Ghostland : La maison des sévices

« Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir ! » Ce sont les mots d’un certain Pier Paolo Pasolini, que l’on imagine prononcés pour se défendre face à une horde de bien pensants abhorrant ses provocations sur pellicule. On pouvait penser naïvement qu’en 2018, les mentalités auraient changées, surtout en France qui se targue d’être le pays le plus permissif en matière de culture. Et pourtant, les choses n’ont jamais été aussi compliquées pour les artistes, plus particulièrement les cinéastes, souhaitant proposer un Art réellement transgressif, bousculant les habitudes du spectateur, et cherchant à le malmener physiquement, en lui faisant plus ou moins éprouver la souffrance subie par les personnages du film. C’est ce cinéma « impur » que travaille depuis ses débuts Pascal Laugier, et plus particulièrement depuis le très controversé « Martyrs », sorti en 2008 déjà. Ce film qui entendait salir le spectateur en lui faisant ressentir de manière épidermique les tortures insensées subies par une victime féminine pendant quasiment toute la seconde moitié du film, pour se terminer dans un grand délire mystique avait eu du mal à passer auprès d’une grande majorité de critiques qui n’y voyait qu’un défouloir réalisé par un sadique cherchant à se dédouaner de ce qu’il filmait en ayant recours à des considérations trop grandes pour lui. Au-delà de ces réactions somme toutes naturelles pour un film conçu de toute manière pour choquer, voire traumatiser, il serait bon, rétroactivement, de chercher à comprendre ce qui motive ce cinéaste pour raconter des histoires aussi violentes. Si l’on lit ses interviews, on se rend compte qu’il semble plutôt amer sur le monde dans lequel il vit, et qu’il cherche avant tout à exorciser des angoisses que l’on devine profondes à travers un Art total et sauvage, sans la moindre espèce de compromis. Encore hier, lors de la présentation de son dernier film, il s’en prenait de manière assez virulente à une certaine presse hypocrite l’ayant taxé de tous les noms à l’époque de « Martyrs », le traitant de nazillon, et l’on sentait bien que chez cet artiste sincère et à fleur de peau, tourner était presque une question de vie ou de mort, et que ces attaques de la part de critiques ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez étaient bien plus brutales pour celui qui les reçoit que ce que l’on voudrait bien croire. Il n’est pas donc pas étonnant que Mathieu Kassovitz, autre éternel empêcheur de tourner en rond du cinéma français, lui ai décerné pour ce film un grand prix du Jury au dernier festival de Gérardmer, récompensant un film subversif et réellement incarné. Mais sur ce, il est peut-être temps d’en parler, de ce fameux film déchaînant déjà les passions, dont on a aucun mal à croire qu’il créera la polémique lors de sa sortie le 14 mars prochain.

Le film suit une mère (Mylène Farmer) et ses deux filles adolescentes, héritant d’une maison suite au décès de sa tante. Dès la première nuit, deux meurtriers sévissant dans la région depuis déjà quelque temps, font irruption dans la grande maison avec l’intention de faire vivre une véritable nuit d’horreur à ses habitantes. La mère va devoir avoir recours à la plus grande sauvagerie afin de sauver sa vie et celle de ses filles. La suite du film va voir la façon dont ce drame va influer sur la vie des adolescentes …

