Coffret Hitchcock, les années Selznick : America fuck yeah !

Hitchcock. Le maître du Suspense. Un grand nom du cinéma. Connu de tous. Une notoriété telle que son nom a même donné naissance à son propre épithète… Mais qu’est-ce que ça veut dire exactement, « hitchcockien » ? Peut-on taxer le moindre film à twist, le moindre morceau de pellicule qui nous fait tressaillir dans notre siège d’ « hitchcockien » ? Qu’est-ce que c’est finalement, le style Hitchcock ?

En couvrant la période d’arrivée à Hollywood de Hitch, le coffret Les années Selznik de chez Carlotta (disponible en dvd et blu-ray), nous donne un début de réponse. Quatre films sont à l’honneur dans ce coffret : Rebecca, La Maison du Docteur Edwardes, Les Enchaînés et Le Procès Paradine. Qui ont pour particularité commune d’avoir été réalisés sous la tutelle de David O. Selznick, le célèbre producteur qui fit venir Hitchcock aux États-Unis. Quatre films qui ont marqué la carrière du maître, donc, le tout accompagné de nombreux bonus et d’un livre complet, La conquête de l’Indépendance.

Les différents bonus vidéo se divisent en deux catégories. La première réunit des trivialités dont les plus fans sont friands, comme une interview du fils de Selznick qui partage des anecdotes sur son père ou encore des films de vacances en famille d’Hitchcock qui nous font voyager dans la sphère intime de ces deux grandes figures. La seconde présente plus d’intérêt pour qui veut approfondir sa vision des œuvres et leur compréhension. Pour chacun des films, on a le droit à un entretien avec Laurent Bouzereau (auteur de Hitchcock : Pièces à conviction), mais aussi des extraits audio des entretiens Hitchcock/Truffaut portant sur les films sélectionnés, suivis à chaque fois d’une analyse de Nicolas Saada, des Cahiers du Cinéma. Le livre quant à lui, est un recueil de nombreux textes dont une majorité viennent aussi des Cahiers, mais comporte également des entretiens et des textes signés Hitchcock lui-même. Une vraie mine d’informations qui témoigne du soin apporté à cette édition.

Si les suppléments du coffret mettent l’accent sur une chose, c’est sur le rôle de Selznick dans les débuts de carrière outre-Atlantique d’Hitchcock. Loin de lui avoir simplement déroulé le tapis rouge, une véritable collaboration s’est instaurée entre les deux géants, mais non sans conflits. La rencontre entre le control freak et celui qui désirait plus d’indépendance ne manqua pas de faire des étincelles. Le producteur (qui sortait de la production de Autant en emporte le vent) mettait un point d’honneur à respecter les œuvres d’origines, là où le réalisateur n’y voyait qu’un socle pour ses expérimentations techniques. C’est sous ce climat tantôt houleux, tantôt harmonieux, qu’est sorti Rebecca, premier né de leur collaboration.

De l’audace de Hitch, on retient avant tout cette scène où la caméra, vide de sujet, suit une trajectoire, au rythme des révélations de Maxim de Winter. Représentatif du reste du film (plus sage, mais toujours efficace), ce flashback ancré dans le présent met en exergue la présence étouffante de la défunte Rebecca. Jamais montrée, elle n’en reste pas moins un personnage véritablement impactant. Et si le reste du film se veut moins expérimental, c’est du fait de Selznick, qui, à grands renforts de ses fameux mémos (deux d’entre eux sont d’ailleurs consultables dans La conquête de l’Indépendance), contrôle les décisions prises pour l’adaptation du roman original. Un contrôle qui se poursuivra jusque dans la cabine de montage, son royaume, où il aura le dernier mot. En résulte une œuvre proche du conte de fée, qui malgré sa technique contrôlée tiens déjà bon nombre des thématiques et procédés narratifs chers au grand maître et que nous n’aurons pas fini de croiser dans le reste de son œuvre. Comme cette urgence, ce fameux suspense qu’on retrouve dès la première partie dans les adieux précipités que se font les amoureux, alors que l’héroïne sans nom cherche Maxim pour le voir une dernière fois avant son départ.

Car oui, le suspense d’Hitchcock, cette fameuse « bombe sous la table » reste, dans le cadre de ces quatre films, accroché à un enjeu amoureux. Romantique, humaniste, féministe, c’est sans mal qu’il parvient à créer des couples marquants que tout accable. Comment ne pas aspirer à la réunion de Cary Grant et Ingrid Bergman dans Les Enchaînés ? Le gros plan mobile, lors de cette scène d’amour à l’hôtel où les deux amoureux ne se lâchent plus, nous invite dans leur intimité avant de mieux nous repousser à cause de la mission. Se joue alors un effet de balancier entre attirance et répulsion, entre devoir et romance, entre prétexte et mise en scène virtuose : un rythme simple et diablement efficace au service d’enjeux à multiples tiroirs.

