Le 15h17 pour Paris : Dissertation périlleuse sur l’héroïsme.

Clint Eastwood est dans un rythme « Allenien » ces dernières années avec un film par an. American Sniper, Sully et en 2018, Le 15h17 pour Paris. Des films singuliers, proches finalement, comme une trilogie sur le « héros moderne malgré lui  ». Nous ne sommes pas au cœur de contes pour enfants bien sûr, mais bien chez Clint Eastwood et ses héros solitaires et taiseux, bien américanisés. À bien y regarder, le héros de l’ouest n’est pas loin, notamment dans American Sniper ou pour ce 15h17 pour Paris. Pour ce dernier, les trois héros malgré eux sont de bons beaux Américains, tout ce qui ce fait de mieux dans les fermes de l’ouest. Un peu crétins, totalement stéréotypés, des hommes moyens essayant juste de faire quelque chose de leurs vies. L’événement dans le Thalys va changer leurs destins, ils vont devenir des héros, américains qui plus est. Forcément chez Clint, on peut y déceler une forme d’accomplissement.

Mais avant cela, rembobinons le film, enfin leurs histoires. Clint Eastwood ne s’intéresse que peu à la finalité du drame évité entre Amsterdam et Paris. Clint Eastwood s’interroge sur le parcours de ces gars, ce qui les a amenés à agir et être ces fameux héros face aux actes isolés d’un soldat de Daech.

Anthony, Alek et Spencer sont trois gamins un brin turbulents. Ils sont incompris par les institutions scolaires, changent d’écoles deux fois avant que l’un retourne chez son père pour avoir plus de repères. Spencer et Alek sont couvés par des mères célibataires et catholiques. C’est le curseur que pointe Eastwood dans son introduction. Ces femmes se battent pour leurs enfants. Elles s’opposent face aux institutions comprenant la différence de leurs enfants. Elles ne comprennent pas que la maîtresse attende d’eux d’entrer dans un moule pour lui faciliter sa vie et son travail. La vie sera du même acabit pour les deux hommes, suivi de près par Anthony, un Afro-Américain juste turbulent, qui intéresse peu le réalisateur. Eastwood se focalise sur Spencer ne le lâchant plus jusqu’à sa maîtrise de l’individu dans le Thalys et la remise des médailles à l’Élysée par Françoise Hollande.

Spencer est un bon gars, un brin gauche, mais empli de vie et de bonne volonté. Avec son meilleur ami Alek, il est passionné par la guerre. Ce n’est sans surprise qu’il s’y engage. Le parcours est sinueux, pas facile pour un garçon ayant essayé de tout mettre de son côté pour réussir. Mais une vue imparfaite et quelques manques à la discipline le renvoient dans une réserve de l’armée à attendre au Portugal. Lors d’une permission, le trio d’amis va faire le tour de l’Europe et se retrouver par la force des choses dans le Thalys. Tout l’intérêt du nouveau long-métrage de Clint Eastwood se situe dans son étude à devenir un héros bien malgré soi. Agir sans réfléchir comme l’a souvent fait Spencer, notamment en classe pour une alerte d’un tireur isolé dans le camp militaire. Sa superviseuse blague en lui lançant « trou du cul », mais Spencer par sa nature sera le héros du Thalys, le héros américain remportant les grandes médailles militaires en n’ayant mené aucune réelle bataille. Spencer aura juste répondu à son instinct, le même qui le faisait mener bataille dans les bois avec Alek et Anthony.

Outre la réflexion sur le héros moderne à l’image de Sully dans son précédent film, Clint Eastwood s’essaie avec Le 15h17 pour Paris a un exercice de style périlleux à moitié réussi. À savoir employer les véritables protagonistes de l’événement et recomposer le puzzle du voyage entre Amsterdam et Paris. Le 15H17 pour Paris n’est pas un film, mais une reconstitution, un portrait. Spencer, Alek et Anthony jouent leurs propres rôles, revivent les événements clés de leurs vies. Ce procédé insiste sur la trajectoire menant ses hommes à être des héros aujourd’hui. Ne pas prendre des acteurs accomplis pour en être l’incarnation, mais employer les véritables héros pour être plus proche de la réalité. Le côté documentaire est parfois assez déstabilisant, mais le cinéma reprend la plupart du temps ses droits et le film vrille par l’incapacité du trio à être des personnages à part entière manquant cruellement de charisme et d’un jeu d’acteur suffisant. Le problème est la volonté de Spencer, Alek et Anthony de jouer, de s’incarner alors que le but de Clint Eastwood est d’être ces héros. L’incarnation en roue libre se ressent. Clint Eastwood n’a jamais été un directeur hors pair. Les choix justes en termes de casting des précédents longs-métrages lui permettent généralement de se concentrer sur l’intensité de son discours et sa volonté de cinéma. Ici, le réalisateur américain se casse les dents sur l’amateurisme des garçons, en dépit de leurs bonnes volontés. Le tour de l’Europe est parfois insupportable, notamment en Italie, la discussion Skype ou encore les échanges dans le Thalys juste avant le drame. Rien n’est vraiment naturel, on sent les hommes forcés d’incarner leurs propres personnages, alors que les consignes leur demandent d’être eux-mêmes.

Le 15H17 pour Paris est un exercice de style intéressant, parfois curieux, de la part de Clint Eastwood. Le film est le moyen pour lui de décrypter l’héroïsme moderne d’hommes ayant agi bon gré mal gré l’événement en question. C’est l’opportunité pour le réalisateur de Gran Torino de retracer le parcours de ces hommes moyens avec leurs propres participations. Une volonté louable, possiblement judicieuse, si les trois hommes s’étaient révélés un brin charismatiques. Mais Anthony, Spencer et Alek, à défaut d’être des héros, ne sont pas des acteurs confirmés ne permettant jamais au film de passer le simple cap de l’exercice de style pour Clint Eastwood.

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