Joker : Un sourire de Gotham

2019 est une nouvelle année effervescente pour le genre « super-héros » au cinéma. Marvel Studios enchaîne les cartons avec Avengers Endgame, Captain Marvel ou Spider-Man Far From Home. La phase III s’est conclue pour le studio remplissant les caisses de dollars chez Disney, propriétaire de Marvel.
Chez DC, la situation est plus critique. La phase Zack Snyder a piqué du nez pour couler dans les profondeurs sombres d’un arc inabouti, donc raté. Attention, Man of Steel et Batman V Superman sont des grands « comics-movies », mais Warner a tuée la poule dans l’œuf en remaniant considérablement Justice League par manque de temps et de confiance pour concurrencer Marvel sur sa marche triomphale. Malgré les succès publics de Wonder Woman et Aquaman, sources d’espoir permettant au studio de garder la tête hors de l’eau, l’échec est cuisant pour Warner Bros.

Le combat est rude avant que tout ce beau petit monde passe à une autre mode. Pour l’instant Star Wars et les supers-héros captivent toujours autant. Marvel mène le combat aux poings et aux points. Mais DC Comics mute sa vision et l’approche de son catalogue. Prenant le temps de refaçonner son Batman pour un triomphe annoncé d’avance avec Robert Pattinson dans le bat-costume et Matt Reeves (La Planète des Singes) derrière la caméra, il se concentre sur l’antagoniste premier de celui-ci.
Le Joker, éternel antagoniste de Batman qui se voit offrir un film pour lui seul. Les comics ont maintes fois approfondi son cas irrécupérable de fou furieux semant la folie et la mort sur son passage. Mais au cinéma, il n’est resté que le méchant d’un film dans chaque grande période de l’homme chauve-souris. Jack Nicholson en 1989 pour Tim Burton, Heath Ledger en 2008 pour Chris Nolan puis Jared Leto en 2016 dans le Suicide Quad de David Ayer. 
Antagoniste directement responsable de la mort des parents Wayne, ombre folle ruinant Gotham ou gansgter timbré et tatoué, chaque approche a été concluante, quoiqu’on en pense du dernier en date. Le Joker est toujours un personnage à structurer pour le cinéma. Éternel méchant de Batman restant dans cette simple optique, quand bien même le personnage peut évoluer de mille et une façons depuis sa création en 1940 par Jerry Robinson, Bill Finger et Bob Kane. 

L’idée de ce nouveau Joker vient de Todd Phillips, réalisateur potache de Retour à la Fac ou de la trilogie Very Bad Trip. Nous étions au départ inquiet avant l’arrivée des premières images, puis des premiers avis en direct du Festival de Venise. Standing ovation d’une dizaine de minutes, puis un prix, rien de moins que le Lion d’Or. Le prix ultime d’un équivalent du Festival de Cannes en Italie où les studios américains s’amusent tout en assurant (et se rassurant) de dévoiler leurs productions à la rentrée de septembre à défaut du printemps sur la Côte d’Azur. Les films y sont dorlotés, moins brusqués par des critiques acides, la petite touche française qui ne charme pas tout le monde, surtout quand un film s’en sort détruit.
Bien au contraire pour Joker qui en sort grandi créant par la même occasion une impatience monstre chez les fans et les cinéphiles. Première victoire artistique pour DC Comics qui se voit offrir le Lion d’Or pour des qualités évidentes à défaut d’un Marvel qui a payé cher sa place aux Oscars pour un film quelconque. Joker, grand film, peut-on même parler de chef-d’œuvre d’un réalisateur de comédie à succès passant un cap dans son travail, mais surtout bouscule un genre qui va dorénavant mûrir. 

