dans Hostiles. Une âme brute, capable de commettre les pires atrocités tout en étant dotée d’une bonté singulière lorsqu’il le faut. Tout en tournant dans des superbes paysages, Scott Cooper choisit de s’attarder sur ses personnages. Des types remplis de tourment, des types qui ont tué leur lot d’autres types tout simplement à cause d’une couleur de peau ou d’uniforme. Cooper saisit au vol la mélancolie étreignant les personnages. Il ne suffit pas de grand-chose : un lieutenant confiant sa peur de s’habituer à tuer, un sergent demandant pardon aux Indiens pour les massacres perpétrés sur eux, le capitaine Blocker ému à l’idée de se séparer d’un de ses hommes blessé, une poignée de main, un regard et Hostiles nous prend à la gorge avec une simplicité particulièrement émouvante.

Superbe réflexion élégiaque sur l’inéluctabilité de la mort, sur le poids de la violence, cette même violence qui a construite l’Amérique, Hostiles est un très grand film à la puissance bien trop rare sur grand écran. Une œuvre épique et dense tout en étant profondément universelle sur les rapports à la violence qu’ont toujours entretenus les êtres humains. S’il choisit de tourner dans des décors naturels, Scott Cooper n’a pas besoin de grand-chose de plus pour faire naître l’émotion si ce n’est la présence d’acteurs qu’il a toujours eu don de solidement caster. Dans le rôle de Blocker, Christian Bale démontre une fois de plus la puissance magnétique de son jeu et attire littéralement le regard. Rosamund Pike, trop rare sur grand écran depuis Gone Girl, déploie à nouveau l’étendue de ses talents. La galerie de seconds rôles les accompagnant, allant de Wes Studi à Ben Foster en passant par Rory Cochrane, Jesse Plemons, Stephen Lang ou encore Timothée Chalamet (décidément partout cette année après Lady Bird et Call Me By Your Name) vient souligner l’amour que Scott Cooper porte aux acteurs qui ont plus qu’une belle gueule. L’homme aime les trognes de cinéma, les seules à même de porter l’intensité d’un film comme Hostiles, d’ores et déjà assuré de finir dans notre classement des meilleurs films de cette année…

 

1 Rétrolien / Ping

  1. The Pale Blue Eye : Double assassinat à West Point -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*