The Nightingale : Les diables de Tasmanie

En 2014, une jeune actrice australienne faisait ses premières armes à la réalisation. Son premier essai, Mister Babadook a largement été salué par la critique comme un film d’horreur intelligent et puissant, au sous-texte riche et atypique pour un film de monstre. Jennifer Kent signait un petit film indépendant plein de belles promesses tenues et suscitait une vive curiosité de notre part quant à ses prochains projets. Elle récidive 4 ans après avec The Nightingale. Récompensé, cette année-là, du Prix Spécial du Jury pour Jennifer Kent et du Prix Marcello Mastroianni du Meilleur Espoir pour Baykali Ganambarr à la Mostra de Venise, il lui faudra attendre deux ans pour fouler le sol de notre territoire. Prix du Jury Lyonnais au Festival Hallucinations Collectives de 2020, The Nightingale se taillait une sacré réputation auprès des rares chanceux ayant eu la chance de croiser sa route. Il n’a pas trouvé son chemin dans nos salles obscures et nous devrons encore attendre jusqu’en mars 2021 afin de pouvoir le dénicher en VOD via la chaîne OCS. Mais l’attente est désormais terminée puisque Condor Entertainment lui offre une édition Blu-Ray et DVD disponible dans tous les bacs dès le 15 avril 2021. L’attente était-elle à la hauteur de nos espérances ? Que vaut ce second long-métrage de Jennifer Kent ?

1825, dans l’Australie sous domination anglaise. Après avoir purgé sa peine, Clare, une jeune bagnarde irlandaise, va bientôt pouvoir vivre librement auprès de son mari et son bébé. Mais son officier de tutelle n’en a pas fini avec elle : violée et laissée pour morte, Clare assiste impuissante au massacre de sa famille par des soldats britanniques. A son réveil, au bord de la folie, elle se lance à leur poursuite à travers les terres vierges de Tasmanie avec pour guide un jeune aborigène. Dans cette région sauvage et isolée, où les lois des hommes ne s’appliquent plus, elle ne reculera devant rien pour se faire justice.

« Je voulais raconter une histoire sur la violence. En particulier, les répercussions de la violence d’un point de vue féminin. Pour ce faire, j’ai puisé dans l’histoire de mon pays. La colonisation de l’Australie a été une période de violence intrinsèque ; envers le peuple aborigène, envers les femmes, envers la terre elle-même qui a été dépouillée de ses habitants. La colonisation est un acte brutal par nature. Et l’arrogance qui l’anime perdure dans le monde moderne. Pour cette raison, je considère cette histoire très actuelle bien qu’elle soit ancrée dans le passé. Je n’ai pas toutes les réponses à la question de la violence. Mais j’ai le sentiment qu’elles résident dans notre humanité, dans l’empathie que nous avons pour nous-mêmes et pour les autres. » Quand Jennifer Kent déclare ceci à propos de The Nightingale, il est impossible d’imaginer un semblant du quart du choc qui nous attend. En effet, The Nightingale est un film rude, violent et difficilement soutenable à bien des égards, mais il est, paradoxalement, également poétique, émouvant et déchirant. Toute la subtilité et les nuances qui transparaissaient dans Mister Babadook sont ici développées au stade supérieur. Jennifer Kent monte le niveau dans l’exigence qui sera demandée au spectateur quant à l’appropriation de son œuvre. Le choc de la première demi-heure sera déterminant. Soit la violence vous donnera envie de suivre Clare dans sa quête vengeresse, soit vous couperez l’écran tant il s’y passe des choses insoutenables. Graphiquement, le film ne tombe pas dans les excès, c’est même tout l’inverse. Jennifer Kent joue avec les cadres, s’immisce au plus près de l’horreur et en montre suffisamment pour impacter le spectateur, mais ne sera jamais vicieuse. Pourtant, et nous insistons là-dessus, The Nightingale ne parlera pas à tout le monde, il faut vraiment être prêt à vivre des séquences tortueuses et immorales au possible. Son interdiction au moins de 16 ans n’est pas en vain, pour le coup…et pas sûr même que certains adolescents de 16 ans soient prêts à vivre le choc des images. Soyez réellement avertis !

Outre son aspect violent, The Nightingale est un plaidoyer pour la sauvegarde des croyances, de la terre et du vivre ensemble. L’ouverture aux autres est vraiment central au récit. Clare et Billy semblent être les deux seules personnes capables de comprendre et sauver leur entourage. Bien que la vengeance sera toujours au cœur des motivations de l’héroïne (nous sommes dans un rape & revenge, ne l’oublions pas), Clare va entamer un deuil spécifique. La colère se transformera en dégoût, puis en tristesse et aboutira sur de nouvelles forces insoupçonnées qui pourraient bouleverser l’issue de son plan vengeur. Elle se rendra rapidement compte qu’elle traite Billy aussi lamentablement que les colons qui l’utilisent comme passeur. Elle va se juger, se comprendre, changer et apprendre à aimer et respecter l’autre. L’aborigène ne sera plus vu comme une « anomalie », mais un allié, un ami, un partenaire de deuil… Et il faut absolument que nous tirions notre chapeau à Baykali Ganambarr qui interprète Billy. Quel bel acteur ! Un grand comédien en devenir, au potentiel absolument hallucinant. Il bouffe la pellicule et occupe tout l’espace du 4/3 étriquée mis en place par Jennifer Kent. Quand bien même la prestation d’Aisling Franciosi est à saluer (quelle prestance incroyable, elle joue la douleur avec une véracité folle et elle n’a que 27 ans!!), c’est vraiment Baykali Ganambarr qui nous restera en tête jusqu’à la fin du film. On ne pourra pas s’empêcher de comparer l’ambiance du film avec The Revenant d’Innaritu. Bien évidemment, The Nightingale n’a pas le même budget ni les même ambitions visuelles, mais il partage de nombreux points communs notamment sur l’aspect hostile de la nature qui abrite une ribambelle de dangers. L’absence de toute musique installera également un climat pesant et nous rapprochera au plus près des états d’âme des personnages (ce que faisait Innaritu en étirant le temps et en se perdant dans des plans contemplatifs de toute beauté). Ainsi, l’impact de la violence se fait nette et sans bavure, une fois encore, nous vous mettons en garde, The Nightingale n’est pas adapté à tous les yeux.

Jennifer Kent prouve avec The Nightingale qu’elle est une réalisatrice au potentiel énorme. Son second long-métrage est une claque en tout point, un vrai choc cinématographique comme on n’en voit pas tous les jours. Il sera difficile de s’en remettre de sitôt. The Nightingale est un film puissant, exigeant, violent…et tout bonnement indispensable.

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