Laissez bronzer les cadavres : Fusillade, soleil de plomb et lingots d’or

Singulier, le duo formé par Hélène Cattet et Bruno Forzani l’est certainement, surtout dans le paysage cinématographique français. En peu de films, ils ont imposé un style reconnaissable entre tous et n’ont jamais voulu ménager leur public, faisant du cinéma à mi-chemin entre l’hommage au film de genre et l’expérimentation. Après s’être essayé au giallo avec leurs précédents essais, les voilà qui se tournent vers le polar façon western spaghetti en adaptant un roman de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid.

L’intrigue se déroule sur vingt-quatre heures dans un petit village perdu près de la Méditerranée. La mer est bleue, le soleil tape et 250 kilos d’or viennent d’être dérobés par Rhino et sa bande. Ils se sont tous planqués chez une artiste en manque d’inspiration mais leurs plans sont contrecarrés par l’arrivée de quelques invités surprises et celle de deux flics. Forcément, les choses ne tardent pas à virer au massacre…

Avec Laissez bronzer les cadavres, Cattet et Forzani continuent de surprendre. On les découvre toujours aussi audacieux et toujours prompts à rendre hommage au cinéma qu’ils aiment mais les voilà qui s’accrochent à un scénario mince, certes, mais doté d’une mécanique implacable. Comme dans le roman, ils font du temps qui passe une donnée importante du récit et pour mieux expliquer chaque action, n’hésitent pas à revenir en arrière au moyen de simples indications temporelles. On passe ainsi de séquences en séquences avec des cartons explicites : 17h30, 17h28, 17h32, 18h50. Ce découpage extrêmement précis et n’ayant pas peur de quelques retours en arrière permet de nous plonger au cœur d’une fusillade à la violence explicite mais que les cinéastes viennent transcender à l’aide de visions fantasmagoriques dont eux seuls ont le secret.

La rencontre avec le western spaghetti (c’est-à-dire crasseux, bourré de gueules, de violence, de personnages à la morale douteuse) et l’univers de Cattet et Forzani a quelque chose d’explosif et les deux compères se montrent ici beaucoup plus généreux avec leur public, moins cryptiques que dans leur précédent essai L’étrange couleur des larmes de ton corps. Embrassant le genre à pleine bouche, ils livrent une œuvre aride mais généreuse, continuant leurs expérimentations formelles, que ce soit sur l’image (gros plans, plans très colorés à la colorimétrie dorée, superbes plans d’une femme nue en contre-jour) ou sur le son (qui s’attarde sur le moindre détail, du briquet qui s’allume à la veste en cuir qui craque) sans pour autant sacrifier la narration. Si les personnages, tous incarnés par sacrées gueules (dont Elina Löwensohn, Stéphane Ferrara et Marc Barbé), sont essentiellement fonctionnels, Cattet et Forzani livrent un exercice de style moins pompeux que leurs films précédents et certainement plus généreux envers leur public.

Le duo n’en oublie pas pour autant ses quelques tics fâcheux, en témoigne la dernière partie du film où le tout s’étire en longueurs et en plans à la signification obscure. Reste malgré tout le plaisir d’un cinéma brut, souligné par des morceaux musicaux piqués çà et là (notamment à Ennio Morricone) et par un soin quasi obsessionnel de tout chambouler pour plonger le spectateur dans une expérience unique, aussi bien fétichiste que morbide. Le résultat est forcément dérangeant, forcément sensuel et sacrément troublant. Laissez bronzer les cadavres a d’ailleurs tellement de caractère qu’on lui pardonne bien ses défauts, le film étant trop fascinant pour être ignoré

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