Les Sorcières de l’Orient : Persévérance et détermination ne riment pas avec sorcellerie.

Le documentaire est une forme bien spécifique du cinéma qui ne subit pas tant d’évolution que cela. Regarder un film documentaire relève plus généralement du souhait de se renseigner sur un sujet que d’être ému par celui-ci. Pour cela, pas besoin d’ajouter de la fiction ou de scénariser son propos. Il subsiste pourtant quelque pépites usant d’ingéniosité pour transmettre leur histoire. Ce fut le cas de Another Day of Life dont l’animation était tout simplement splendide. Julien Faraut marche dans les pas de son prédécesseur avec un documentaire d’une justesse de mise en scène et d’une précision émotionnelle absolument époustouflante. Les Sorcières de l’Orient fait référence à l’équipe féminine de volleyball du Japon des années 60′. Un surnom qui leur a été attribué par les russes lorsqu’elles étaient considérées comme les meilleures d’Europe. On suit leur parcours et leur quotidien d’employées d’une usine de textile quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale.

N’y allons pas par quatre chemins, ce documentaire est tout bonnement incroyable. Ce qu’il raconte est d’une puissance émotionnelle rare pour un documentaire. Certes l’histoire en elle-même est absolument complète, à la fois triste, belle et humaine. Mais surtout elle est si bien narrée. En mélangeant images d’archives, moments de vie des volleyeuses – qui ont encore pu raconter leur histoire -, et passages animés, Les sorcières de l’Orient offre la définition même de la dramaturgie. Il faut savoir que cette équipe de volley a été l’initiatrice de nombreuses œuvres animées sur le volley et le sport féminin plus largement, notamment Attack Number One qui s’inspire très largement de l’histoire de l’équipe. Les passages animés sont souvent tirés du Shojo en question et dévoilent à quel point les dessins sont proches de la réalité des images d’archives.

L’approche du réalisateur d’avoir entreprit le voyage jusqu’au Japon pour rencontrer ces joueuses est certainement la meilleure démarche qu’il aurait pu avoir. En réalité, c’est une force de la part d’un réalisateur de documentaire de savoir se mettre en retrait pour laisser toute la place à son sujet. Ce sont donc ces anciennes personnalités qui dictent le déroulement du long-métrage. On les voit, pour certaines, telles quelles sont aujourd’hui, avec leurs envies, leur vie familiale, leur sourire et leur joie de vivre qu’elles communiquent bien volontiers. Cette méthode nous épargne, grand bien nous fasse, de l’influence médiatique de l’époque, certainement biaisée par des erreurs de traduction ou de compréhension dû à l’éloignement culturel. Voir directement ces femmes devant nous, rire au sujet de leur jeunesse nous suffit à comprendre exactement ce qu’elles pensent et ce que nous avons à savoir sur leur vie privée. C’est une démarche à la fois honnête et pertinente qui nous en dit plus sur leur vie que n’importe quel récit. Et puis c’est tellement émouvant de voir ce qu’ont pu devenir respectivement ces femmes.

Dans le même temps, c’est aussi ce que raconte le film qui est immensément riche. En plus de raconter l’histoire des 258 victoires consécutives jusqu’aux JO de 1964 de l’équipe féminine japonaise de Volleyball, Les Sorcières de l’Orient nous narre également tout un pan de l’histoire post grande guerre du Japon. Entre l’analogie d’une équipe qui donne tout ce qu’elle a pour être la meilleure à l’image de son pays qui se reconstruit ou le symbole d’un pays qui gagne un titre aux JO grâce à des femmes alors qu’il misait tout sur son sport national, le Judo. Les sorcières de l’Orient est un film infiniment plus complet et passionnant qu’il n’y paraît et raconte sans équivoque nettement plus de choses que le simple entraînement ou quotidien de quelques japonaises.

Pour accentuer toute la profondeur de ce documentaire, il faut applaudir l’ingéniosité de montage du réalisateur. D’une part, le choix de mise en scène est particulièrement important et agencé dans cette production. Mais en plus les choix de rythme et de narration sont parfaitement bien réfléchis. Il n’y a pas de véritable révolution ou de renouvellement quelconque, mais une simple utilisation pertinente d’outils déjà à disposition pour organiser son histoire au mieux. Tout cela conduit par une bande originale vraiment bien trouvée et superbement cohérente, notamment portée par Machine Gun de Portishead. Il va de soit que la post-production de films mêlant animation, images d’archives et moments filmés est capitale dans ce genre de projet. Il s’avère que l’équipe du film en a fait sa grande priorité pour un résultat totalement convaincant. La présentation des joueuses comme des héros d’animés avec surnom, force etc. ou la superposition des scènes d’archives avec leur équivalent animé sont tout un tas de propositions personnelles qui apportent une véritable identité à la production.

Nous vous invitons sincèrement à voir ce film, car des documentaires qui parviennent à tirer quelques larmes au spectateur, c’est rare. Et quand c’est de bon cœur qu’on accepte de lâcher prise face à cette histoire incroyable, on ne peut que vous recommander le déplacement pour Les Sorcières de l’Orient, qui s’annonce d’ailleurs comme l’un des meilleurs documentaires de l’année.

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