Bruiser : Prendre sa vie en main

Les hostilités du week-end sont lancées sur Shadowz, avec un mois de mai qui démarre en trombe puisque nous avons eu droit à pas moins de 7 films issus des écuries Hammer. Loin de nous l’idée de snober ces fabuleux films, seulement nous tenions à revenir sur l’hommage à George A. Romero proposé la semaine dernière. En effet, la plate-forme nous a offert 3 films du célèbre papa des zombies modernes. Dans le lot, Bruiser a immédiatement piqué notre curiosité. Un des rares films qui nous manquait dans la filmographie d’un des maîtres de l’horreur sociétal. Sorti 8 ans après La Part des Ténèbres, au début des années 2000, Bruiser a été la petite virgule dans la carrière de Romero, le film faisant la jointure entre ses collaborations avec son ami Stephen King et son grand retour au cinéma de zombies avec Land of the Dead en 2005. Passé totalement sous silence, il est désormais visible via Shadowz pour notre plus grand plaisir. Qu’en est-il de l’œuvre en elle-même ?

Henry Creedlow a toujours respecté les règles et fait ce qu’on lui demandait de faire sans poser de questions. Mais un matin, il découvre que son visage a disparu. Tous ses efforts d’intégration et son désir de reconnaissance ont fini par lui coûter la seule chose qu’il ne peut remplacer : son identité. Il n’est plus qu’un vide, un anonyme, un fantôme. Il explose et décide de se lancer dans une expédition punitive contre tous ceux qui l’ont humilié jusqu’alors.

Ce qui a toujours été fascinant avec le cinéma de Romero, c’est l’analyse sociétale qu’il a toujours eu à cœur de défendre, même dans ses films les plus ratés. Pour Bruiser, qu’il écrit et réalise, il se lance dans une analyse des rapports humains au sein d’une société quelque peu huppée. Son héros, Henry, travaille pour un célèbre magazine. Il est le parfait sous-fifre qui n’hésite pas à sacrifier sa vie personnelle dans le but de se rendre indispensable au boulot, quitte à accepter les tâches les plus ingrates pour un patron qui dénigre absolument tous ses employés. Il est marié à une femme vénale qui mesure l’importance de son entourage à la taille de leur compte en banque. Il est incapable de constater que ses rares amis l’arnaquent en profitant de sa gentillesse et de sa naïveté. Un candidat idéal pour Romero qui va se donner à cœur joie de décortiquer toutes les malfonctions qui dirigent la vie de Henry avec la douleur et l’humour qui font sa réputation. Sur le fond, Bruiser est à l’image des meilleures histoires de Romero : humour sec, parfois très noir, et horreur frontale justifiée. Sans tomber dans un florilège gore comme il en était capable parfois, Bruiser garde en tête l’absurdité des situations par une musique intradiégétique omniprésente et souvent décalée avec les actes des protagonistes (on parle de massacres sur de la musique pop, jazz ou encore punk rock par la présence du célèbre groupe d’horror punk, Misfits). Et d’idéologie punk, Romero en était totalement construit. Son côté sale gosse, il ne l’a jamais perdu. Ce dernier sied parfaitement à l’histoire de Bruiser. Les situations rocambolesques offrent des séquences indubitablement décalées, on ne sait jamais s’il faut rire ou avoir peur. La quête vengeresse de Henry est louable. Il va combattre afin de se débarrasser des nuisibles qui lui ont volé sa vie. Par son discours, le réalisateur nous invite à reconsidérer notre propre vie. Jusqu’où pouvons-nous aller sans risquer de se perdre ? Jusqu’à quel niveau de dévotion un être humain peut-il s’enfermer sans devenir un esclave ? Il y a une réelle valeur philosophique, éternel débat depuis des siècles, qui est interrogée dans Bruiser. Romero nous invite à briser nos chaînes, à prendre notre liberté à bras le corps et, surtout, à nous affirmer en tant qu’être unique. En ce sens, le fond de Bruiser est un vrai plaisir à analyser.

En revanche, la forme du film est absolument exécrable. La piètre qualité proche d’un DTV (voire même téléfilm du dimanche après-midi) est une horreur à vivre. De plus, malgré les questions intéressantes que Romero cherche à poser, il faudra sacrément s’armer de patience et aller creuser pour en apercevoir les ressorts. Bruiser enchaîne les séquences sans réelle subtilité. On a l’impression que le film a été tourné à l’arrachée avec une coupe budgétaire proche du néant. Nous sommes bien loin des grandes œuvres de Romero. Et le casting (malgré quelques noms prestigieux) n’aide absolument pas à porter le projet vers le haut. La propension qu’a Jason Flemyng à jouer les benêts est aussi appréciable que l’insupportable cabotinage de Peter Stormare qui frôle le risible à maintes reprises. Les acteurs déambulent face à la caméra avec la grâce d’un poulpe dans une avalanche. En d’autres termes : c’est l’ennui le plus total. Malgré tous les efforts de Romero pour réussir à nous imprégner de ses questionnements et de tenter de donner du corps à sa réalisation, Bruiser ne vaut pas mieux que le fond du bac des VHS oubliées du vidéo-club. Probablement l’un des plus mauvais films du réalisateur en terme de direction d’acteur, c’est une catastrophe. On se consolera avec le maquillage de Henry qui, malgré son blanc maculé, demeure graphiquement joli. Tout comme on se consolera de la présence des Misfits et de quelques-uns de leur titres. Mais il n’y a rien qui donne envie d’y revenir, malgré les qualités de l’écriture.

Bruiser est un mauvais film de George A. Romero. Son aspect DTV et ses piètres acteurs auront eu raison de notre entrain. Malgré tout, la richesse de l’écriture et son côté sale gosse lui permettent d’en tirer une analyse percutante. Preuve qu’une solide écriture peut sauver quelque peu un film du naufrage complet. Bruiser aura le mérite de soulever le débat, c’est toujours ça de gagné !

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

1 Commentaire

  1. Au contraire, je trouve les jeux d’acteur assez adaptés aux situations. Un côté « gêne » omniprésente, pour mettre en exergue celle du protagoniste principal, qui évolue et fluctue au fur et à mesure de sa « quête ».
    Au final, à retenir cette jouissive revanche sur ces saligauds, et un excellemment (le seul, d’après Henri) bon conseil que son faux ami à pu lui prodiguer.
    Car c’est aussi cela, le message grossièrement évident du film : ne pas se laisser marcher sur les pied, exister et être par soi même, et non se laisser mourir à petit feu pour dorer le crâne d’autres qui ne le méritent en plus certainement pas. Si encore il y avait un « retour sur investissement »… mais là il s’agit de prendre sans rien donner en retour… facteur non négligeable que l’on retrouve malheureusement trop souvent dans la société monde.

    Bref… malgré le côté nanardesque, j’ai bien aimé pour ma part, et regarderais à nouveau avec sourire en coin, cette apologie à la vie d’un goût tout particulier.

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