Massacre à la Tronçonneuse : Premières frayeurs cinéphiliques

Jeune enfant arborant les prémices rougeâtres de l’adolescence sur son visage, l’excitation de l’interdit monte en lui comme la sève chez un arbre au balbutiement du printemps. Cette peur de l’interdit, cette envie irrémédiable d’enfreindre les lois parentales pour atteindre l’orgasme adrénalique que procure cette vision de l’étrange pornographique et horrifique. 
Le Graal est déniché un jour au détour d’une opération soldant une quantité de vieilles VHS avec dans le lot l’édition René Chateau de Massacre à la Tronçonneuse. Les mains moites laissent des traces évaporantes sur cet objet sous blister inespéré pour cet adolescent tâtant ses premières peurs et pulsions cardiaques face à l’interdit. L’horreur se mêle au porno avec aisance et décontraction, la perspective de s’enfermer dans le grenier équipé TV/magnétoscope avec le plaisir de se faire peur étant bien plus intéressante que le plaisir de se palucher avec la reine 5 doigts. 
Massacre à la tronçonneuse apparaît alors comme le titre ambivalent entre attraction et rejet. La VHS s’infiltre parfaitement dans le magnétoscope, la troupe de pseudo-Goonies réunie pour l’occasion est pétrifiée face à la première image apparaissant sur l’écran, déjà calfeutré dans les couettes mises à disposition. 

Massacre à la Tronçonneuse ne sera jamais ce titre que l’on verra sur grand écran. Il a longtemps été confiné dans cette télévision cathodique crachant l’image poussiéreuse de cette VHS. Il était inscrit «Interdit au moins de 18ans» sur la jaquette, mais le vendeur du vidéoclub avait laissé passer l’objet avec un sourire en coin. La chance avait souri pour une découverte sèche et palpitante à jamais gravée dans le marbre cinéphilique. On s’attendait à tout, mais pas à cela. Le temps était à la VHS et sa copie granuleuse, mais de bonne facture. Loin de nous l’idée de se retrouver au Grand Rex, un soir de 23 septembre à en profiter dans une copie parfaite restaurée en 4K avec la présence de Tobe Hooper – paix à son âme.

La tête a résonné longtemps au son enivrant de cette porte métallique se claquant après les coups massifs de boucher assénés et la chanson mécanique de cette tronçonneuse thermique se percutant sur les parois de notre tympan. 
Ce souvenir reste intact 25 ans après cette douce fin d’après-midi printanière. Installé dans les fauteuils en cuir de cette célèbre salle de cinéma et de spectacle parisienne, l’évaporation de cette allusion de jeunesse fait de nouveau couler la sève en nous. 
Massacre à la tronçonneuse se révise avec cette nouvelle vison mature comme un film chaud et maîtrisé, un coup d’essai dont ne se relèvera jamais Tobe Hooper. Outre sa suite bercée sous des aspérités comiques et hystériques, ce premier film résultant comme une œuvre fondatrice sera le nid de cauchemars psychologiques, ciment d’une passion sans vergogne pour le genre. Car après avoir foulée les herbes hautes de cette petite baraque de doux dingues cannibales – Leatherface apparaissant comme l’incarnation simple du taré trans aspirant à un refaçonnage constant poussé à son paroxysme dans le 4e opus – le spectateur de notre état sera en constante quête de ce ressentie d’adrénaline perdue. Les découvertes s’enchaînent à la hâte, mais le sentiment unique procuré par Massacre à la Tronçonneuse reste singulièrement unique.

Massacre à la Tronçonneuse est la peinture granuleuse et sale d’une famille consanguine vivant reclus dans cette petite bicoque où les odeurs putrides de la volaille défraîchit, de la viande avariée et de la transpiration traversent l’écran à chaque projection pour nous choper le nez. Après le capharnaüm de la camionnette et l’odeur de l’herbe 70′, on s’enferme dans cette maison sous apparence tranquille, mais où le mal règne dans sa plus folle tendance. Surgissant sur sa proie et/ou lui courant après avec acharnement au son transcendant de son engin de malheur, Leatherface sera la représentation de cette force horrifique traînant le film dans les confins du succès et les abîmes commerciaux ayant égrenées son aura depuis 50 ans. L’image de ce gaillard au masque de peau se fige dans notre mémoire. Elle reste cousue sous notre peau indéfectible du cinéma d’horreur et celui de Tobe Hooper. On lorgne les suites sans plaisir revenant à la source chercher l’adrénaline d’un cinéma véritablement oppressant et traumatisant. Leatherface traumatise la rétine marquant l’esprit tel un cauchemar tournant en boucle dans notre tête.

Massacre à la tronçonneuse aurait dû rester cet essai amateur presque parfait par la simplicité de son procédé et de son traitement. Il deviendra une franchise opportuniste se réinventant constamment et piteusement pour les besoins d’un système peinant à se régénérer en idées fraîches. Pour nous, il restera ce souvenir printanier dans le grenier sous la couette avec un œil guettant et imaginant l’horreur d’une œuvre psychédélique bien plus maligne que le simple film gore qu’il n’est pas. Cette soirée du 23 septembre 2014 avec une nouvelle et énième projection à la clef est bien là pour nous le rappeler. Est-ce bien vrai Mr Hooper ?