Blouma : S’intéresser est l’ennemi de l’ignorance

Se méfier de ce que l’on ne connait pas plutôt que de s’interroger sur cela est une réaction tout à fait humaine. Ce sont les vestiges même de nos intuitions de survie animale. On préfère se référer à ce que l’on observe ou ce que l’on nous dit sur le sujet qui nous est inconnu. C’est malheureusement comme cela que, dans nos sociétés contemporaines, on se met à haïr aussi facilement des communautés telles que les roms et autres gens du voyage, ayant des modes de vies nomades ou itinérants, du moins, bien différents des nôtres. On accepte la différence uniquement jusqu’à un certain point. Passé cette limite, on amplifie les différences, on attribue à tort tout ce dont on ignore l’origine ou la provenance, on finit même parfois par accuser de choses qui n’existent même pas. Blouma est l’histoire d’un manouche qui arpente les rues de Rouen, fleurs à la main, dans le but de les vendre en procurant sourire et joie à ceux qui en achètent.

Cacahuète (Michel Lescarbotte) arpente les rues de Rouen en nous racontant son histoire, en nous faisant découvrir les recoins de cette ville et en nous faisant faire connaissance avec différentes connaissances et amis qui ont fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui, humainement et socialement. Avec beaucoup d’empathie et de curiosité on découvre sa personnalité, aussi simple qu’avenante. Véritable polyglotte et guide touristique non reconnu, notre protagoniste se débrouille comme il peut pour gagner sa vie et mener sa campagne lucrative à bien. Accompagné à la narration par un fidèle acolyte, nous apprenons a connaître cette communauté souvent mise à l’écart plus qu’elle n’accepte de le faire elle-même.

Inutile de se le cacher, si l’on possède une aussi mauvaise opinion de ces gens là, ce n’est pas totalement anodin. L’opinion se forge bien sur quelques cas avérés. Cependant il est clair que notre laxisme à l’idée d’ouvrir le dialogue n’aide pas à nouer des liens ou diminuer les barrières sociales que l’on s’impose avec eux. Cacahuète ne semble pas avoir le statut de voleur ou d’escroc que l’on pourrait lui attribuer au premier regard. Blouma nous invite à faire ce travail de curiosité et d’approche que nous ne faisons pas la plupart du temps. Avec une certaine poésie, le voyage rurale de Cacahuète se transforme en épopée. Bien conscient de son statut et de l’évolution des mentalités qui dictent les retours qu’on lui fait, il ne s’étonne pas que sa communauté soit si peu acceptée. Difficile donc d’accepter de changer son opinion les concernant. Mais la proposition de se questionner sur leurs habitudes et leur mode de vie est ouverte, libre à nous d’ouvrir le dialogue et de tendre la main.

Le moyen métrage est séparé en deux narrations, celle de Cacahuète que l’on suit à travers Rouen, et celle de son acolyte Jean-Marc Talbot, muni d’un chapeau à la Nestor Burma, qui nous conte son histoire comme s’il lisait un livre. La séparation est intéressante, donnant un vrai rythme à la progression de l’histoire. Malgré la banalité de leur quotidien par moment, cette distinction permet de mieux visualiser ce que les évènements que l’on découvre ou écoute peuvent réellement impliquer. On regrettera deux petits points au niveau de la mise en scène. Jean-Marc Talbot lit son texte sur un support à côté de la caméra et cela se voit. Dommage que le choix ne se soit pas porté sur un travail mémoriel en plus d’un travail de diction. D’autant que nous ne sommes pas au théâtre mais au cinéma, cela devient rapidement plus facile de jouer avec les images pour camoufler la méconnaissance du texte. Le deuxième point relève plus d’une faute stylistique. Affublé d’un chapeau durant toute son histoire, aucun jeu d’ombre avec son regard et ses yeux n’est véritablement mis en avant ou travaillé.

En finalité, Blouma est une sorte de moyen métrage documentaire aussi inattendu que décomplexé. Peu de chance que cela change drastiquement notre à priori sur l’opinion des gens du voyage, mais la tentative de faire un premier pas est bien réelle. Libre à nous d’accepter ou non la vision que nous propose le réalisateur Stany Cambot. On apprécie la légèreté de ton et on se laisse apprivoiser par la double narration. On regrettera quelques effets de styles manqués et peut-être un certain manque de rigueur sur quelques points mais l’objectif semble atteint pour cette petite production de 48 minutes disponible en VOD sur la plateforme des Cinémutins.

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