Artus Films – la collection « Les classiques » : Panorama divers et varié du cinéma classique américain.

Toujours prompts à nous dégoter de bons petits films de derrière les fagots, Artus Films nous a récemment gâté (forcément, on est en décembre) en nous sortant, le 5 décembre dernier, une sélection de six classiques américains méconnus. L’occasion de s’y plonger et de naviguer entre les films avec un plaisir cinéphile évident dont on se délecte d’avance en lorgnant sur les titres : L’étrange Mr. Slade, Le Fils du Pendu, Les Cinq Survivants, Le Carnaval des âmes, Au-delà de demain et Scandale à Paris.

S’ils sont tous édités en même temps, il n’y a pourtant à priori rien de commun entre les titres de la sélection si ce n’est trois points plutôt légers : ils ont été tournés entre 1940 et 1962 (la fourchette est large), ils sont tous en noir et blanc et n’ont pas été très chers à tourner. Même Scandale à Paris, film d’époque, laisse apercevoir des transparences grossières nous faisant devenir le confort d’un tournage en studio peu onéreux. A force de chercher une logique dans le choix de ces titres, on s’y perd : pas de dénominateur commun aussi bien au niveau des acteurs que des réalisateurs (qui vont de Douglas Sirk à Frank Borzage en passant par Herk Harvey et Arch Oboler) et pas de thématiques similaires non plus. Au contraire, la sélection tire sa force de ses différences. Avec ces six films, Artus entend nous offrir un panorama du cinéma américain de l’époque à travers différents genres, permettant de voir comment ils ont été abordés et quelles sont les thématiques qu’ils en tirent, certains (comme Les Cinq Survivants et Le Carnaval des âmes dont on adore le titre) se montrant même précurseurs dans leur registre.

Scandale à Paris

On a donc ici du thriller (L’étrange Mr. Slade), du film noir (Le Fils du pendu), du film post-apocalyptique (Les Cinq Survivants), du film fantastique (Le Carnaval des âmes), du film de Noël (Au-delà de demain) et du film d’époque (Scandale à Paris). Six genres, six variations, six propositions, certaines étant plus prononcées et audacieuses que d’autres.

On passera ainsi rapidement sur Scandale à Paris, évocation romancée de la vie de Vidocq réalisée par Douglas Sirk dont on peine à reconnaître la patte, ici encore timide. Seul George Sanders, acteur au charme suave et indéniable, parvient à offrir au film un peu d’épaisseur dans le rôle principal même si la présence de la très belle Carole Landis, actrice au destin tragique (elle s’est suicidée à l’âge de 29 ans) dans un rôle de femme au destin tragique (cruelle coïncidence) vient également donner du corps à l’ensemble.

Au-delà de demain se montre déjà un peu plus intéressant, s’inscrivant dans la grande tradition des films de Noël du cinéma américain des années 40, réalisé avant Le Miracle sur la 34ème rue ou La vie est belle (de Capra hein), le film met en scène trois fantômes bienveillants décidés à aider un couple à se retrouver. C’est joli, c’est naïf mais ça manque de souffle.

L’étrange Mr. Slade

L’étrange Mr. Slade est de cet acabit. Inspiré par l’affaire de Jack l’éventreur, cinquième adaptation du roman The Lodger (adapté par Hitchcock en 1927), le film est un thriller souffrant d’un réel manque de souffle dans la mise en scène en dépit de quelques plans inspirés. Là où le film est intéressant, c’est qu’il se lance dans une espèce d’étude de cas du tueur incarné par le toujours charismatique Jack Palance. Avant les films de Richard Fleischer (L’étrangleur de Boston, L’étrangleur de la place Rillington), avant le Psychose d’Hitchcock, L’étrange Mr. Slade tâche de nous montrer un personnage de tueur humain avant tout et de nous expliquer les raisons de ses pulsions dont il est une victime. Ici, Slade est un homme qui a développé une animosité envers les femmes après avoir été marqué par la figure de sa mère envers laquelle il éprouve un mélange d’attirance et de répulsion. Une enfance sous le signe d’un trauma qui l’a poussé à tuer par la suite. Le genre de choses dont Freud aurait raffolé !

