We Blew It : Oraison funèbre de l’Amérique.

De Jean-Baptiste Thoret, nous connaissions le travail critique et cinéphile. L’homme, fervent amoureux du cinéma américain et du cinéma de genre, auteur de livres sur Michael Cimino ou sur le cinéma américain des années 70, a toujours su parler avec une foi inébranlable envers le cinéma. Le voilà qui devient cinéaste. S’il avait déjà tourné pour la télé (En ligne de mire, comment filmer la guerre ?), Thoret livre avec We blew it son premier long-métrage de cinéma. Un documentaire foisonnant explorant l’Amérique, ses illusions perdues, ses rêves brisés, son enlisement vers un destin semblant inéluctable. Tourné en pleine campagne électorale américaine, le film trouve un écho particulier en le voyant aujourd’hui. Comment le pays est-il passé du bouillonnement culturel des années 60/70 à Donald Trump ? Jean-Baptiste Thoret nous propose des réponses en allant à la rencontre de cinéastes ayant connu les années 70 et en explorant certains lieux mythiques du pays, laissant également la parole à des citoyens rencontrés au hasard de la route.

Car We blew it, s’il est un documentaire, a également toute la forme d’un road-movie. On y explore des paysages, des villes. On s’attarde à New York, sur une plage à Santa Monica, sur la route 66. On refait le même trajet que JFK avant son assassinat, on retrouve les lieux de tournage de Point Limite Zéro. Thoret, qui n’a jamais caché son admiration et son amour pour le cinéma américain des années 70, le prend comme point d’ancrage pour finalement brasser plus large. Son film parle de l’Amérique mais transpire le cinéma, de part ses choix de cadre, son sens du montage, sa bande-originale ou encore ses longs plans mélancoliques où les images parlent d’elles-mêmes.

A l’origine du titre du film se trouve une célèbre réplique du film Easy Rider, emblème de la contre-culture américaine. A un moment, Peter Fonda déclare à son compère Dennis Hopper qu’ils ont  »tout foutu en l’air ». Certes mais quoi ? We blew it tâche d’y répondre, montrant qu’en 1969 déjà, Dennis Hopper et Peter Fonda avaient pressenti la catastrophe. La révolution culturelle et citoyenne en Amérique, les protestations, le rock’n’roll, la liberté ont fait long feu. Les gens qui étaient présents à Woodstock sont tous devenus des yuppies. Que s’est-il passé ? Pourquoi et comment en est-on arrivés là ? Comment est-on passé du Nouvel Hollywood et de sa contre-culture à Reagan, Bush et Donald Trump ? Les différents cinéastes rencontrés au fil de la route de Thoret ont tous leur réponse et, évidemment, elles diffèrent sans que jamais Thoret ne mette un point de vue plus en avant qu’un autre. Au spectateur de se faire son opinion. Si certains comme Peter Bogdanovich ou Jerry Schatzberg sont mélancoliques et nostalgiques, Bob Rafelson et Paul Schrader sont plus nuancés, plus critiques, plus ouverts vers l’avenir. Fred Williamson, lui, assume sa position de capitaliste avec un long cigare aux lèvres tandis que Jeff Lieberman dévoile la véritable raison pour laquelle cette contre-culture n’a pas duré : personne ne prenait vraiment au sérieux ces manifestations et ces concerts, tout le monde avait juste envie de s’envoyer en l’air.

S’attardant aussi bien sur les réalisateurs interrogés que sur les citoyens qu’il croise, Thoret livre un portrait complexe d’une Amérique qui a cru dur comme fer à sa révolution mais qui se retrouve aujourd’hui en proie à un mal qui le ronge depuis trop longtemps. Le capitalisme et les riches dominent mais c’était presque écrit d’avance. La contre-culture était vouée à n’être qu’un feu de paille, un feu de paille passionnant mais qui n’aurait jamais pu durer. Il y a quelque chose d’inéluctable dans ce que raconte le film, dans les villes fantômes qu’il filme, dans ces visages burinés rencontrés au gré de la route. Comme s’il fallait perdre quelque chose pour réaliser à quel point elle était précieuse ou, au contraire, surestimée.

Pour conclure le film, qui prend souvent d’oraison funèbre, Jean-Baptiste Thoret laisse à Tobe Hooper, décédé récemment, le mot de la fin, le même que Peter Fonda dans Easy Rider :  »we blew it ». C’est sur ce constat amer et inéluctable que se termine le film, dans un long plan magnifique sur une route déserte où une voiture disparaît progressivement de notre vision, rappelant à la fois le plan final du méconnu Electra Glide in Blue mais également le titre original de Point Limite Zéro : Vanishing Point. Et Thoret de faire de We blew it un grand film de cinéma, bouleversant et passionnant.

1 Rétrolien / Ping

  1. Michael Cimino, un mirage américain : Voyage spectral -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*