Ce court synopsis que l’on peut lire à peu près tel quel partout sur Internet, est évidemment volontairement réducteur et c’est une véritable gageure que d’écrire sur un film conçu pour être découvert vierge de toute information, et recelant de multiples chausse-trapes dont il ne faut pas dévoiler le moindre aspect sous peine de déflorer ce qui en fait tout l’intérêt. De tous ses films, celui-ci est certainement celui qui assume le plus frontalement l’aspect horrifique de son pitch. Depuis ses débuts, ce cinéaste atypique a toujours utilisé le genre (terme qu’il n’aime d’ailleurs pas) de manière assez théorique, non pas qu’il considère l’horreur comme un genre indigne, loin de là, mais disons qu’il voyait ce genre comme un parfait moteur afin de parler de choses plus complexes qui seraient difficiles à caser dans d’autres styles de films. Même son précédent « The secret », d’aspect à priori plus propre et grand public, se terminait dans une certaine confusion idéologique, ayant été mal comprise par certains spectateurs. Si cette ambiguïté fait partie intégrante de son cinéma et qu’il en joue volontiers, elle n’a ici plus vraiment lieu, en tout cas pas de la même façon. Car le film, au milieu, retourne en quelque sorte sur lui-même pour, après une première moitié brouillant volontairement les repères du spectateur, suivre une ligne droite plus clairement identifiée à un genre précis, ce qui ne veut bien évidemment pas dire que Laugier fait exactement ce que l’on pourrait attendre d’un tel film. Car autant le dire tout de suite, si le film n’est pas aussi graphique et sadique que « Martyrs »,  il ne ménage pour autant pas le spectateur, et se déroule dans une ambiance oppressante au possible allant crescendo jusqu’à atteindre une véritable asphyxie. Le cinéaste reprend en quelque sorte les fondamentaux de son film le plus reconnu (l’isolement, la torture psychologique et physique …) de façon moins extrême mais peut-être encore plus perturbante. Il a d’ailleurs prévenu, avec désolation, avant la séance que le film venait d’écoper d’une interdiction aux moins de 16 ans, pourtant incontestable. Il poursuit donc ici sa réflexion qui se résume à « Après la violence, tout au bout, qu’est-ce qu’il y a ? », et si ce questionnement pouvait paraître quelque peu déplacé dans « Martyrs », il prend ici tout son sens, lorsqu’on prend en considération le véritable chemin de croix subi par ses personnages, en particulier l’une des adolescentes.

Saluons à ce titre la direction d’acteurs phénoménale, Crystal Reed et Anastasia Phillips devant jouer dans un état de nerfs et d’hystérie dont on imagine que cela a du être particulièrement éprouvant sur tout un tournage. Quant à Mylène Farmer, elle joue avantageusement sur son statut en retrait dans l’histoire, et parvient à faire ressentir l’amour d’une mère pour ses deux filles. La scène centrale du film, autour de laquelle tout le récit s’articule, fait à ce titre effet de véritable traumatisme pour toute personne un tant soi peu impliquée dans le déroulement d’un film, et l’on imagine sans mal que pour tout parent, cela doit être encore plus difficile à supporter.

Le film est dur, parfois très choquant, et n’est clairement pas destiné à tous les publics, mais pour qui acceptera la traversée du miroir que propose Laugier, dans le sens inverse de Alice et son Wonderland (vous comprendrez quand vous aurez vu le film), l’expérience sera totale et changera quasiment votre vie de spectateur passif de cinéma. Car Laugier est un cinéaste ne faisant pas dans la demi mesure, cherchant clairement à pousser le spectateur dans des zones limites, travaillant un propos sur la douleur et la violence, loin de tout racolage, et ce avec une esthétique et une mise en scène proprement stupéfiantes. Le travail sur le son est ici monumental, et même lorsque la violence est hors champ, on se retrouve pris dans un étau, et dans le même état d’impuissance que les victimes dans le film qui voudraient agir mais se retrouvent pétrifiées et doivent affronter une sauvagerie extrême, tant à leur encontre, que sur leurs proches. Et ça, pour tout spectateur normalement constitué, cela contribue à une expérience éprouvante, provoquant tout un tas de questionnements bien plus profonds que ce que l’on pourrait croire de prime abord. Un film tout simplement extraordinaire qui tranche admirablement avec tout le reste de la production actuelle, tant dans le genre, que pour le reste.

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  3. Revenge : Test DVD -
  4. Martyrs de Pascal Laugier - Mélancolie du Chaos -
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