Faute d’amour : Disparition progressive de la tendresse.

L’image est glaçante : un enfant de 12 ans se tient derrière une porte et pleure toutes les larmes de son corps tandis que ses parents se disputent, ignorant la présence de leur fils, trop occupés à se chercher des noises. Dans le divorce que Boris et Genia sont en train de préparer, leur fils Aliocha n’a pas sa place. Il a déjà disparu de la sphère familiale. Aussi quand il disparaît purement et simplement en allant à l’école, cela arrange presque ses parents, eux qui voulaient l’envoyer en pension de toute façon.

Auréolé du Prix du Jury à Cannes l’année dernière, Faute d’amour se redécouvre dès aujourd’hui en vidéo chez Pyramide Video. Disponible en DVD et Blu-ray depuis le 6 février, cette nouvelle réalisation d’Andreï Zviaguintsev nous glace le cœur en dressant le portrait d’une société monstrueuse d’égoïsme. Mais contrairement à Léviathan, le précédent film du réalisateur qui s’inscrivait dans une pure critique de la Russie d’aujourd’hui, Faute d’amour s’inscrit dans une logique plus universelle. Si le récit de Zviaguintsev comporte quelques éléments propres à son pays et à sa froideur qu’il dénonce depuis ses débuts (notamment sur la place de l’Eglise dans la société russe), la portée de Faute d’amour est d’autant plus glaçante qu’elle est terriblement d’actualité, dénonçant l’égoïsme d’une société qui ne vit que pour ses désirs, ses selfies sur ses téléphones et qui a oublié ce qu’est l’amour.

Le couple décrit dans le film est particulièrement affreux. Ce sont des gens incapables d’aimer qui que ce soit sinon leur propre personne et qui se trompent sur leurs sentiments. Boris et Genia, trop occupés à divorcer et à commencer leur nouvelle vie avec leurs nouveaux compagnons, délaissant tellement leur fils qu’il se passe tout de même 50 minutes dans le récit avant qu’ils ne s’aperçoivent de sa disparition. Une disparition effarante qui leur donne une nouvelle excuse pour se critiquer plutôt que de sincèrement s’inquiéter pour un enfant dont ils avaient prévu de se débarrasser de toute façon. Pas de place pour Aliocha dans la vie de Genia, qui s’est trouvé un homme riche s’intéressant à elle et pas de place non plus pour Aliocha dans la vie de Boris qui a mis enceinte sa nouvelle compagne, une jolie blonde réclamant de l’attention. Même la police, débordée par la paperasse, ne fait pas grand-chose et seule une association se démène pour tenter de retrouver Aliocha, le leader de cette organisation semblant plus décidé à retrouver Aliocha que ses parents.

Des parents qui, faute d’amour dans leur éducation (il faut voir la scène entre Genia et sa mère pour s’en apercevoir), n’ont pas été fichus d’en donner à leur propre enfant dont ils rejettent l’existence. Il faut se rendre à l’évidence, l’enfant a disparu de leur vie bien avant de disparaître du récit. Ce qui ne les empêche pas de se bercer d’illusions sur l’amour qu’ils pensent avoir retrouvé auprès de leurs nouveaux conjoints alors que toute la mise en scène de Zviaguintsev indique clairement qu’il n’y a que le sexe qui les retient ensemble.

Aussi déprimant et dur soit-il (la fin du film, laissant en suspens la disparition de l’enfant alors que les parents refont leur vie est terrible), Faute d’amour retient toute notre attention grâce au sens de la mise en scène que déploie Zviaguintsev. A l’aide d’un sens aigu du cadre, le cinéaste rend fascinant le moindre de ses plans, y incluant de la tension à l’aide de rien, uniquement de longs plans fixes traduisant généralement la froideur de la société (que l’on annonce toucher à sa fin dans le film à travers les médias prédisant une apocalypse) ainsi que celle de l’émotion de personnages qui n’ont jamais su aimer personne, monstres d’égoïsme représentatifs d’une bonne partie de la société que Zviaguintsev dénonce avec vigueur, remettant en question nos valeurs, nous donnant une vive envie de tendresse juste après le visionnage de son film.

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  1. Pororoca - Pas un jour ne passe : Apocalypse Now -

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