Pentagon Papers : Rencontre avec Steven Spielberg, Meryl Streep et Tom Hanks.

C’est une rencontre qui n’arrive pas tous les jours, même dans les fantasmes cinéphiles les plus fous. Steven Spielberg, Meryl Streep et Tom Hanks sont pourtant là, devant nous. Venus à Paris pour défendre Pentagon Papers, la dernière réalisation du prolifique Steven Spielberg dont on attend Ready Player One en mars, les trois géants du cinéma américain ont répondu à nos questions avec une malice et une bienveillance qui les caractérise et qui traduit la simplicité de leur rapport à leur travail. A eux trois, ils ont une filmographie massive composée de chefs-d’œuvre mais ne donnent jamais l’impression d’imposer cette évidence. Ce sont simplement trois personnes amoureuses de leur boulot. Comme nous, chez Close-Up, nous le sommes du nôtre quand nous profitons de la rencontre, évidemment.

Le film se déroule en 1971 mais le propos est terriblement actuel et moderne. Pensez-vous que la presse doit-elle se battre encore aujourd’hui pour défendre sa liberté ?

Steven Spielberg : Aujourd’hui plus que jamais, la presse doit se battre fermement pour garder sa dignité et pour apporter au public la vérité. Les parallèles entre 1971 et 2017 sont évidents. D’un côté on a Richard Nixon qui a tenté de museler la presse et de l’autre on a Donald Trump qui est loin d’être mieux, évidemment. Mais en dehors de ces parallèles, je trouve que le cœur du film est dans la relation unissant Katherine Graham et Ben Bradlee. Le film montre une femme en position d’autorité mais incapable de savoir s’en servir parce qu’elle a été formatée par cette société patriarcale où l’on n’écoute pas vraiment les femmes.

Meryl Streep, Tom Hanks, qu’avez-vous appris avec ce film ?

Meryl Streep : J’ai appris que Katherine Graham, en plus d’être une femme de pouvoir, avait un sacré talent pour l’écriture. Elle a écrit une autobiographie qui a gagné le Pulitzer, ce n’est pas rien ! Plus j’en apprenais sur elle, plus j’admirais sa curiosité, son intellect. Mais ce qui est frappant, c’est qu’en parlant avec ses enfants, ses collègues, ce qui revient c’est à quel point elle doutait sans cesse, à quel point elle se sentait fragile. C’est l’histoire de nombreuses femmes. Je partage cette insécurité, c’est une chose qui est nécessaire je crois en tant qu’actrice. De savoir se remettre en question, de tout remettre en jeu à chaque film, de se reconstruire…

Tom Hanks : Je connaissais la femme de Ben Bradlee que j’incarne. Bradlee était un homme avec un vrai sens des responsabilités. Pour lui, c’était simple : la vérité est la vérité et il faut la publier. A quoi bon être journaliste, sinon ? C’était un homme qui savait ce qu’il faisait, qui connaissait le terrain sur lequel il évoluait. C’est mon cinquième tournage avec Steven, je sais donc ce qu’il attend de moi, que je fasse des recherches, que je lui propose des choses mais la chose nouvelle pour moi était de travailler avec Meryl Streep. Vu que c’était la première fois que Meryl bossait avec lui, on était vraiment dans la peau de nos personnages avec moi qui connaissait le terrain et elle qui débarquait, parfois un peu déroutée. Je l’ai d’ailleurs un peu malmenée, je ne lui ai pas dit que Steven ne faisait pas de répétitions, qu’il attendait sans cesse des propositions de notre part. Les premiers jours, je la regardais et je la voyais un peu déboussolée par tout ça. Et moi derrière, je lui criais  »allez, accroche-toi, continue, tu dois continuer ! »

M.S : Tu t’es régalé à regarder ça ! (rires)

T.H : J’en ai savouré chaque minute ! (rires)

Steven, vous avez tourné Pentagon Papers assez rapidement alors qu’on attendait Ready Player One avant, pourquoi avoir fait Pentagon Papers aussi vite ?

S.S : Il y avait le sentiment que le film était d’actualité, que c’était une histoire qu’il fallait raconter. Vous savez, en science-fiction, il n’y a pas de limites. Les seules limites sont celles de votre imagination. Mais que se passe-t-il quand on doit se coller à l’Histoire ? L’Histoire est co-scénariste du film, on en est dépendants. Le parallèle avec Nixon et Trump était trop évident, il fallait raconter cette histoire. C’était aussi l’occasion de montrer le journalisme à l’ancienne, de la salle de rédaction aux presses imprimant le journal. Le travail est foncièrement resté le même mais il est tout de même devenu plus facile. Avant, il fallait plus souvent sortir, être en mouvement, aller aux cabines téléphoniques, frapper aux portes…

Selon vous, qu’est-ce qui fait une bonne histoire ?