Précis comme une partition, c’est aussi l’une des grandes forces du « style Hitchcock », ces effets de miroir qui se répondent donnent le ton, sans jamais sombrer dans l’auto-référencement arrogant, mais plutôt dans une récurrence volontaire (voire obsessionnelle). Les motifs se retrouvent et se répondent (les innocents accusés à tort, la blonde contre la brune, les antagonistes ordinaires parfois touchants, les figures de contes de fée), parfois au sein du même film, comme dans La maison du Docteur Edwardes, où la scène du baiser permet à la fois d’entamer et de terminer l’action du film sur une note comique allégeant le ton sérieux et sombre du reste de l’œuvre. Toujours à propos de ce film, Laurent Bouzereau, pointe du doigt que Gregory Peck est la version masculine de Tippi Hedren (Pas de Printemps pour Marnie) ou encore que l’envoûtante Alida Valli du Procès Paradine serait ce qui se rapproche le plus d’une incarnation de Rebecca. De là à parler d’un « hitchcock-verse », il n’y a qu’un pas que le bon goût nous empêche de franchir. La rythmique, qu’impose le chef d’orchestre Hitchcock, n’est ni plus ni moins qu’une facette de sa vision personnelle et pourtant universelle du langage cinématographique.

« On a un rectangle à remplir » déclare-t-il à ce propos dans son entretien avec Bogdanovich, en se référant au cadre. Son rectangle, il le compose avec l’essentiel. Pas de fioritures, les acteurs doivent rendre compte de l’état d’esprit de leur personnage d’une simple expression, le dialogue ne doit jamais être redondant (le fameux « Show. Don’t tell »). La tension passe avant tout par les gestes et lorsqu’Ingrid Bergman cache la clé qu’elle a dans la main à Claude Rains, elle le fait avec un naturel si simple qu’il en devient ingénieux. Les mouvements de caméra occupent une place centrale dans cette représentation économique. Celle-ci suit l’action, elle guide l’attention du spectateur sans détours à l’instar de ce travelling avant vers la clé dans les mains d’Ingrid Bergman, lors de la réception des Enchainés : on nous présente le lieu, une salle de réception bondée, puis l’attention est portée directement sur l’objet. Ni plus ni moins.  Un mouvement de caméra a suffi.

Ce n’est pas pour rien que Les Enchainés nous est présenté comme l’aboutissement du style « Hitchcockien » (le préféré de Truffaut, confie-t-il dans les entretiens). Tout y est : technique, thématique, écriture allant à l’essentiel — soutenue par Ben Hecht (déjà présent sur La maison du Docteur Edwardes et qu’on retrouvera pour La Corde) — et cette économie dans la mise en scène… Il est intéressant d’observer le reste des films du coffret par le prisme de ce dernier. On voit les changements de ton, souvent dus à des limitations (parfois bienvenues, parfois trop contraignant comme l’imposition de ses contractants au casting du Procès Paradine) imposées par Selznick. Les scènes expérimentales n’en devenant que plus remarquables. La scène des rêves de La Maison du Docteur Edwardes est ainsi mémorable, non seulement grâce à la participation de Salvador Dali, mais aussi de par sa volonté de changer la représentation de ces derniers à l’écran (ne pas avoir recours au simple flou brumeux classique).

Derrière une mise en scène qui semble sage de prime abord, se cache donc une maîtrise et un respect des règles de la grammaire cinématographique, qui n’empêchent pas pour autant l’exploration de nouveaux procédés. Au contraire, ce genre de paradoxe fait même partie du mythe Hitchcock, tout spécialement pendant cette période de sa carrière. Il a su allier cinéma d’auteur et cinéma mercantile, la réaction du public étant le cœur de sa recherche d’effets. Pour lui les meilleurs cinéastes sont ceux qui savent d’ailleurs allier les deux. Et son succès lui a donné raison : il a su charmer à la fois la critique européenne et le public américain.

La collaboration avec Selznick, célébrée dans ce coffret, aura donc permis à Hitchcock d’éprouver son désir d’indépendance, de se frotter à une autre vision plus exigeante, de faire des concessions, de se canaliser pour enfin en sortir grandi en affirmant un style déjà bien marqué. Un style qui passera à la postérité. Le style Hitchcockien, prouvant une fois de plus que c’est sous la contrainte que naît le génie.

 

2 Rétroliens / Pings

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