
Se plonger dans un film de Max Ophüls, c’est toujours un régal. On est assuré de passer un bon moment, enivré par des mouvements de caméra fluides et par une galerie de personnages touchants, en proie à leurs sentiments – ou du moins, ce qu’ils prennent pour des sentiments. La ressortie au cinéma aujourd’hui d’une copie en version restaurée 4K de La Ronde par Carlotta est donc l’occasion, incontournable, de se plonger dans cette fabuleuse ronde des désirs charnels.
Le film, réalisé en 1950, marque le retour d’Ophüls en France après son exil américain. C’est le premier volet d’une tétralogie qui viendra conclure sa carrière en beauté avec le sublime Lola Montès. Avec La Ronde, Ophüls met en scène une adaptation assez personnelle d’une pièce éponyme d’Arthur Schnitzler qui fit scandale à sa sortie. Il faut dire que la pièce comme le film mettent continuellement en scène un homme et une femme qui se séduisent, abolissant au passage leurs différences sociales. Mais s’ils se séduisent, pour eux il est toujours trop tôt ou trop tard, l’amour ne naît pas et le désir s’en va une fois consommé. C’est donc une ronde qui se met en place : la prostituée et le soldat, le soldat et la femme de chambre, la femme de chambre et le jeune homme, le jeune homme et la femme mariée… Et cela continue ainsi jusqu’à former une boucle, nous montrant que tout le monde infidèle sauf à son propre désir.
Le constat effectué par Schnitzler dans sa pièce est confirmé par Max Ophüls dans le film : le bonheur n’existe pas. N’existe que des liaisons passagères, inévitables mais qui s’éteignent sitôt consommées. La fièvre du désir, les élans amoureux les plus purs, finissent toujours par faner. Le temps est impitoyable et même l’amour ne peut se dresser face à lui. Il y a toujours ailleurs une autre femme, un autre homme à aimer, à désirer puis à quitter.
C’est donc un constat très triste que fait Ophüls. Les scènes ont beau s’enchaîner (sans jamais que cela semble inégal d’ailleurs ce qui est rarissime dans ce genre de film) avec une certaine drôlerie, nous montrant des personnages deviser sur l’amour et le désir, le résultat est le même à chaque fois. Tromper, être trompé, aimer, ne plus aimer, oublier, désirer, ne plus désirer, la ronde est infinie et ne cessera jamais de tourner tant que les humains seront sur cette Terre. Pour pimenter son film déjà bien audacieux (on lui reprochera à l’époque d’encourager les amours libertaires et l’adultère), Ophüls ajoute un personnage à la pièce originale : le meneur de jeu. Celui-ci, interprété avec aisance et charisme par Anton Walbrook (Les Chaussons rouges, Colonel Blimp) se pose comme une sorte d’alter-ego du metteur en scène. Il est partout, commente chaque scène avec malice et influe même directement sur cette ronde. A ce titre, la scène où il coupe un bout de pellicule pour éviter que le spectateur assiste à une scène de sexe est tout simplement irrésistible, témoignant de l’inventivité constante de Max Ophüls.
Il faut d’ailleurs saluer le travail de mise en scène effectué par Ophüls. Toujours à l’aise avec la technique, le cinéaste multiplie les longs plans, les amples mouvements de caméra, privilégie les cadres soigneusement composés dans des décors élégants et chargés. Sans cesse, sa mise en scène vient virevolter autour des acteurs (et quels acteurs ! Simone Signoret, Serge Reggiani, Simone Simon, Danielle Darrieux, Jean-Louis Barrault, Gérard Philipe…), illustrant à merveille cette idée de ronde du désir, de boucle sans fin, allant et venant d’un personnage à l’autre sans jamais s’arrêter et ce pour notre plus grand plaisir de spectateur.
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