S.S : Je ne sais pas, c’est une combinaison de plusieurs éléments mais je sais en reconnaître une. Avec une bonne histoire, je suis très enthousiaste. Un peu comme Ben Bradlee. Dès qu’il s’agit de la raconter, je retrouve ma jeunesse, j’agis comme un gamin de 15 ans même si au fond je me sens comme un type de 50 ans (rires). Pour que je sois sur le plateau de tournage, j’ai juste besoin d’une bonne histoire, c’est aussi simple que ça.

Évidemment, le film fait penser à celui de Alan J. Pakula, Les Hommes du Président. Comment réalise-t-on un film journalistique, quel style avez-vous eu en tête ?

S.S : Le style vient du thème du film, de ce que l’on tire du scénario. Il y a eu 27 versions différentes du scénario avant que l’on commence à tourner. L’idée était de filmer comme si l’on était en permanence dans la newsroom d’un journal. C’est sûrement pour ça qu’on a pu le faire aussi rapidement.

La fin de votre film rappelle d’ailleurs l’ouverture des Hommes du Président. On pourrait visionner les deux à la suite. Dans quelle mesure le film de Pakula vous a-t-il influencé ?

S.S : C’est bien simple, Les Hommes du Président est le meilleur film d’investigation journalistique de l’histoire du cinéma. Je suis ravi d’être proche de lui mais je n’ai jamais voulu m’en rapprocher totalement. Alors oui, le plan final de Pentagon Papers fait directement référence au plan d’ouverture du film de Pakula, j’ai utilisé la même focale mais on se pose comme un cousin de ce film. Notre film est différent, l’enquête a autant d’importance que la relation entre Kay Graham et Ben Bradlee. C’est cette relation qui permet à Kay de prendre la décision de publier et sans cette décision, le Washington Post n’aurait pas eu cette ampleur, Carl Bernstein et Bob Woodward ne seraient peut-être pas venus y travailler et l’Histoire aurait été différente…

Considérez-vous le film comme féministe ?

S.S : Oui mais ce n’est pas mon premier film féministe. Le premier est La couleur pourpre. Vous savez, j’ai grandi entouré de femmes. Ma mère était une femme très forte, j’ai eu trois sœurs, chaque département à Amblin est dirigé par une femme. C’est un milieu dans lequel je suis à l’aise, je me sens mieux entouré de femmes fortes.

 

Ce qui frappe d’ailleurs avec Katherine Graham, c’est le paradoxe qu’il y avait en elle. C’était une femme de pouvoir mais qui se sentait faible. Comment avez-vous travaillé là-dessus Meryl ?

M.S : Ça n’a pas été très compliqué. Moi-même, j’ai assisté à des réunions comme Kay où j’étais entourée d’hommes. Il m’est arrivé de faire des suggestions à peine écoutées puis totalement approuvées quand un homme les faisaient. Toutes les femmes ont vécu ça, cette sensation de ne pas être écoutées, de ne pas être prises au sérieux. On y arrive mais on n’en est pas encore là. Quand Amy Pascal a acheté le scénario, c’était quelques jours avant les élections américaines et ça aurait été formidable que le film sorte aujourd’hui avec Hillary Clinton comme première femme présidente des États-Unis. Pentagon Papers aurait alors montré l’évolution qu’il y a eu entre 1971 et 2017. Maintenant le film raconte autre chose, il montre qu’il faut toujours se battre. Mais bon, tout n’est pas complètement noir. Dans le film par exemple, Kay peut compter sur Ben Bradlee. Il est le seul qui lui dit qu’il faut publier.

T.H : Oui c’est un des éléments du film. Ben savait tout sur Kay, il agissait parfois comme si c’était son patron mais il savait les risques qu’elle courrait si elle décidait de publier les documents. La clé du scénario, le moment de tension du film, c’est cet instant au téléphone où Kay doit se décider, c’est  »go or no go ». C’est décisif. Et en même temps, à quoi ça sert d’avoir un journal si l’on ne publie pas un article de cette ampleur, si l’on ne révèle pas la vérité au peuple ? J’ai adoré ce moment sur le tournage où Meryl prend la décision, c’était formidable de voir ça.

S.S : Ce n’était pas facile à tourner comme scène d’ailleurs. Car à part dans Le crime était presque parfait, je trouve les scènes de téléphone dans les films très pénibles. J’ai donc fait référence à Hitchcock pour cette scène.

M.S : Ce qui frappe dans le film, c’est à quel point Kay et Ben avaient une relation importante. Sans Ben pour la pousser, Kay n’aurait sûrement jamais pris cette décision. C’est un film sur le travail d’équipe, sur un partenariat qui a changé l’Histoire. Quand on voit le discours qu’a fait Ben Bradlee aux funérailles de Katherine Graham, on sent qu’il l’aimait profondément. Ces deux-là s’aimaient. Ce n’est pas le sujet du film mais c’est important pour comprendre leur relation.

 

Propos recueillis à Paris le 13 janvier 2018. Un grand merci à Youmaly Ba et à toute l’équipe d’Universal

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