Judas and the Black Messiah : L’infiltré

Il peut paraître difficile de penser, surtout aujourd’hui, qu’une personne appartenant à la communauté Noire puisse trahir un membre de cette même communauté à des fins personnelles. Pourtant, c’est bel et bien l’histoire de William O’Neal, un ancien délinquant qui s’est infiltré dans l’un des mouvements révolutionnaires les plus influents des années 70, Le Black Panther Party. Ainsi, Judas and The Black Messiah réalisé et écrit par Shaka King (aux côtés de Will Besson) est un long-métrage biographique de la vie de ce jeune afro-américain et du militant Fred Hampton. Il est sorti le 14 Avril 2021 en exclusivité sur MyCanal et est désormais disponible en vidéo le 9 juin 2021. Le film a également remporté le Golden Globe et l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, la récompense allant à Daniel Kaluuya.

A la fin des années 60, un petit malfaiteur, William O’Neal, se fait passer pour un agent fédéral pour voler des voitures mais il est rapidement intercepté par le FBI. L’agent spécial Roy Mitchell lui propose alors un marché : s’il accepte de collaborer avec le FBI comme informateur, toutes les charges contre lui seront abandonnées. Il est donc chargé d’infiltrer le Black Panther Party et doit se rapprocher tout particulièrement de Fred Hampton, leader et orateur charismatique du parti dans l’Illinois qui s’avère être un admirateur de Che Guevara. O’Neal se rend compte que le patron de Mitchell, J. Edgar Hoover, voit d’un très mauvais œil l’attestation de cette figure de la contestation noire qui, selon le directeur du FBI, est une grave menace pour la sécurité nationale du pays proche du terrorisme…

Judas and The Black Messiah, inspiré de fait historique, est composé d’images d’archives, de flashbacks et d’un entremêlement de scènes rendant par moments l’intrigue difficile à suivre. Le montage ne présente pas de réelle transition et se contente de poser des moments importants de la vie de Fred Hampton et de William O’Neal. 
Les archives retracent l’histoire des Black Panther, des manifestations aux conférences en mettant l’accent sur leurs actions et la répression de la police, les « pigs » (terme désignant les policiers) à leur égard. Cette entrée en matière peut être comparée avec les choix artistiques de Spike Lee dans Malcolm X où l’on y voit notamment un prêche particulièrement dur de la part du leader. Ici, ces archives servent surtout d’introduction et de recontextualisation afin de bien distinguer les camps.

Dans l’ensemble le casting est solide avec Daniel Kaluuya et Lakeith Stanfield jouant respectivement Fred Hampton et William O’Neal. C’est la deuxième collaboration entre ces deux acteurs après Get Out. Leurs performances permettent d’apporter de la profondeur à leurs personnages. Dans la peau de Fred Hampton, Daniel Kaluuya – charismatique – explore le plein potentiel de son jeu avec un rôle complexe, déjà été interprété par Kelvin Harrison dans Les sept de Chicago. Mais Daniel Kaluuya se démarque largement saisissant le rôle de cet homme avec force pour que la caméra puisse capturer ses moments. Son aura et ses dialogues électrisants y sont pour beaucoup et prennent le dessus sur les personnages secondaires bien fades à côté. 

Quant à Stanfield, il joue sans fausse note ce jeune afro-américain raillé et complexé à la frontière du désespoir et des remords. Si au début les intentions de son personnage étaient parfaitement délimitées et claires, il se laisse peu à peu prendre à son propre jeu. En vivant parmi les membres du parti il finit par les apprécier et à comprendre le combat de Fred. Bien que ce duo soient plus âgé que les personnages orginaux qu’ils incarnent au moment des faits, leurs performances camouflent ce détail. 

Le film porte bien son titre. La trahison est omniprésente, entre les mensonges et les faux-semblants. Judas est en lui-même un nom symbole de la trahison à des fins personnelles et Messiah, la personne qui guide. Un être qui sait parler aux gens, qui sait écouter et surtout rassembler. C’est ce qu’est Fred au sein du film. Et selon les mots de O’Neal dans Judas and The Black Messiah « il vendrait du sel à une limace » ce qui montre bien la posture du personnage. Le film explore dans une grande sobriété cette dualité entre l’individualité et le bien commun. Il suit sa trajectoire établie dès le début avec cette envie d’exposer des oppositions spécifiques : vice/vertu, sacrifice/lâcheté. 

Le réalisateur nous propose un scénario solide avec une réelle tension émotionnelle et une envie de transmettre les revendications du Party. Bien plus qu’un mouvement, les Black Panthers étaient avant tout des personnes qui aidaient les habitants en leurs fournissant de la nourriture ainsi que des soins médicaux. Dans ce sens, le film prend parti pour ce groupe aux ambitions claires avec un discours anticapitaliste et des dialogues aux antipodes de la bien-pensance américaine. Ce parti pris est assez évident et d’une certaine manière nécessaire pour délimiter l’angle du long-métrage engagé. 
Judas and The Black Messiah reprend le schéma identique des autres films du même genre. Avec ce focus sur l’intimité de Fred Hampton tout en nous montrant comment il arrive à marquer les esprits, il parvient néanmoins à apporter de manière superficielle des éclaircissements sur les actions de William O’Neal et l’un des leaders du Black Panthers Party. La fin du récit se montre en cela frustrante tant on aurait voulu voir en plus, le film s’avère néanmoins réussi par la tranche d’histoire qu’il nous délivre.

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