Lady Bird : Douce balade dans le monde compliqué de l’adolescence

Emblème d’un certain cinéma New Yorkais des 2000’s, le Mumblecore, variante la plus arty du cinéma indépendant Américain, Greta Gerwig s’est petit à petit fabriquée une véritable réputation à l’international  grâce à son éternel rôle de fille à la démarche un peu gauche, maladroite et toujours en plein doute existentiel, mais terriblement attachante, qu’elle a en quelque sorte développé dans plusieurs films tout autant sympathiques qu’agaçants car symbolisant l’équivalent U.S. du cinéma parisianiste bien de chez nous. Mais au final, que les films soient bons ou pas, on ne peut qu’adorer cette trentenaire que l’on est content de retrouver à chaque fois, comme une ancienne copine perdue de vue que l’on aurait le plaisir de revoir fidèle à elle-même. Passant ici au poste de réalisatrice pour son premier long métrage (en réalité, elle a déjà co-signé un film en 2008, avec Joe Swanberg, « Nights and weekends », inédit en France), elle s’attaque à ce qui s’apparente au premier abord comme le récit initiatique adolescent classique dans le cinéma Américain, mais qui, entre les mains de bons cinéastes, a donné de grands films générationnels passant superbement le cap des années. Sauf que pour notre plus grand plaisir, le film s’éloigne très rapidement des clichés inhérents au genre, préférant prendre des chemins de traverse, donnant au final une œuvre parfaitement nuancée, dans un sublime numéro d’équilibriste maîtrisé de bout en bout.

Dès la scène d’ouverture, dialogue dans une voiture entre une mère et sa fille, la Lady Bird du titre, de son vrai prénom Stéphanie (Saoirse Ronan, fabuleuse), on peut déceler le ton qui sera celui du film, passant d’une banale discussion mère-fille à une engueulade explosive s’achevant de manière surprenante et hilarante. D’emblée, le spectateur aura envie de suivre ces personnages, et particulièrement celui de cette adolescente à l’esprit cynique et irrévérencieux, qui traversera toutes les étapes dans lesquelles chacun pourra se retrouver, mais toujours avec ce ton doux amer qui permet de ne pas se limiter à une exploration déjà vue des affres de l’adolescence.

Ce qui séduit particulièrement ici, c’est la liberté avec laquelle la cinéaste navigue dans des eaux que l’on pensait avoir déjà largement explorées, mais qui, par la grâce d’un scénario ayant sans cesse à cœur de sonner le plus juste possible, nous emportent finalement pour un véritable plaisir de cinéma, abordable et pourtant exigeant. Greta Gerwig n’est pas du genre à tomber dans le consensuel et à prendre le spectateur par la main en enjolivant tout ce qui passe sous sa main. Elle parle donc de sexe avec une franchise rafraîchissante ne tombant jamais dans la vulgarité qui serait si facile pour paraître « moderne », comme tant de films actuels qui s’imaginent que faire parler ses personnages avec des mots orduriers suffira à se mettre le public adolescent dans la poche. Ici, tout sonne authentique, car jamais les questionnements propres à cet âge délicat, ne sont pris de haut, et ses personnages sont toujours regardés avec une empathie qui ne laisse planer aucun doute sur l’amour que la cinéaste porte à ces derniers, les regardant évoluer avec une tendresse qui devient donc communicative. Le film transpire d’un romantisme candide, mais jamais niais, car toujours lucide quant aux états d’âme d’une adolescente de cet âge, et le scénario n’esquive donc pas les nombreuses déceptions, et les changements d’humeur radicaux d’une jeune fille tombant amoureuse en une fraction de seconde, pour être désespérée l’instant d’après, et retomber amoureuse immédiatement après. Le film ose désacraliser la « première fois », et balancer des évidences, qui peuvent paraître banales, mais ne le sont pas du tout au cinéma, surtout dans un cinéma indépendant Américain revendiquant une audace bien souvent totalement artificielle, le conservatisme reprenant malheureusement souvent le dessus. Rien de tout ça ici, donc, mais une évidence et une justesse de chaque instant, nous baladant de francs éclats de rire à des moments d’une délicatesse ou d’une intensité dramatique jamais forcées. Une scène en état de grâce entre Saoirse Ronan et Lucas Hedges, représente totalement le ton général du film, et n’est pas loin de ravager le cœur en quelques secondes.

Sans cesse sur un fil ténu qui pourrait céder facilement entre les mains de quelqu’un de peu subtil, le film atteint à peu près tous ses objectifs, car toujours d’une bienveillance jamais cynique, ne se risquant pas au banal feel good movie, et nous épargnant les leçons de morale ou la scène de réconciliation que l’on pensait inévitable, mais préférant utiliser les ellipses de manière subtile et maîtrisée, et achever son film sur une phrase dont la simplicité et l’évidence touchent droit au cœur, sans appuyer quoi que ce soit ou tout boucler de manière artificielle. Le casting uniformément talentueux duquel on ne pourrait détacher qui que ce soit, sous peine de problèmes existentiels, participe évidemment pour beaucoup au charme inouï du film, mais il est tout de même impensable de ne pas rappeler à quel point Saoirse Ronan y est merveilleuse, et confirme avec bonheur tous les espoirs placés en elle, depuis son apparition fulgurante dans le « Lovely Bones » de Peter Jackson, et que l’on a depuis vue évoluer avec plaisir, dans des rôles de plus en plus exigeants et variés. Elle livre ici une de ses meilleures performances, justement parce qu’elle ne cherche à aucun moment la performance, préférant développer un jeu nuancé nous prenant sans cesse par surprise, et culminant lors d’une scène extraordinaire avec sa mère (Laurie Metcalf) dans une cuisine, où elle nous tirerait presque des larmes en quelques secondes, sans forcer, tranquille, parce que c’est ça le talent. Une immense comédienne pour un excellent film, qui fait incontestablement partie de ces surprises à ne manquer sous aucun prétexte.

 

2 Rétroliens / Pings

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