La maturation d’un genre avant de péricliter d’ici une vingtaine d’années. C’est long vingt ans, mais ça ne laisse la place à peu de propositions. Joker ouvre l’une des dernières portes d’un genre tournant en rond depuis quelques années. Cette porte est l’exploration intérieure d’un genre possédant en son sein des personnages forts. Le Joker en l’occurrence qui se voit en haut de l’affiche lui qui en avait rêvé depuis des années. Il est un clown essayant de faire rire les autres quand lui-même est un être triste, mal dans sa peau en dépit du fait que sa mère, Penny, le nomme constamment Happy. De son vrai nom Arthur Fleck, artiste raté et triste laissant suggérer une folie intérieure qui va se déclencher au fur et à mesure des péripéties du film.

Face à Joker, on pense inévitablement à Taxi Driver de Martin Scorsese. Cela tombe bien, il fut un temps annoncé en tant que producteur du projet avant de laisser la place à sa collaboratrice Emma Tillinger Koskoff (qui travaille avec avec lui depuis Les Infiltrés), et le film intègre Robert De Niro – le Taxi Driver – en présentateur vedette d’un Show à la TV de Gotham.
Gotham City qui se respire comme un parallèle du New-York des années 80. Ville chaotique sur la tangente prête à basculer. Tout comme Arthur Fleck qui espère une certaine vie, mais chute inévitablement. Sommes-nous dans sa tête/folie ou bien dans une réalité claire pour comprendre les enjeux d’un personnage troublant ?

Arthur Fleck crée un malaise pénible dès l’introduction du film. On peine à prendre nos marques devant la peinture centrale de cet homme fragile qui agite sa pancarte pour louer les mérites d’un magasin en faillite. Puis il y a une course poursuite, une défaite de plus dans la vie de Fleck en tant que clown puis la séquence du métro et des toilettes publiques. Arthur Fleck bascule nous entraînant dans une danse de blues dont on peinera à sortir avec le sourire. Il cherche à faire rire, à rendre heureux son public, mais Fleck n’a pas la même notion du divertissement que nous. Fleck ou Joker / Joker ou Fleck, tel est la question ensuite ? À qui avons-nous affaire dans cette chute grisante d’un homme aux mille questions et dont les réponses vont être le tournant maléfique pour Gotham.
Gotham City qui chute en fonction de celle d’Arthur Fleck. Le destin de l’homme est balancé par celui de la ville dont des politicards se battent pour le contrôle. Dont un certain Thomas Wayne qui cherche à devenir Maire. Todd Phillips prend alors un parti qui aurait pu détruire son film. Un choix crucial et pertinent qui permet d’ouvrir un possible arc tremblant et fantastique pour la suite. Les fans de Batman peuvent en saliver d’avance surtout si Joaquin Phoenix répond de nouveau présent. 

Joaquin Phoenix justement, le Joker ultime, indépassable, voire indétrônable. Il y eut Jack Nicholson, puis Heath Ledger, il y aura maintenant Joaquin Phoenix comme canon à ce personnage mythique déclenchant une peur cauchemardesque sur le plateau de Murray Franklin (Robert de Niro) ou seul dans son appartement déclenchant ses réactions de peurs et crises d’angoisse par un rire morbide qui hante l’esprit à jamais. Joaquin Phoenix est un Arthur Fleck déroutant qui lui-même est un Joker perturbant. Jack Napier ou Arthur Fleck, quand bien même n’a-t-il pas de noms précis comme longtemps dans le comics, les dessins animés ou chez Christopher Nolan, le Joker est un grand méchant de cinéma. Un monstre qui nous pourchasse dans notre sommeil, obnubile nos pensées et affecte notre bien mentale. Joker n’est pas un film à voir régulièrement ou le besoin d’un psychiatre se fera ressentir promptement. Joker est un grand film, une étape importante du genre « comics » au cinéma qui va bouleverser les codes et les attentes. La curiosité va être, dans un futur proche, de voir comment DC va répondre à cet acte, mais surtout comment Marvel va contre-offenser pour avancer ses soldats damant le pion de son adversaire sur l’échiquier de la toute-puissance du super-héros à Hollywood.