Attardons-nous ensuite sur Les Cinq Survivants qui vaut vraiment le détour. Tourné avec des économies de bouts de chandelles dans la propriété même du réalisateur Arch Oboler, le film traite de la peur du nucléaire et commence fort : en deux minutes, le monde a été balayé par un holocauste nucléaire. Seuls une femme enceinte, un philosophe, un homme de couleur, un employé de banque et alpiniste raciste semblent avoir survécu. Mais évidemment, surmonter leurs différences face à la catastrophe est loin d’être gagné… Cruel, glaçant, Les Cinq Survivants n’a pas besoin de grand-chose pour nous plonger dans une situation particulièrement oppressante : des cadres serrés, un personnage raciste (avec un étrange accent français ressemblant à celui de Charles Boyer), une seule femme… Il suffit de ça pour que Oboler maintienne la tension et nous offre un aperçu, dès l’année 1951, de ce qui fera tout un pan du cinéma post-apocalyptique du cinéma américain avec ses images désolantes et impitoyables.

Le Carnaval des âmes

Même chose avec Le Carnaval des âmes, précurseur de bien des films notamment de La nuit des morts-vivants de Romero. Réalisé par Herk Harvey avec des économies de bouts de chandelle (encore !) et tourné à Salt Lake City, Le Carnaval des âmes a connu un échec à sa sortie avant d’obtenir petit à petit une réputation de film culte loin d’être volée. Son atmosphère particulière, sa façon de gérer le fantastique, son sens du cadre, ses personnages fantomatiques et sa fin cruelle en font un petit classique instantané. Certes, le film a un peu vieilli dans son rythme et certains plans font vraiment ressentir le peu de budget du tournage mais le tout est inséré au sein d’un univers visuel tellement fort et tellement hypnotique qu’on ne peut qu’être charmé par cette proposition de cinéma forte, qui hante nos rétines bien après sa vision.

La sélection se termine avec Le Fils du pendu, certainement le film le plus abouti des six proposés. Réalisé par Frank Borzage, le film s’attarde sur le parcours de Danny Hawkins. Brimé toute sa vie parce que son père a été pendu quand il était tout jeune, Danny a sans cesse subi les persécutions de ses camarades. Jusqu’au soir où, poussé à bout une fois de trop, il assassine l’un de ses rivaux. Par peur de finir comme son père s’il se rend, Danny cache le corps et tâche d’échapper aux mailles de la police. Traité comme un film noir, le film est aussi un drame subtil sur le poids des actions de nos parents et sur la notion de bien et de mal. Superbement mis en scène par Frank Borzage qui transforme les décors du bayou en véritables tableaux oniriques, Le Fils du pendu surprend par son joli plaidoyer pour la compréhension, le shérif de la ville allant même jusqu’à dire qu’il y a toujours deux victimes et deux coupables dans un meurtre. Un peu naïf sur la fin, le film fait montre d’une subtilité bienvenue et finalement assez rare pour une œuvre de 1948.

Le Fils du pendu

Avec ce panorama de classiques américains, Artus semble nous montrer qu’il a toujours existé plusieurs façons de traiter un même genre et que les alternatives au budget plus modeste se sont souvent montrées plus audacieuses. De quoi nous donner envie de redécouvrir tout un pan du cinéma américain, décidément foisonnant et passionnant.

1 Commentaire

  1. Enfin! La France se rend compte que « les classiques du 7ème art » ne se résument pas au cinéma hexagonal… très bonne initiative. Ne vous arrêtez pas en si bon chemin, il reste tellement de petits chefs d’œuvres tournés aux Etats-Unis à découvrir sans devoir faire ses achats outre Atlantique. Merci.

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