Wonder Wheel : Woody tel qu’en lui-même

Parlons cinéma. Car malgré la polémique récente qui n’en est pas une et qui risque de compliquer la suite de la carrière du binoclard névrosé New Yorkais, une chose est certaine, ce dernier n’a pas perdu la main avec l’âge, et malgré sa productivité surnaturelle lui permettant de nous offrir un film par an (voire 2) de manière métronomique depuis des années (1982 exactement avec Comédie érotique d’une nuit d’été), il semblerait que son talent, lui, ne se soit pas évaporé. C’est donc un Woody en grande forme artistique qui nous revient ici, avec un film qui semble une synthèse parfaite de tout ce qui fait le sel de son cinéma.

Situé à Coney Island dans les 50’s, le film s’attache à une poignée de personnages comme toujours névrosés au dernier degré, entre Ginny, serveuse frustrée et ressassant son passé d’actrice, interprétée par une Kate Winslet d’une puissance sans limite ; Humpty (James Belushi), « sauveur » de Ginny, marié avec elle, mais souffrant de son addiction à l’alcool et flanqué d’une fille, Carolina (la belle Juno Temple), avec laquelle il est brouillé mais qui revient vers lui lorsqu’elle se retrouve obligée de fuir des gangsters en voulant à sa vie depuis qu’elle a collaboré avec la police au sujet de son mari ; et enfin Mickey (convaincant Justin Timberlake), maître nageur se rêvant dramaturge et qui va entamer une liaison avec Ginny tout en tombant également sous le charme de Carolina. Tout ce petit monde va donc  voir leurs trajectoires se croiser, dans un récit aux abords coloré, mais s’avérant bien plus cynique et désespéré que prévu, évoquant à ce titre les plus sombres des Allen récents, tels que Le rêve de Cassandre et Blue Jasmine.

Avec son précédent Café Society, le grand Woody entamait une relation artistique avec le non moins grand Vittorio Storaro, immense chef-opérateur qui aura droit prochainement à un petit hommage à la Cinémathèque Française, ayant notamment collaboré avec Francis Ford Coppola, sur Apocalypse Now (excusez du peu), mais également avec Dario Argento et bien d’autres. Un talent incroyable qui, depuis qu’il a débarqué dans le cinéma de Woody Allen, lui a apporté un surplus d’ambition formelle, qui trouve ici sa véritable quintessence, tant photographique que de mise en scène pure. Avec son aspect très coloré évoquant presque le sublime La La Land, il mène le spectateur sur une fausse piste, car malgré cette forme élégante flattant notre rétine émerveillée, le film n’est pas d’une grande fraîcheur, se montrant plutôt désillusionné, ce qui n’est pas étonnant de la part du cinéaste, qui semble ici d’humeur maussade, malgré quelques traits d’humour comme toujours irrésistibles. Mais on sent qu’il n’y ici aucune volonté du bon mot à tout prix, de la phrase choc qui ferait mouche régulièrement. On est dans le cas inverse à L’homme irrationnel qui débutait de manière cynique et noire pour se terminer de manière un peu trop angélique. Mais n’en disons pas plus au risque d’en dévoiler plus que de raison. Les thèmes centraux sont donc la frustration d’être passé à côté de la vie que l’on rêvait, tout en s’accrochant à ses fantasmes inaccessibles, et de la folie qui peut en résulter, et les névroses des adultes déteignant sur les enfants, ici le fils de Ginny, pyromane en puissance. Thèmes traités bien évidemment de façon particulièrement dialoguée, ce qui pourrait être un défaut chez n’importe quel autre réalisateur, mais ici d’une puissance dramaturgique folle, ne tombant jamais dans l’hystérisation malgré de nombreuses scènes de crise, tout simplement parce que Woody Allen est en pleine possession de ses moyens et de son style, semblant resservir ses thématiques habituelles sans se fouler, et trouvant pourtant ici matière à réflexion subtile et profonde sur les affres de l’existence. Et si le spectateur se retrouve parfois à rire jaune, c’est pourtant une émotion étrange qui finit par nous envahir et nous laisser sous le coup d’une mélancolie absolue.

La mise en scène est d’une précision et d’un rythme implacables, le flot ininterrompu de paroles ne saoulant jamais le spectateur, grâce à un filmage d’une énergie et d’une jeunesse franchement surprenantes, avec notamment de nombreux plans-séquences laissant tout l’espace nécessaire aux comédiens pour s’exprimer de la plus belle des manières. Aucun n’est au-dessus de l’autre, chacun ayant au moins son moment de bravoure n’appartenant qu’à lui, et chacun s’avèrera plus nuancé que prévu, à commencer par James Belushi, tout simplement exceptionnel de puissance dramatique, paraissant tout d’abord être un alcoolique irrécupérable et irascible, mais dont la maladie n’est que le résultat d’un trop grand débordement d’amour à l’égard de ses proches, dans un monde trop cruel pour les âmes pures comme la sienne.

Inutile d’en dire plus, tout simplement qu’il serait dommage de passer à côté pour des raisons extra-cinématographiques, tant l’artiste reste bel et bien l’un des plus talentueux encore en activité, qui contrairement à un Hong-Sang Soo, ne se contente pas de nous resservir éternellement les mêmes films, mais travaille au contraire des thèmes qui lui sont chers, avec, régulièrement, des sursauts d’inspiration inespérée, qui nous laissent espérer que sa carrière ne se termine pas maintenant, car le Woody annuel, c’est un peu la loterie, mais lorsque c’est réussi comme ici, c’est franchement irrésistible.

 

2 Rétroliens / Pings

  1. Un Jour de Pluie à New York : L'amûûûr, c'est beau, surtout quand il pleut ! -
  2. Blackbird : Bye Bye Lilly -

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