La Baie Sanglante : Du giallo au slasher, le testament de Mario Bava

Séance Shadowz absolument culte au programme de ce week-end. Compte-tenu du fait du reconfinement national qui nous frappe de plein fouet depuis maintenant une semaine, nous nous sommes dit qu’un peu de révisionnisme des classiques du genre s’imposait. Après vous avoir parlé avec amour du cinéma du fiston dans notre chronique de Démons, intéressons-nous, aujourd’hui, au patriarche Mario Bava et son célèbre La Baie Sanglante. Quiconque s’intéressant de près ou de loin au slasher (américain notamment) a forcément déjà entendu parlé de La Baie Sanglante, film dont Vendredi 13 (entre autres) s’inspirera allégrement. Nous sommes au début des années 70, Mario Bava décide de reprendre la main sur son cinéma après l’échec de son western Roy Colt et Winchester Jack, qu’il juge raté. Il décide de retourner vers un cinéma radical, de ne plus faire de concessions pour les studios et de tourner avec les contraintes de budgets ridicules. Le public de l’époque semble enjoué avec l’arrivée d’une vague de films initiés par les Dario Argento et consorts. On parle de giallo, un genre que Bava aura contribué à faire naître au début des années 60 et qui était resté sans véritable suites. Les années 70 seront les années du giallo en Italie et Bava entend bien reprendre les rênes du genre dont il a été seul instigateur de ses codes au cinéma. Seulement, La Baie Sanglante ira bien plus loin que n’importe quel autre film de l’époque. Bienvenue dans une œuvre hybride où la seule limite imposée était l’esprit créatif de son auteur.

Frank Ventura, assisté de sa maîtresse Laura, veut transformer le manoir des Donati en un lieu touristique, mais la comtesse Federica Donati, propriétaire des lieux et paralysée, s’oppose à ce projet. Un soir, elle est assassinée par son mari, le comte Filippo Donati. Immédiatement après, le comte est poignardé et son corps est dissimulé dans la baie. Un mot désespéré est retrouvé près du cadavre et la police conclut au suicide. Attirés par ces nouvelles morbides, deux jeunes couples pénètrent par effraction dans la propriété. Ils se séparent et, tandis que Brunhilda part se baigner dans la baie, les trois autres sont massacrés à l’arme blanche après s’être introduits dans le manoir. Nageant dans la baie, Brunhilda se prend le pied dans un cordage et fait remonter accidentellement le cadavre du comte.

Il n’est absolument pas vain de décrire La Baie Sanglante comme une œuvre hybride. En effet, Mario Bava ouvre son film comme un véritable giallo. Il pose son décor, installe une ambiance énigmatique, présente un personnage mutique et pensif. Le découpage de la séquence d’ouverture est millimétré, chaque plan est lancinant, poétique et imbibé de symbolique. Puis survient le meurtre, archi-découpé, cut au possible et brutal. Tous les marqueurs du giallo sont présents, jusqu’au gants de cuir aux poignées du tueur. Puis, subitement, le tueur enlève ses gants et son identité est immédiatement révélée. Ainsi, Bava bascule vers un autre genre, il initie de nouveaux codes. Il participe ainsi à tuer le giallo, genre pour lequel (à l’époque) on lui a refusé la paternité légitime. Bava se dépossède de son héritage afin de partir dans une montagne russe sanglante où chaque personnage connaîtra une fin funeste. La Baie Sanglante peut paraître terriblement foutraque à suivre. Il faudra s’armer de patience et accepter la condition de voyeur dans laquelle est installé le spectateur afin d’en saisir tous ses tenants et aboutissants. À première vue, tout semble gratuit. Mais en poussant la réflexion un peu plus loin, nous y verrons une cristallisation des obsessions de Mario Bava. La Baie Sanglante est un gigantesque puzzle, sorte de Cluedo macabre où Bava salue les genres qui ont fait de lui un cinéaste reconnu tout en accouchant d’un nouveau concept. En effet, le film côtoie les spectres du gothique, du western et du giallo pour approcher ce que deviendra le slasher quelques années plus tard. Faisant preuve d’une maîtrise absolue et d’une débrouille hors-pair (malgré quelques plans qui se recyclent parfois et dont l’illusion ne marche plus) afin de donner du vaste à un décor naturel qui était, en vérité, terriblement restreint.

La Baie Sanglante est un film qui doit tout à son montage. La caméra est perpétuellement en mouvement, les flous nous emmènent entre les différents lieux. Il y a des raccords bluffants et sidérants. Bava personnifie la baie comme témoin à part entière des atrocités qui se jouent sous ses yeux. Cette même baie qui, métaphoriquement, accueillera à la fois la mort du cinéma de Bava et la naissance de ses rejetons (il)légitimes comme en démontrera sa fin aussi ironique que brutale. L’enfance qui gambade sur les restes des choix passés n’est pas une figure anecdotique pour Bava. Elle démontre que chacun se nourrit du chemin de ses pairs et que, de fait, Bava accepte (avec difficulté) qu’on lui « vole » son héritage. Graphiquement, l’extrême violence du film fait état également de l’envie de Bava d’aller chercher ce qu’il a apprit de ses pairs. Autant certains meurtres seront brutaux, secs et sans bavure. Autant d’autres meurtres se feront dans la douleur et dans la durée, reprenant ainsi les préceptes lancés par Hitchcock dans Psychose qui entendait qu’une mise à mort est longue et fastidieuse. Le principe du giallo est de rendre plastiquement beau une mise à mort. Bava ramène cette idée dans ce qu’elle a de plus brutale. Il n’est plus question de penser la mort comme un artifice de cinéma, il est question de retourner le spectateur afin de le rebuter. Et à ce propos, il en sortira vainqueur puisque Christopher Lee déclarera être sorti de la projection lors de sa diffusion à Avoriaz en 1973 tellement il trouvait le film insoutenable.

Ramener du réel dans le meurtre et briser les tabous jusqu’au paroxysme final seront les deux éléments qui inscriront La Baie Sanglante au panthéon des films incontournables…des années après sa sortie. Le film, bien que très remarqué à sa sortie, tombera dans les oubliettes. Le début des années 80 et l’émergence des slasher sauce Vendredi 13 lui feront de l’ombre. Il faudra attendre son édition en VHS et sa mise en circuit dans les vidéo-clubs afin qu’il se taille la réputation qu’il mérite et qu’on lui connaît désormais. Et comme nous nous aimons à imaginer notre Séance Shadowz comme une bonne vieille location chez notre vidéo-club préféré, on se congratule de boucler la boucle avec ces quelques lignes qui, espérons-le, vous donneront envie de (re)voir ce film culte de Mario Bava. Bonne séance les ami(e)s !

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